— Je n’ai pas tellement sommeil.
— Le plus passionnant, c’est Caducci avec son entreprise d’agglos-papiers. J’ai visité l’atelier en détail et c’est vraiment au point. Par contre, il y a des masses énormes tout au bout du dédale qu’il n’a pu amener tout seul.
— Les sarcophages ?
— Si tu veux. Plus de deux mètres de long, au moins quatre-vingts de côté et un poids fantastique. Je pense que Roques ou Arbas ont dû l’aider à les déplacer.
— Tu n’as pas retrouvé la collection de novembre des Arbas ?
— Non, à vrai dire je n’y ai pas tellement songé. De toute façon, elle n’était pas complète puisqu’ils sont morts vers le 15…
Elle ne le croyait pas. Il répondait trop précipitamment, comme s’il avait quelque chose à cacher. Il avait peut-être découvert les quinze à vingt millions entassés par les Sanchez pour fuir le Bunker et acheter un commerce en Espagne pour s’y planquer.
— Tu n’as rien trouvé sur leur projet de fuite que les autres auraient pu connaître ?
— Si. Mais tout à l’heure. Je pense que c’étaient eux qui supportaient le plus difficilement la discipline collective que Pierre Arbas était chargé de faire appliquer. Ce n’est pas lui qui a tout mis en place, du moins je le crois.
Les copropriétaires se sont organisés en association non déclarée. Malheureusement, je n’ai eu accès qu’à des documents pour l’année en cours, les autres sont sous clé. Il y a une sorte de journal quotidien qui ne fait que rapporter les faits propres à l’immeuble, à la rue et éventuellement au quartier. Juste les faits. Le cahier des décisions collectives est enfermé avec le reste dans un classeur métallique possédant une serrure de coffre-fort.
Impossible de l’ouvrir.
— L’argent est déposé sur un compte ?
— Je ne pense pas. Il est conservé par Arbas. Mais je n’ai pas le montant exact des sommes déposées… Si bien que j’ignore s’ils ont pu comptabiliser les économies des Sanchez.
Elle lui jeta un regard en coin. Il se croyait obligé d’insister sur ce point précis et de plus en plus elle éprouvait des soupçons. S’il trouvait l’argent il ne le partagerait pas avec elle. C’était dans la ligne de son caractère.
— Les armes sont entretenues avec soin, il y a des munitions en très grosses quantités. Il y a des réserves d’eau chez les Larovitz, les Arbas et les Roques mais pas de ce côté-ci de l’immeuble. J’ignore pourquoi. Des bouteilles d’eau minérale par centaines. On peut leur couper l’eau, le gaz et l’électricité sans les mettre en difficulté. C’est vraiment un Bunker prêt à résister à toutes les attaques.
— Il n’y a pas de cave ?
— Non. Mais, par contre, il existe un grenier, des combles. Je n’ai pas pu les visiter aujourd’hui, j’espère le faire une autre fois.
— Mais tu n’auras pas les clés ?
— Si j’ai quitté la maison aussi tôt c’est pour une bonne raison. J’ai un copain qui a accepté de me faire un double de toutes. Certaines doivent être envoyées contre accusé de réception et j’ai donné mon adresse. D’ici quelques jours je les aurai toutes en mains. Je savais bien que Pierre Arbas réclamerait son trousseau. Le verrou les ennuie considérablement. En sortant d’ici ils l’ont tous regardé d’une drôle de façon. Mais il est préférable de le conserver.
— Tu es sûr que Caducci ne t’a pas entendu ?
— Absolument pas. Je me suis égaré trois fois et j’ai failli tomber dans une sorte d’oubliette miniature. Pas plus de trois mètres de profondeur mais faite de telle manière qu’on reste étroitement coincé, bras collés au corps sans possibilité de s’en sortir. L’astuce a consisté à lui donner une forme de tronc de cône, si bien que tu ne peux t’arc-bouter avec les pieds et que le haut du corps est coincé. Le labyrinthe occupe trois pièces chez les Caducci et une, très grande, dans l’appartement qu’ils se sont partagé.
— Mais qui possédait cet appartement ?
— Bachir le louait en attendant que le vieux Cambrier réussisse à le vendre en viager. Quand Bachir a laissé tomber, ils ont décidé de l’acheter en le morcelant.
Chacun une pièce, car c’était le plus grand des appartements. Celui de Pierre Arbas était tout petit.
— Tu as trouvé des renseignements sur Bachir ?
— Non, puisqu’il a quitté l’appartement l’année précédente et que tous les renseignements sur l’année dernière sont sous clé. Il n’a pas dû vouloir participer à la folie collective. Dès que nous aurons trouvé son adresse, nous lui rendrons visite pour savoir ce qu’il pense des habitants de ce Bunker. Ils ont dû le forcer à partir s’il sous-louait à une dizaine de compatriotes.
Ils avaient tout rangé. Il ne restait plus de Champagne, mais le porto et le pastis n’avaient pas été bus en totalité.
De même, il restait des canapés et des petits fours qu’ils placèrent dans le frigo.
— Demain, tu les distribueras. On ne peut pas manger tout ça et ce petit cadeau leur fera plaisir.
— Maintenant, on peut aller se coucher.
— Oui, mais pas dans le pigeonnier.
— Non ? Pourquoi ?
— On n’a qu’à choisir la chambre d’amis. On y sera très bien.
— Mais pourquoi ? Je préfère là-haut.
— Tu veux qu’ils t’asphyxient comme les Sanchez ?
À plusieurs reprises, elle se réveilla dans la nuit, croyant sentir une odeur de gaz. Ils avaient pourtant fermé le compteur, mais elle rêvait qu’ils commençaient d’être asphyxiés par leurs voisins.
Elle finit par se lever bien avant l’aube et alla ouvrir les volets du living, fut heureuse d’apercevoir le bistrot ouvert. Le beau-frère du patron lui adressa un petit signe de la main, bien qu’il ne la connaisses pas. La boutique des Roques était également ouverte, car elle pouvait voir le reflet de ses néons dans la vitrine du bistrot.
Elle finit par grimper dans le pigeonnier, s’allongea sur la moquette pour passer la tête sous la banquette bricolée par Sanchez et flaira en direction du trou par où passait le chat. Tiens, elle ne l’avait pas revu depuis plusieurs jours. Arbas devait le surveiller pour qu’il ne vienne pas chez elle. De l’autre côté, il y avait donc une pièce appartenant aux Arbas, une pièce nue, mais curieusement, alors qu’elle était presque délabrée, Manuel avait noté la présence d’un tuyau en cuivre neuf amenant le gaz jusqu’au mur mitoyen, juste au-dessus de la chatière.
— Une installation établie par Arbas lui-même. C’est un bon bricoleur et j’ai trouvé tout le matériel adéquat chez lui. Il n’a eu qu’à brancher un tuyau souple, le faire passer dans le pigeonnier pour liquider les Sanchez.
— Mais que faisaient-ils dans cette pièce ? On les a retrouvés dans leur chambre.
— Les Sanchez devaient se méfier et préférer coucher là-haut où il n’y avait pas d’installation de gaz. Mais ils n’ont pas été assez prudents et les autres les ont quand même eus. Ensuite, rien de plus facile que de venir ventiler la pièce et de placer les cadavres dans leur chambre à coucher avant qu’ils ne refroidissent.
Alice redescendit préparer du café, en but deux tasses d’un air songeur. Elle ne pouvait que faire confiance à Manuel sur la description de la pièce où Arbas avait installé le gaz. Au début, il n’admettait pas l’hypothèse que les Sanchez aient pu être assassinés et depuis peu il paraissait s’évertuer à le prouver au contraire. Pourquoi cette nouvelle attitude ? Était-elle vraiment étayée sur des faits nouveaux, des découvertes ou découlait-elle d’un plan tortueux ? Manuel Mothe poursuivait un but bien précis qu’elle ignorait mais l’argent des Sanchez devait l’intéresser. Pour un garçon qui parlait de filer aux antipodes, quinze à vingt millions anciens représentaient une fortune.
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