— Alors, au final, ce double ordinateur… c’est vous ? demanda Langdon, impressionné.
Winston rit.
— Cette machine n’est pas plus moi que vous n’êtes votre encéphale, professeur. Si vous observiez votre cerveau dans un bocal de formol, vous ne diriez jamais : « Cette chose, c’est moi. » Nous sommes la somme des interactions qui se produisent à l’intérieur.
— Winston, intervint Ambra en se dirigeant vers l’espace bureau. Combien de temps avant le début de la présentation ?
— Cinq minutes et quarante-trois secondes. Vous voulez qu’on s’y mette ?
— Oui. Bonne idée !
Le panneau se referma sur le cube, et Langdon rejoignit Ambra.
— C’est quand même bizarre, Winston, reprit-elle. Tu travailles tout le temps avec Edmond, et tu ne sais rien de sa découverte ?
— Mes données sont compartimentées. Je n’ai pas plus d’informations que vous. Mais je peux formuler des hypothèses.
— Lesquelles ?
— Eh bien, il affirmait que sa découverte allait « changer la face du monde ». D’après mon expérience, les révélations qui modifient en profondeur le cours de l’histoire sont celles qui transforment les modèles de l’univers — la sphéricité de la terre de Pythagore, l’héliocentrisme de Copernic, la théorie de l’évolution de Darwin, la relativité d’Einstein…
— Edmond aurait fait une découverte de ce genre ? Un nouveau modèle du cosmos ?
— C’est une hypothèse envisageable, répondit Winston, qui se mit à parler plus vite. MareNostrum est l’un des meilleurs « simulateurs » de la planète. Il est spécialisé dans les systèmes complexes, comme le fameux « Alya Red », un cœur humain virtuel en parfait état de fonctionnement, et modélisé jusqu’au niveau cellulaire. Et depuis l’addition récente de la fonction quantique, cette machine peut gérer des systèmes un million de fois plus complexes qu’un organe humain.
Si Langdon comprenait le concept, il ne voyait toujours pas en quoi cela aidait Edmond à répondre aux questions existentielles : D’où venons-nous ? Où allons-nous ?
— Winston ? appela Ambra depuis le bureau. Comment on allume tout ça ?
— Laissez-moi faire.
Les trois écrans LCD sortirent simultanément de leur veille. Sitôt que les images apparurent, Langdon et Ambra eurent un mouvement de recul.
— Winston… c’est en direct ? s’alarma Ambra.
— Oui. Ça vient de nos caméras extérieures. J’ai pensé que vous voudriez être au courant. Ils sont arrivés il y a une dizaine de secondes.
Une petite armée de policiers s’était massée devant l’entrée de la propriété. Des agents pressaient furieusement la sonnette et tentaient de pousser le portillon, tandis que d’autres parlaient dans leur radio.
— Ne vous inquiétez pas, les rassura Winston, ils ne pourront jamais entrer. Et il ne reste que quatre minutes avant le début de la présentation.
— On devrait la lancer tout de suite ! suggéra Ambra.
Winston répondit d’un ton tranquille :
— Je crois qu’Edmond aurait préféré qu’on attende 3 heures pile, comme on l’a promis. C’était un homme de parole. De plus, les réseaux sociaux s’affolent. À ce rythme, dans quatre minutes, notre audience aura augmenté de 12,7 pour cent. Nous serons alors tout près du pic optimal. (Il paraissait agréablement surpris.) Malgré les regrettables événements de ce soir, l’annonce d’Edmond n’aurait pu être diffusée à un meilleur moment. S’il pouvait être là, il vous remercierait chaleureusement.
Moins de quatre minutes ! se dit Langdon en s’installant dans le fauteuil de bureau, le regard fixé sur les trois écrans. Les caméras de sécurité continuaient de filmer les policiers, qui maintenant encerclaient la chapelle.
— Winston, tu es sûr qu’ils ne peuvent pas entrer ? demanda Ambra dans le dos de Langdon.
— Aucun risque. Edmond ne plaisantait pas avec la sécurité.
— Et s’ils coupent le courant ? s’inquiéta Langdon.
— On a une alimentation autonome. Les câbles sont enterrés et on a un double circuit. Personne ne peut interférer à ce niveau, croyez-moi.
Langdon n’insista pas.
Winston ne s’est pas trompé une seule fois… Et il a toujours protégé nos arrières.
Assis au centre de la table en fer à cheval, Langdon examina le clavier posé devant lui. Il possédait deux fois plus de touches que les modèles traditionnels — et toute une série de symboles que le professeur ne connaissait pas.
— Vous avez le mode d’emploi, Winston ?
— Ce n’est pas le bon clavier, professeur. Vous êtes devant le terminal principal d’E-Wave. Je vous l’ai dit, Edmond a caché sa découverte à tout le monde, même à moi. La vidéo doit être lancée d’un autre poste. Glissez sur votre droite. Jusqu’au bout.
À la droite de Langdon, s’alignaient une série d’ordinateurs, de plus en plus anciens et démodés.
Bizarre, se dit-il en passant devant un vieil IBM beige, qui datait sûrement de plusieurs décennies.
— Winston, c’est quoi ces dinosaures ?
— Les premières machines d’Edmond. Il les a gardées pour ne pas oublier d’où il vient. Parfois, dans les moments difficiles, il fait tourner de vieux programmes — pour se rappeler son émerveillement lorsqu’il a découvert la programmation.
— Oui, je comprends ça.
— Un peu comme votre montre Mickey.
La montre qu’on lui avait offerte quand il était enfant et qui ne quittait jamais son poignet. Comment Winston était-il au courant ? Par réflexe, il releva sa manche. Il la portait pour se rappeler de toujours rester jeune dans son cœur. Ce qu’il avait récemment avoué à Edmond, se rappela-t-il.
— Robert, intervint Ambra, on peut revenir à nos moutons ? Et entrer le mot de passe ? Même votre souris essaie d’attirer votre attention !
En effet, la main gantée de Mickey se trouvait au-dessus de sa tête, le doigt presque sur le 12. Plus que trois minutes !
Langdon s’installa devant le dernier ordinateur de la série — une boîte hideuse, marronnasse, avec un lecteur de disquettes, un vieux modem téléphonique d’une vitesse de 1 200 bauds, et un gros moniteur cathodique de douze pouces posé dessus.
— C’est un Tandy TRS-80, annonça Winston. Le premier ordinateur d’Edmond. Il l’a acheté à l’âge de huit ans et a appris tout seul la programmation en BASIC.
Malgré son âge canonique, la machine semblait réveillée, prête à l’emploi. Son œil vert affichait un message prometteur, dans une police préhistorique :
BIENVENUE, EDMOND
ENTREZ LE MOT DE PASSE :
Après « mot de passe », un curseur clignotait.
— Je tape le code ici ? interrogea Langdon, tout en se disant que c’était trop facile.
— Absolument, approuva Winston. Une fois le mot de passe entré, ce PC enverra un code de déverrouillage à la section de l’ordinateur principal qui renferme le fichier. J’aurai alors accès aux images et je pourrai les diffuser dans le monde entier, à 3 heures précises.
Même si Langdon suivait la logique, il restait perplexe devant le vieil ordi et son modem.
— Je ne comprends pas, Winston. Edmond a confié la garde de son précieux secret à une bécane qui date de Mathusalem ?
— C’est tout lui ! Vous le savez, il aimait les symboles, les vieux objets, et se mettre en scène. Ça a dû beaucoup l’amuser de rallumer son premier joujou pour lui confier les clés du chef-d’œuvre de sa vie.
C’est bien possible, songea Langdon.
— De plus, poursuivit Winston, il n’est pas illogique d’utiliser un ordinateur archaïque comme sésame. Les tâches simples ne nécessitent pas de machines sophistiquées. Et, au niveau sécurité, pirater un processeur de cette lenteur prendrait une éternité.
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