Et, apparemment, Winston avait réussi.
Langdon et Ambra atteignaient enfin la sortie de secours. Langdon referma aussitôt la porte derrière eux.
— Parfait, annonça la voix de Winston, surgissant de nouveau à l’intérieur du crâne de Langdon. Maintenant, descendez l’escalier.
— Et les gardes ?
— Ils sont loin. Je suis en ligne en ce moment avec eux. Sous la forme d’une agent de la sécurité du musée. Et je les entraîne vers une galerie à l’autre bout du bâtiment.
Incroyable ! songea Langdon en faisant signe à Ambra que tout allait bien et l’invitant à le suivre dans l’escalier.
— Descendez tout en bas, ordonna Winston, et quittez le musée. Petite info : une fois dehors, vous ne serez plus connectés avec moi.
Non ! Langdon n’avait pas pensé à ce détail technique. Il avait encore tant de questions à poser…
— Winston… Est-ce que vous saviez qu’Edmond avait révélé sa découverte à ces trois représentants religieux au début de la semaine ?
— Cela paraît invraisemblable… mais c’est ce qu’il a laissé entendre durant son introduction.
— L’un d’entre eux est l’archevêque Valdespino.
— Intéressant. J’ai vu sur Internet que c’est un proche conseiller du roi.
— Et ce n’est pas tout. Edmond a reçu un message de menace de ce même Valdespino peu après leur entrevue. Vous étiez au courant ?
— Non. Ça a dû se passer sur un canal privé.
— L’archevêque demandait à Edmond d’annuler sa présentation. S’il refusait, Valdespino et ses deux confrères le menaçaient de faire une annonce publique pour saper sa crédibilité.
Langdon ralentit le pas dans l’escalier et laissa Ambra passer devant. Il reprit en baissant la voix :
— Vous avez trouvé quelque chose entre Valdespino et Ávila ?
Winston marqua une infime pause.
— Non. Aucun lien apparemment, mais cela ne signifie pas qu’il n’y en ait pas. Juste que ce n’est pas documenté.
Ils approchaient du rez-de-chaussée.
— Professeur… Au vu des événements de la soirée, il paraît évident que des forces sont à l’œuvre pour empêcher que le monde soit informé de cette découverte. Des forces puissantes. Edmond a déclaré que vous avez été pour lui un guide et un mentor. Pour ses ennemis, vous êtes un dangereux électron libre. Alors, restez sur vos gardes.
Langdon n’avait pas pensé à cette éventualité. Une bouffée de colère l’envahit. Ambra l’attendait en bas, tenant la porte ouverte.
— Quand vous sortirez, poursuivit Winston, vous vous retrouverez dans une allée de service. Prenez sur la gauche en direction du fleuve. Je vais m’occuper de votre transport à l’endroit que vous m’avez indiqué.
BIO-EC346, songea Langdon, là où Edmond voulait qu’ils se retrouvent après la soirée. Il avait fini par déchiffrer le code. BIO-EC346 n’était pas le nom d’un centre de recherche secret. C’était beaucoup plus simple que ça. Il espérait néanmoins que ce serait la clé pour s’enfuir de Bilbao.
Encore fallait-il arriver là-bas sans se faire repérer…
Il y aurait des barrages partout.
Au moment où il sortait à l’air libre, Langdon remarqua les fragments d’un rosaire qui jonchaient le sol. Curieux. Mais il n’avait pas le temps de s’interroger davantage. Winston continuait de donner ses instructions :
— Une fois arrivés au fleuve, allez sous le pont de la Salve et attendez le…
Un bruit parasite vint brouiller la voix.
— Quoi ? Winston ? Qu’est-ce qu’on doit attendre ?
Mais Winston n’était plus là. Et la porte de métal claqua derrière eux.
À des kilomètres au sud, dans les faubourgs de Bilbao, une voiture Uber filait sur l’autoroute AP-68 en direction de Madrid. À l’arrière, l’amiral Ávila ôtait sa veste d’uniforme et sa casquette. Il flottait sur un petit nuage, savourant sa fuite sans accroc.
Exactement comme le Régent l’avait promis.
Quelques minutes après être monté à bord du véhicule, Ávila avait sorti son arme et l’avait pressée contre la tête du chauffeur. Obéissant à son ordre, l’homme avait jeté son téléphone portable par la fenêtre, coupant son seul lien avec le central.
Puis Ávila avait fouillé le portefeuille de l’employé, pour mémoriser son adresse et les noms de sa femme et de ses deux enfants. « Faites ce que je vous dis, ou votre famille mourra ! » Ávila avait remarqué les mains de l’homme cramponnées au volant ; les jointures de ses doigts avait perdu leur couleur. Il aurait un conducteur dévoué pour le reste de la nuit !
Je suis invisible maintenant, songea Ávila en avisant les cohortes de véhicules qui se dirigeaient vers le centre-ville, toutes sirènes hurlantes.
L’amiral se rencogna dans son siège. La route serait longue. Il sentait avec bonheur son adrénaline refluer.
J’ai bien servi la cause.
Il contempla le tatouage dans sa main. Il n’avait pas eu besoin de son talisman. Du moins pas pour l’instant.
Certain que l’obéissance du chauffeur lui était acquise, Ávila baissa son pistolet. Alors que la voiture filait vers Madrid, il examina encore une fois les deux autocollants sur le pare-brise.
Le premier était prévisible : le logo de Uber. Le second, toutefois, était plus inattendu, comme un signe du ciel.
La croix papale. On la voyait partout en ce moment. Dans toute l’Europe, les catholiques montraient leur solidarité avec le nouveau pape, louant sa volonté de réforme.
Quelle ironie du sort !
Ávila avait pris un plaisir particulier à terrifier avec son arme ce partisan de la nouvelle Église. Ce pape avait de plus en plus de fidèles. Chacun voulait se servir au buffet des lois de Dieu, décider laquelle était bonne, laquelle ne l’était pas ! En un rien de temps, voilà qu’au Vatican on se mettait à débattre contraception, mariage gay, femmes prêtres, et autres modernités. Deux mille ans d’Histoire semblaient s’être évaporés.
Heureusement, il existe encore des défenseurs de la tradition, songea-t-il, tandis que la marche d’Oriamendi résonnait dans sa tête.
Et c’est un honneur de pouvoir défendre leur cause.
Les plus anciennes troupes d’élite de l’Espagne — la Guardia Real — dataient du Moyen Âge. Les soldats de ce corps devaient jurer devant Dieu d’assurer la sécurité de la famille royale, de protéger ses biens et de défendre son honneur.
Le commandant Diego Garza, à la tête de près de deux mille individus, était un homme chétif au teint basané, avec de petits yeux et des cheveux clairsemés qui laissaient entrevoir son crâne pommelé. Avec sa tête de fouine et sa stature modeste, Garza était quasi invisible, ce qui était un atout dans les couloirs du Palais.
Depuis longtemps, Garza savait que le véritable pouvoir ne venait pas de la force physique mais de l’influence. Commander la Guardia Real lui conférait une certaine position, mais c’était son sens politique qui avait fait de lui un homme indispensable à Madrid, tant pour les affaires personnelles que professionnelles.
En matière de secrets, Garza était d’une fiabilité à toute épreuve. Sa réputation de discrétion, doublée d’une rare capacité à régler les problèmes les plus épineux, l’avait rendu incontournable. Mais, aujourd’hui, Garza comme bien d’autres s’interrogeait sur le devenir de l’Espagne car le souverain se mourait dans le Palais de la Zarzuela.
Pendant près de quarante ans, le roi avait régné sur ce pays turbulent. Depuis que la monarchie parlementaire avait été établie après les trente-six années de dictature. À la mort de Franco, en 1975, le monarque avait travaillé main dans la main avec le gouvernement pour faire de l’Espagne une grande nation démocratique et progressiste.
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