— Bonsoir, tout le monde, dit-elle d’une voix mélodieuse avec une pointe d’accent espagnol. Je suis Ambra Vidal.
Une salve d’applaudissements retentit, accompagnée de vivats. Visiblement, elle n’était pas une inconnue.
— ¡ Felicidades, Ambra ! cria quelqu’un.
La femme rougit. Langdon était un peu perdu. À l’évidence, il lui manquait des infos…
— Comme vous le savez, reprit-elle, je suis depuis cinq ans la directrice du musée Guggenheim de Bilbao et suis très heureuse de vous accueillir ce soir pour cet événement exceptionnel organisé par un homme tout aussi exceptionnel.
Tout le monde applaudit de nouveau. Cette fois, Langdon se joignit aux autres.
— Edmond Kirsch est non seulement un généreux donateur du musée, mais il est devenu un ami très cher. C’est un privilège et un honneur pour moi d’avoir pu travailler avec lui ces derniers mois pour que cette soirée puisse voir le jour. La blogosphère et les réseaux sociaux ne parlent que de cela, ce soir ! Edmond Kirsch s’apprête à présenter une grande découverte scientifique, une révélation dont le monde se souviendra longtemps et qui le transformera à jamais.
Une rumeur d’excitation résonna dans la salle.
La femme esquissa un sourire malicieux.
— Évidemment, j’ai supplié Edmond de me dire de quoi il s’agissait, mais il n’a rien voulu lâcher.
Des rires fusèrent.
— Cette présentation sera faite en anglais, la langue natale d’Edmond Kirsch, mais pour nos spectateurs en ligne une traduction en temps réel dans vingt langues est disponible.
Il y eut un fondu à l’image.
— Pour ceux qui douteraient encore de l’assurance d’Edmond concernant la validité de ses travaux, voici, à l’écran, le communiqué de presse qui vient d’être publié sur tous les médias du monde il y a un quart d’heure :
Ce soir à 20 heures, en direct de Bilbao,
le futurologue Edmond Kirsch va annoncer une découverte
qui va changer la face du monde.
Voilà comment on s’assure trois millions de connexions simultanées ! pensa Langdon.
Alors qu’il reportait son attention sur la scène, il repéra deux gardes en faction de part et d’autre de l’estrade qui scrutaient la foule. Il les avait déjà vus un peu plus tôt. Mais cette fois, il remarqua le monogramme qui ornait leurs vestes. GR.
La Guardia Real ? Qu’est-ce qu’elle fait là ?
Aucun membre de la famille royale n’était présent. En catholiques traditionalistes, ils ne risquaient pas d’assister à la conférence d’un athée impénitent comme Edmond Kirsch.
L’Espagne était une monarchie constitutionnelle. Le roi avait des pouvoirs limités, mais il avait toujours une grande influence sur le peuple. Pour des millions d’Espagnols, la couronne restait l’héritière de los reyes católicos et le symbole de l’âge d’or de l’Espagne. Le Palais royal de Madrid était toujours un haut lieu spirituel, le mémorial d’une longue tradition religieuse.
En Espagne, on avait coutume de dire : « Le parlement légifère mais le roi règne. » Depuis des siècles, les rois qui présidaient aux affaires diplomatiques du pays étaient des catholiques conservateurs.
Et le roi actuel ne fait pas exception à la règle, se rappela Langdon.
Ces derniers mois, on disait le vieux monarque mourant. La nation se préparait à le voir abdiquer au profit de son fils unique, Julián. On ne savait pas grand-chose sur le prince. La presse rapportait qu’il avait grandi à l’ombre de son père. Tout le pays se demandait quel roi il ferait.
Le prince Julián aurait-il envoyé des agents de la Guardia pour surveiller la soirée d’Edmond ? s’étonna Langdon.
Les menaces de Valdespino lui revinrent brièvement en mémoire, mais elles furent vite chassées par l’atmosphère de la salle, joyeuse et bon enfant. Et puis Edmond lui avait affirmé que, ce soir, la sécurité était optimale. Ces agents de la Guardia Real n’étaient peut-être qu’une protection de plus dans le dispositif.
— Ceux qui connaissent notre hôte et son sens inné de la dramaturgie, poursuivit Ambra Vidal, se doutent bien qu’Edmond ne compte pas nous laisser dans cette pièce vide.
Elle désigna deux grandes portes au fond de la salle.
— Derrière ces battants, Edmond a conçu un « espace expérientiel » pour faire sa présentation mondiale. Elle va être animée par une batterie d’ordinateurs et diffusée en streaming à travers toute la planète. (Elle marqua une pause pour consulter sa montre.) Le timing de cette soirée est très précis. Edmond voudrait que nous soyons tous dans cette salle à 20 h 15. C’est-à-dire dans trois minutes. Il est donc grand temps de nous y rendre. Allons découvrir, mesdames et messieurs, la surprise qu’Edmond Kirsch nous réserve.
Les doubles portes s’ouvrirent.
Langdon s’attendait à apercevoir une autre galerie. Mais contre toute attente, un tunnel obscur s’offrit à son regard.
*
L’amiral Ávila laissa passer le gros de la foule qui se pressait avec excitation vers les portes. Il faisait sombre de l’autre côté. Parfait.
Cela me facilitera la tâche !
Il toucha le rosaire dans sa poche, se remémorant ses instructions.
Il n’y aurait pas de deuxième chance.
Des borniols étaient tendus entre les arches. Le tunnel mesurait cinq ou six mètres de large et bifurquait légèrement sur la gauche. Le sol était tapissé d’une épaisse moquette noire. Une ligne de leds au bas des parois constituait le seul éclairage.
— Ôtez vos chaussures, s’il vous plaît, annonçait un gardien à chaque nouvel arrivant. Et gardez-les avec vous.
Langdon retira ses souliers vernis. Sitôt en chaussettes, il sentit ses pieds s’enfoncer dans les fibres généreuses et un bien-être l’envahit immédiatement. Autour de lui, ce n’était qu’un récital de soupirs d’aise.
Il progressa dans le boyau et en vit bientôt la fin : un rideau noir devant lequel un bataillon d’employés tendaient à chacun une sorte d’épaisse serviette de bain avant de leur permettre de se glisser sous la tenture.
Le silence régnait dans le tunnel. On n’entendait plus un rire. Quand Langdon arriva à son tour devant le rideau, il s’aperçut qu’en fait de drap de bain il s’agissait plutôt d’une couverture avec un oreiller intégré. Il remercia l’homme et passa à son tour dans le sas.
Une fois de plus, il se figea de surprise. Il s’était attendu à tout sauf à ça.
On est… dehors ?
Langdon se tenait au bord d’un grand pré. Au-dessus de lui s’ouvrait un ciel étoilé, et au loin un croissant de lune s’élevait derrière un érable solitaire. Les grillons chantaient, une brise légère caressait ses joues, il flottait dans l’air des senteurs d’herbes fraîchement coupées.
— Allez-y, monsieur, je vous en prie, murmura un guide en lui prenant le bras. Trouvez-vous un endroit. Étalez votre couverture sur l’herbe et profitez du spectacle.
Langdon s’avança, en compagnie d’autres invités aussi sidérés que lui. La pelouse avait la taille d’un terrain de hockey, ceint d’arbres, de buissons et de plantes qui bruissaient sous le vent.
Une illusion. Une œuvre d’art !
Je suis dans un planétarium du futur ! se dit-il en admirant la précision des détails.
Le ciel empli d’étoiles était une projection, comme la lune, les nuages, les collines ondulant au loin. En revanche, les arbres et les plantes étaient réels — soit de superbes imitations en plastique ou une petite forêt en pot. Cette ceinture de végétation masquait astucieusement les limites de la salle.
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