— Winston, il s’agit d’une copie. Ce n’est même pas de la toile.
— Je ne travaille pas sur de la toile. Je crée de l’art numérique, puis Edmond l’imprime pour moi.
— Cette peinture est de vous ?
— Absolument. J’ai tenté d’imiter le style de Miró.
— Je vois ça ! Vous avez même signé Miró .
— Pas du tout. Je l’ai signée Miro , sans accent. En espagnol « miro », ça signifie « je regarde ».
Astucieux, se dit Langdon en s’approchant. Au milieu, un œil à la Miró scrutait le spectateur.
— Edmond m’a demandé de faire mon autoportrait.
Langdon contempla l’assemblage de patatoïdes. Vous avez une drôle de tête, Winston !
Edmond voulait que les ordinateurs puissent inventer leur propre algorithme d’art — de l’art généré par des suites complexes d’instructions. Cela soulevait une question dérangeante : quand un ordinateur crée, qui est l’artiste ? L’ordinateur ou le programmeur ? Au MIT, une exposition rassemblant des œuvres générées par ordinateur avait perturbé le monde des lettres de Harvard. Est-ce l’art qui nous rend humains ?
— Je compose de la musique aussi, claironna Winston. Edmond vous fera écouter ça. Mais pour le moment, hâtons-nous !
Au sortir de la galerie, Langdon se retrouva sur une passerelle accrochée dans les hauteurs de l’atrium. De l’autre côté, des gardiens dirigeaient les retardataires vers des portes.
— Ça va commencer dans quelques minutes. Vous avez repéré l’entrée de la salle ?
— Oui. Droit devant.
— Parfait. Un dernier point. En entrant, vous trouverez des réceptacles où laisser les audio-guides. Edmond souhaite que vous gardiez le vôtre. Ainsi, après la présentation, je pourrai vous faire sortir par une issue de service. Cela évitera la cohue et vous serez sûr de trouver un taxi.
— Winston, tout ce que j’ai comme adresse c’est BIO-EC346 !
— C’est enfantin, je vous l’assure ! Allez vous installer et profitez de la soirée. Je me ferai ensuite un plaisir de vous assister.
Il y eut un clic. Winston était parti.
Langdon glissa les écouteurs dans sa poche et passa les portes avec les derniers invités.
Une fois de plus, il fut déconcerté.
Il s’attendait à trouver un auditorium avec des sièges confortables, mais les convives étaient rassemblés dans une salle toute blanche, sans fauteuil ni œuvres d’art. Une sorte de hall. Au fond, une petite estrade était flanquée d’un grand écran où un compte à rebours défilait :
Transmission dans 2 minutes 07 secondes
L’impatience le gagna.
Il y avait une autre ligne à l’écran :
Followers connectés : 1 953 694
Deux millions de personnes ?
Kirsch avait prévenu qu’il mettrait en ligne sa présentation. Mais le chiffre était considérable. Et il ne cessait de croître !
Langdon eut un sourire. Son ancien étudiant transformait tout en or. Restait à savoir ce qu’il comptait annoncer au monde.
À l’est de Dubaï, dans le désert sous le clair de lune, un buggy fit un brusque écart et s’arrêta en soulevant une gerbe de sable.
Derrière le volant, le jeune homme retira ses lunettes et regarda la forme noire qu’il venait d’éviter. Guère rassuré, il descendit de son engin et s’approcha.
Il s’agissait d’un corps humain ! Immobile. Le visage enfoui dans le sol.
— Marhaba ?
Pas de réponse.
Le jeune conducteur reconnut la chéchia traditionnelle et la djellaba — l’homme avait l’air robuste et bien nourri. Le vent avait effacé depuis longtemps ses empreintes. Tout comme les traces du véhicule qui l’avait sans doute emmené aussi loin dans le désert.
— Marhaba ? répéta le garçon.
Toujours aucune réponse à son salut.
Ne sachant que faire, l’adolescent toucha le corps de la pointe du pied. Malgré le ventre rebondi, la chair était toute dure, desséchée par le soleil.
L’homme était bel et bien mort.
Le garçon se baissa, attrapa le cadavre par l’épaule et le retourna. Il avait les yeux grands ouverts, sans vie. La barbe et les joues étaient maculées de sable, pourtant ce visage lui était familier.
Un vrombissement de quads et de buggies s’éleva dans la nuit. Le reste de la troupe avait fait demi-tour pour s’assurer que tout allait bien. Ses amis apparurent au sommet de la dune qu’ils dévalèrent bruyamment.
Tout le monde se gara, retira casques et lunettes et se rassembla autour de la découverte macabre. L’un des garçons reconnut le célèbre ouléma Syed al-Fadl. Il avait assisté à quelques-unes de ses conférences à l’université.
— Matha Alayna ‘an naf’al ? demanda-t-il. Qu’est-ce qu’on fait ?
Les jeunes hésitèrent un moment. Puis ils firent ce que font tous les ados de la terre : ils sortirent leurs téléphones et prirent des photos.
La foule se pressait devant l’estrade. Langdon surveillait le compteur qui s’affolait.
Followers connectés : 2 527 664
Le brouhaha était assourdissant. Tout le monde trépignait d’impatience, passant un dernier appel, un dernier tweet pour informer son réseau.
Un technicien vint au pupitre et brancha le microphone.
— Mesdames et messieurs, nous vous demandons d’éteindre vos portables et tablettes. Nous allons bloquer toutes les communications wifi et cellulaires pendant la durée de la présentation.
Ceux qui avaient encore leur smartphone à l’oreille virent leur conversation brusquement interrompue. Ils regardèrent leur écran avec stupéfaction. Encore une prouesse technologique du grand Edmond Kirsch.
À peine cinq cents dollars dans n’importe quel magasin d’électronique ! songea Langdon.
Comme beaucoup de ses collègues, lui aussi utilisait un brouilleur pendant ses cours pour que ses étudiants lâchent leur téléphone.
Un autre technicien s’installa, avec une grosse caméra sur l’épaule, qu’il braqua vers l’estrade. Les lumières diminuèrent.
Sur l’écran géant, on pouvait lire :
Transmission dans 38 secondes
Followers connectés : 2 857 914
Le nombre d’internautes grimpait plus vite que la dette nationale. Près de trois millions de spectateurs en ligne simultanément, assis tranquillement devant leur ordinateur pour assister à cette conférence ?
— Trente secondes, annonça-t-on.
Une petite porte s’ouvrit dans le mur du fond. Tout le monde se tut. L’entrée en scène du grand gourou !
Mais point d’Edmond.
La porte resta ouverte un moment.
Puis une femme élégante apparut. Elle était d’une beauté saisissante — grande et mince, avec de longs cheveux bruns — et portait une robe blanche ajustée, barrée d’une écharpe noire. Elle semblait à peine toucher le sol quand elle s’avança sur la scène. Elle régla le micro, prit une longue inspiration, et contempla la foule avec un sourire tranquille en attendant la fin du compte à rebours.
Transmission dans 10 secondes
La jeune femme ferma les yeux un moment pour se concentrer, puis les rouvrit. Une icône pleine de grâce.
Le cameraman leva la main et, les cinq doigts tendus, commença le décompte.
Quatre, trois, deux…
Le silence tomba dans la salle. À l’écran, les compteurs disparurent au profit du visage de la jeune femme. Elle parcourut l’assistance de ses yeux sombres, et repoussa d’un geste délicat une mèche rebelle.
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