— Alors elle va sans doute apprécier les menottes que je lui garde au chaud, dit Hans Faste.
Sonja Modig soupira profondément.
— Continue, dit Bublanski.
— Deuxièmement : une info nous dit que Miriam Wu a mené un flirt poussé au Moulin avec une fille qui correspond au signalement de Salander. C'était il y a une quinzaine de jours. L'informateur affirme qu'il sait qui est Salander et qu'il l'a déjà croisée au Moulin, bien que cette année on ne l'y ait pas vue puisqu'elle était à l'étranger. Je n'ai pas eu le temps de vérifier avec le personnel. Je vois ça cet après-midi.
— Son dossier aux Affaires sociales ne mentionne pas qu'elle est lesbienne. Dans son adolescence, elle faisait souvent des fugues de ses familles d'accueil pour aller draguer des hommes dans les bars. Plusieurs fois, elle a été arrêtée en compagnie d'hommes plus âgés qu'elle.
— Parce qu'en plus elle faisait le trottoir ! dit Hans Faste.
— Qu'est-ce qu'on sait sur ses amis ? Curt ?
— Pratiquement rien. Elle n'a pas été interpellée depuis qu'elle avait dix-huit ans. Elle connaît Dragan Armanskij et Mikael Blomkvist, ça, on le sait. Et elle connaît évidemment Miriam Wu. La même source qui m'a tuyauté sur elle et Wu au Moulin dit qu'elle traînait avec un groupe de nanas autrefois. Un groupe de filles qui se faisaient appeler les Evil Fingers.
— Evil Fingers ? Et c'est quoi ? voulut savoir Bublanski.
— On dirait un truc occulte. Elles avaient l'habitude de se réunir pour faire la bringue.
— Ne dis pas que Salander est une foutue sataniste aussi, dit Bublanski. Les médias vont en raffoler.
— Un groupe de lesbiennes satanistes, proposa Faste généreusement.
— Hans, tu as une vision moyenâgeuse des femmes, dit Sonja Modig. Même moi j'ai entendu parler des Evil Fingers.
— Ah bon ? fit Bublanski, tout surpris.
— C'était un groupe de rock féminin à la fin des années 1990. Pas des super-vedettes, mais un moment elles étaient vaguement connues.
— Donc, des lesbiennes satanistes jouant du hard rock, dit Hans Faste.
— Ça va, ça va, dit Bublanski. Hans, toi et Curt vous vous renseignerez sur les membres des Evil Fingers et vous irez leur parler. Est-ce que Salander a d'autres amis ?
— Pas beaucoup, à part son ancien tuteur, Holger Palmgren. Mais il est en soins de longue durée après une attaque, apparemment c'est assez grave. Non — je ne peux vraiment pas dire que j'ai trouvé un cercle d'amis. Cela dit, nous n'avons pas non plus déniché le domicile de Salander, ni de carnet d'adresses, mais je n'ai pas l'impression qu'elle ait beaucoup d'amis proches.
— Quand même, personne ne peut se balader comme un fantôme sans laisser de traces dans la société. Qu'est-ce qu'il faut penser de Mikael Blomkvist ?
— On ne l'a pas exactement placé en filature, mais on lui a donné de nos nouvelles de temps à autre au cours du week-end, dit Faste. Au cas où Salander se manifesterait, donc. Il est rentré chez lui après le boulot et ne semble pas avoir quitté son appartement pendant tout le weekend.
— J'ai du mal à croire qu'il soit impliqué dans le meurtre, dit Sonja Modig. Sa version tient la route et il nous a fourni un emploi du temps détaillé pour la soirée en question.
— Mais il connaît Salander. Il est le maillon entre elle et le couple d'Enskede. Et ensuite il y a son témoignage sur les deux hommes qui ont agressé Salander une semaine avant les meurtres. Qu'est-ce qu'il faut en penser ?
— A part Blomkvist, il n'y a pas un seul témoin de l'agression... ou de la supposée agression, dit Faste.
— Tu penses que Blomkvist fabule ou qu'il ment ?
— Je ne sais pas. Mais toute l'histoire paraît inventée. Un homme adulte qui n'arriverait pas à bout d'une fille qui pèse dans les quarante kilos, je n'y crois pas.
— Pourquoi est-ce que Blomkvist mentirait ?
— Peut-être pour détourner l'attention de Salander.
— Et rien de tout ça ne colle vraiment. C'est Blomkvist qui a avancé la théorie que le couple d'Enskede a été tué à cause du livre que Dag Svensson était en train d'écrire.
— Tu parles, dit Faste. C'est Salander. Pourquoi est-ce que quelqu'un assassinerait son tuteur pour faire taire Dag Svensson ? Et qui... un gars de la police ?
— Si Blomkvist publie sa théorie, on sera dans la merde avec des pistes policières dans tous les sens, dit Curt Bolinder.
Tout le monde hocha la tête.
— OK , dit Sonja Modig. Pourquoi a-t-elle tué Bjurman ?
— Et que veut dire ce tatouage ? demanda Bublanski en montrant la photographie du ventre de Bjurman.
JE SUIS UN PORC SADIQUE, UN SALAUD ET UN VIOLEUR.
Un bref silence s'abattit sur le groupe.
— Que disent les médecins ? voulut savoir Bohman.
— Le tatouage date d'il y a un à trois ans. Ils peuvent le voir à la peau, selon la profondeur du saignement, dit Sonja Modig.
— On peut supposer que Bjurman ne s'est pas fait tatouer ça volontairement.
— C'est vrai qu'il y a des tarés partout, mais j'imagine que ça ne fait pas partie des tatouages très courants, même parmi les fanas.
Sonja Modig agita un index.
— Le médecin légiste dit que techniquement c'est un tatouage épouvantable, ce que moi-même j'ai pu constater. Conclusion : c'est un amateur qui l'a réalisé. L'aiguille n'a pas été enfoncée avec régularité et c'est un énorme tatouage sur une partie très sensible du corps. Globalement, ça a dû être une procédure terriblement douloureuse, qu'il faudrait pratiquement mettre au niveau des coups et blessures aggravés.
— A part le fait que Bjurman n'a jamais porté plainte, dit Faste.
— Moi non plus je ne porterais pas plainte si quelqu'un me tatouait un slogan pareil sur le ventre, dit Curt Bolinder.
— J'ai un autre truc, dit Sonja Modig. Qui viendrait éventuellement étayer le message du tatouage — que Bjurman était un porc sadique.
Elle ouvrit un dossier avec des photos sorties de l'imprimante qu'elle fit circuler.
— J'en ai seulement imprimé un petit échantillonnage. Mais voilà ce que j'ai trouvé dans un dossier sur le disque dur de Bjurman. Ce sont des photos téléchargées d'Internet. Son ordinateur contient plus de deux mille photos de ce genre.
Faste siffla et brandit une photo d'une femme ligotée dans une position brutale et inconfortable.
— C'est peut-être quelque chose pour Domino Fashion ou Evil Fingers, dit-il.
Bublanski agita une main irritée pour que Faste ferme sa gueule.
— Comment faut-il interpréter ça ? demanda Bohman.
— Le tatouage date de disons... deux ans, dit Bublanski. C'est à peu près l'époque où Bjurman est tombé malade. Ni le médecin légiste, ni son dossier médical n'indiquent qu'il avait de maladies sérieuses, à part de l'hypertension. On peut donc supposer qu'il y a un lien.
— Salander a changé au cours de cette même année, dit Bohman. Elle a soudain cessé de travailler pour Milton et elle s'est tirée à l'étranger.
— Sommes-nous d'accord pour supposer qu'il y a un lien là aussi ? Si le message du tatouage est correct, Bjurman avait donc violé quelqu'un. Salander est indéniablement bien placée. Dans ce cas, ce serait un bon mobile pour un meurtre.
— Il y a quand même d'autres façons d'interpréter ça, dit Hans Faste. J'imagine bien un scénario où Salander et la Chinetoque proposent une sorte de service d'escorte teinté sadomaso. Bjurman étant un de ces barges qui prennent leur pied à se faire fouetter par des petites filles. Il a pu se trouver dans une sorte de relation de dépendance avec Salander où les choses ont déraillé.
— Mais ça n'explique pas pourquoi elle est allée à Enskede.
— Si Dag Svensson et Mia Bergman étaient sur le point de révéler le commerce du sexe, ils peuvent être tombés sur Salander et Wu. Là, il peut y avoir eu un motif pour Salander de les tuer.
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