Si Mikael appelait la police et racontait où Niedermann se terrait, il serait obligé de raconter que Lisbeth Salander s'y rendait probablement en ce moment. Elle était recherchée pour trois meurtres et pour usage d'arme à Stallarholmen. Cela signifierait que la force d'intervention nationale ou Dieu sait quel commando de ce genre seraient dépêchés pour l'interpeller.
Et Lisbeth Salander résisterait probablement avec la plus grande violence.
Mikael prit un papier et un stylo, et dressa une liste de ce qu'il ne pouvait pas ou ne voulait pas raconter à la police.
Pour commencer, il écrivit L'adresse.
Lisbeth avait mis beaucoup de soin à se procurer une adresse secrète. C'est là qu'elle avait sa vie et ses secrets. Il n'avait pas l'intention de la vendre.
Ensuite il écrivit Bjurman, suivi d'un point d'interrogation.
Du coin de l'œil, il regarda le CD sur la table devant lui. Bjurman avait violé Lisbeth. Il avait failli la tuer et il avait honteusement tiré profit de sa position comme tuteur. Aucun doute là-dessus. Il devrait être dénoncé comme le salopard qu'il était. Sauf que là se posait un dilemme éthique. Lisbeth n'avait pas porté plainte contre lui. Avait-elle envie d'être livrée aux médias par le biais d'une enquête de police dont les détails les plus intimes s'échapperaient au bout de quelques heures ? Elle ne le lui pardonnerait jamais. Le CD constituait une preuve et des extraits feraient leur petit effet dans les tabloïds.
Il réfléchit un moment et se dit finalement que c'était à Lisbeth de décider comment elle voulait agir. Mais si lui avait su trouver son appartement, la police devrait tôt ou tard réussir à faire pareil. Il mit le CD dans une pochette qu'il glissa dans son sac.
Ensuite il écrivit Le rapport de Björck. Le rapport de 1991 avait été classé secret d'Etat. Il éclairait sur tout ce qui s'était passé. Il nommait Zalachenko et expliquait le rôle de Björck, et avec la liste des michetons de l'ordinateur de Dag Svensson, Björck allait passer quelques heures difficiles face à Bublanski. Grâce à la correspondance, Peter Teleborian aussi se retrouvait dans la merde.
Le classeur allait mener la police à Gosseberga... mais Mikael aurait au moins quelques heures d'avance. Pour finir, il lança Word et écrivit point par point tous les faits importants qu'il avait découverts au cours des dernières vingt-quatre heures grâce aux entretiens avec Björck et Palmgren, et aux documents qu'il avait trouvés chez Lisbeth. Ce travail lui prit une bonne heure. Il grava le document sur un CD avec sa propre enquête.
Il se demanda s'il devait donner de ses nouvelles à Dragan Armanskij, mais décida de laisser tomber. Il avait suffisamment de balles comme ça à garder en l'air.
MIKAEL S'ARRÊTA A LA RÉDACTION de Millenium et s'enferma avec Erika Berger.
— Il s'appelle Zalachenko, dit Mikael sans même la saluer. C'est un vieil assassin soviétique du service de renseignements. Il a déserté en 1976 et a eu un permis de séjour en Suède et un salaire versé par la Sàpo. Après la chute de l'URSS, il est devenu gangster à temps plein, comme tant d'autres, et il s'occupe de trafic de femmes, d'armes et de drogues.
Erika Berger posa son stylo.
— OK. Pourquoi est-ce que je ne suis pas étonnée de voir le KGB surgir dans cette histoire ?
— Pas le KGB. Le GRO. Le bureau de renseignements militaires.
— C'est du sérieux, donc.
Mikael hocha la tête.
— Tu veux dire que c'est lui qui a tué Dag et Mia ?
— Pas personnellement. Il a envoyé quelqu'un. Ronald Niedermann que Malou a trouvé.
— Tu peux le prouver ?
— Grosso modo. Restent quelques zones d'ombre. Mais Bjurman a été tué parce qu'il a demandé de l'aide à Zalachenko pour s'occuper de Lisbeth.
Mikael expliqua ce qu'il avait vu sur le film que Lisbeth conservait dans le tiroir de son bureau.
— Zalachenko est son père. Bjurman a formellement travaillé pour la Säpo au milieu des années 1970, il était de ceux qui ont accueilli Zalachenko quand il a abandonné le navire. Ensuite il est devenu avocat et démerdard à plein temps, et il rendait des services à un groupe restreint au sein de la Säpo. C'est à croire qu'il existe un très petit cercle qui se réunit de temps en temps au sauna pour diriger le monde et conserver le secret sur Zalachenko. Je pense que pour le reste la Sàpo n'a jamais entendu parler du salopard. Lisbeth menaçait de révéler le secret. Conclusion, ils l'ont enfermée en pédopsy.
— Ce n'est pas vrai.
— Si, dit Mikael. D'accord, c'est assez spécial, et Lisbeth n'était pas très gérable à l'époque comme maintenant... mais depuis ses douze ans, elle représente une menace pour la sécurité de la nation.
Il fit un rapide résumé de l'histoire.
— Ça fait beaucoup à digérer, dit Erika. Et Dag et Mia...
— Ont été tués parce que Dag avait trouvé le lien entre Bjurman et Zalachenko.
— Et qu'est-ce qui va se passer maintenant ? On devrait quand même raconter tout ça à la police ?
— Certaines parties, oui, mais pas tout. J'ai rassemblé toute l'information essentielle sur ce CD, genre sauvegarde au cas où. Lisbeth est partie à la chasse à Zalachenko. Je vais essayer de la retrouver. Rien sur ce CD ne doit filtrer.
— Mikael... je n'aime pas ça du tout. On ne peut pas retenir des informations dans une enquête de meurtre.
— On ne retiendra rien. J'ai l'intention d'appeler Bublanski. Mais je pense que Lisbeth est en route pour Gosseberga. Elle est recherchée pour un triple meurtre et si on appelle la police, ils vont envoyer les forces d'intervention avec des armes de gros calibre, et il y a de fortes chances qu'elle résiste. Et alors n'importe quoi peut arriver.
Il s'arrêta et sourit sans joie.
— Il faut qu'on tienne la police à l'écart ne serait-ce que pour épargner les forces d'intervention qui risquent d'y laisser des plumes. Il faut que je mette la main sur Lisbeth en premier.
Erika Berger eut l'air sceptique.
— Je n'ai pas l'intention de révéler les secrets de Lisbeth. Bublanski n'a qu'à les trouver tout seul. Je veux que tu me rendes un service. Ce classeur contient le rapport de Björck de 1991 et une correspondance entre Björck et Teleborian. Je voudrais que tu en fasses une copie et l'envoies par porteur à Bublanski ou à Modig. Pour ma part, je prends le train pour Göteborg dans vingt minutes.
— Mikael...
— Je sais. Mais j'ai l'intention d'être dans le camp de Lisbeth pendant la bataille.
Erika Berger serra les lèvres et ne dit rien. Puis elle hocha la tête. Mikael se dirigea vers la porte.
— Sois prudent, dit Erika alors qu'il avait déjà disparu.
Elle se dit qu'elle aurait dû partir avec lui. C'était la seule chose convenable. Mais elle n'avait toujours pas raconté qu'elle allait démissionner de Millenium et que tout était fini, quoi qu'il arrive. Elle prit le classeur et alla copier les documents.
LA BOÎTE POSTALE se trouvait dans un bureau de poste d'un centre commercial. Lisbeth ne connaissait pas Göteborg et ne savait pas exactement où elle était, mais elle avait localisé le bureau de poste et s'était installée dans une cafétéria d'où elle apercevait la boîte par un mince interstice entre des posters publicitaires pour la Nouvelle Poste Suédoise suspendus à des fils.
Irene Nesser était maquillée plus discrètement que Lisbeth Salander. Elle avait un collier ridicule et elle lisait Crime et Châtiment, trouvé chez un bouquiniste quelques rues plus au nord. Elle prenait son temps et tournait régulièrement les pages. Elle avait commencé sa surveillance vers midi et elle ignorait complètement à quelle heure la boîte était relevée en général, si c'était quotidiennement ou peut-être toutes les deux semaines, si elle était déjà relevée pour aujourd'hui ou si quelqu'un allait venir. Mais c'était sa seule piste et elle but des caffè latte en attendant.
Читать дальше