Bjurman.
Le tuteur de Lisbeth Salander l'avait violée et elle avait un témoignage de cet événement dans le moindre détail. Une datation digitale révélait que le film avait été tourné deux ans plus tôt. C'était avant qu'il fasse sa connaissance. Plusieurs morceaux du puzzle tombèrent à leur place.
Björck et Bjurman avec Zalachenko dans les années 1970. Zalachenko et Lisbeth Salander et un cocktail Molotov artisanal dans une brique de lait au début des années 1990.
Puis Bjurman de nouveau, maintenant devenu son tuteur à la suite de Holger Palmgren. Le cercle était refermé. Ce type avait agressé sa protégée. Il l'avait considérée comme une fille mentalement malade et sans défense, mais Lisbeth Salander n'était pas sans défense. Elle était la fille qui à l'âge de douze ans avait engagé la lutte contre un tueur professionnel retiré du GRO et qui l'avait transformé en handicapé à vie.
Lisbeth Salander était la femme qui haïssait les hommes qui n'aimaient pas les femmes.
Il pensa à l'époque où il avait appris à la connaître à Hedestad. Ce devait être quelques mois après le viol. Il ne se souvenait pas qu'elle ait eu le moindre mot pour insinuer un tel événement. Dans l'absolu, elle ne lui avait pas révélé grand-chose sur elle-même. Mikael ne pouvait même pas imaginer ce qu'elle avait fait à Bjurman — mais elle ne l'avait pas tué. Bizarrement. Sinon Bjurman serait mort deux ans plus tôt. Elle avait dû instaurer un moyen de contrôle sur lui et dans un but qu'il n'arrivait pas à imaginer. Ensuite Mikael réalisa qu'il avait l'instrument de contrôle devant lui sur la table. Le CD. Tant qu'elle l'avait, Bjurman était son esclave impuissant. Et Bjurman s'était tourné vers celui qu'il croyait être un allié. Zalachenko. Le pire ennemi de Lisbeth. Son père.
Ensuite un enchaînement d'événements. Bjurman avait été tué, puis Dag Svensson et Mia Bergman.
Mais comment... ? Qu'est-ce qui avait bien pu transformer Dag Svensson en une menace ?
Et soudain Mikael comprit ce qui s'était forcément passé à Enskede.
L'INSTANT D'APRÈS, MIKAEL DÉCOUVRIT le bout de papier par terre au pied de la fenêtre. Lisbeth avait imprimé une page, l'avait froissée et jetée par terre. Il lissa le papier. C'était une édition Web d'Aftonbladet au sujet de l'enlèvement de Miriam Wu qu'elle avait imprimée.
Mikael ne savait pas quel rôle Miriam Wu avait joué dans le drame — si elle avait joué un rôle, même — mais elle avait été l'une des rares amies de Lisbeth. Peut-être sa seule amie. Lisbeth lui avait donné son ancien appartement. Maintenant elle se trouvait grièvement blessée à l'hôpital.
Niedermann et Zalachenko.
D'abord sa maman. Ensuite Miriam Wu. Lisbeth devait être folle de haine.
Ces types l'avaient poussée à bout.
Elle était partie en chasse maintenant.
VERS MIDI, DRAGAN ARMANSKIJ reçut un coup de fil du centre de rééducation d'Ersta. Il s'était attendu à un appel de Holger Palmgren bien avant et avait lui-même évité de prendre contact avec lui. Il avait craint d'être obligé d'annoncer que Lisbeth Salander était forcément coupable. Maintenant il avait en tout cas la possibilité de dire qu'il y avait des doutes raisonnables quant à sa culpabilité.
— Tu en es où ? demanda Palmgren en sautant les phrases de politesse.
— Avec quoi ? dit Armanskij.
— Avec ton enquête sur Salander.
— Et qu'est-ce qui te fait croire que je mène une telle enquête ?
— Ne me fais pas perdre mon temps.
Armanskij soupira.
— Tu as raison, dit-il.
— Je veux que tu viennes me voir, dit Palmgren.
— D'accord. Je peux venir te voir ce week-end.
— Ce n'est pas bon. Je veux que tu viennes ce soir. On a beaucoup de choses à discuter.
MIKAEL AVAIT FAIT DU CAFÉ et s'était préparé des tartines dans la cuisine de Lisbeth. Quelque part, il espérait entendre soudain ses clés dans la serrure. Mais cet espoir était vain, bien sûr. Le disque dur vidé dans son PowerBook indiquait qu'elle avait quitté sa planque pour de bon. Il avait trouvé son adresse trop tard.
A 14 h 30, il était toujours assis derrière le bureau de Lisbeth. Il avait lu trois fois le rapport du simulacre d'enquête de Björck, formulé comme un mémo pour un supérieur sans nom. La recommandation était simple : trouver un psychiatre coopératif qui pourrait interner Salander en pédopsychiatrie pour quelques années. La fille était de toute façon dérangée, son comportement l'indiquait clairement.
Mikael avait l'intention de se pencher avec intérêt sur Björck et Teleborian dans un proche avenir. L'idée le réjouit. Son portable se mit à sonner et dérangea la suite de ses pensées.
— Resalut. C'est Malou. Je crois que j'ai quelque chose.
— Quoi ?
— Il n'y a pas de Ronald Niedermann dans l'état civil en Suède. Il n'existe pas dans l'annuaire du téléphone, ni dans le rôle des contribuables, ni dans les immatriculations des voitures, ni nulle part.
— Je vois.
— Mais écoute ça. En 1998, une société anonyme a été enregistrée et le nom protégé à la direction des Brevets. Elle s'appelle KAB Import SA et son adresse est une boîte postale à Göteborg. Elle traite d'importation de matériel électronique. Le président s'appelle Karl Axel Bodin, KA B donc, né en 1941.
— Ça ne me dit absolument rien.
— A moi non plus. Le reste de la direction est composé d'un commissaire aux comptes qui siège dans quelques douzaines de sociétés pour lesquelles il fait des bilans. Il semble être un de ces comptables qui bossent pour plusieurs petites entreprises à la fois. Celle-ci est cependant restée en veille pratiquement depuis son démarrage.
— Je vois.
— Le troisième membre de la direction est un certain R. Niedermann. Il y a une année de naissance mais pas de numéro d'identité. Il n'est donc pas enregistré en Suède. Il est né le 18 janvier 1970, et est mentionné comme représentant de la société sur le marché allemand.
— Super, Malou. Super. Est-ce qu'on a une autre adresse que la boîte postale ?
— Non, mais j'ai trouvé Karl Axel Bodin. Il est domicilié dans l'Ouest de la Suède, avec comme adresse la boîte aux lettres n° 612 à Gosseberga. J'ai vérifié, ça a l'air d'être un domaine agricole près de Nossebro, au nord-est de Göteborg.
— Qu'est-ce qu'on sait sur lui ?
— Il a déclaré des revenus de 260 000 couronnes il y a deux ans. Il n'a pas de casier d'après notre ami à la police. Il a une licence d'arme pour une carabine de chasse à l'élan et pour un fusil à plombs. Il a deux voitures, une Ford et une Saab, toutes les deux de modèles anciens. Rien chez le percepteur. Il est célibataire et se dit agriculteur.
— Un homme anonyme sans histoires avec la justice.
Mikael réfléchit quelques secondes. Il devait faire un choix.
— Autre chose. Dragan Armanskij de Milton Security a appelé pour toi plusieurs fois dans la journée.
— D'accord. Merci Malou. Je vais le rappeler.
— Mikael... est-ce que tout va bien ?
— Non, tout ne va pas bien. Je rappellerai.
Il savait qu'il n'agissait pas comme il l'aurait dû. En bon citoyen il devrait maintenant prendre le téléphone et appeler Bublanski. Mais s'il le faisait, soit il serait obligé de raconter la vérité sur Lisbeth Salander, soit il se retrouverait dans une situation embrouillée entre demi-mensonges et parties occultées. Mais là n'était pas le problème.
Lisbeth Salander était partie traquer Niedermann et Zalachenko. Mikael ne savait pas où elle en était, mais si Malou avait pu trouver la boîte aux lettres n° 612 à Gosseberga, Lisbeth Salander pouvait le faire aussi. La probabilité était donc grande qu'elle soit en route pour Gosseberga. C'était la prochaine étape naturelle.
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