— Au contraire. C'est une maladie qui menace carrément la vie. La plupart des gens qui en souffrent meurent relativement jeunes, vers vingt, vingt-cinq ans. La douleur est le système d'alarme qui prévient le cerveau que quelque chose ne va pas. Si tu poses la main sur une plaque brûlante, ça fait mal et tu l'enlèves vite fait. Quand on a cette maladie, on ne se rend compte de rien avant de sentir l'odeur de chair cramée.
Malou et Erika échangèrent un regard.
— C'est sérieux, ce que tu dis là ? demanda Erika.
— Absolument. Ronald Niedermann ne peut rien ressentir, c'est comme s'il avait une anesthésie locale massive vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il s'est tiré d'affaire parce qu'il a la chance d'avoir une autre particularité génétique qui compense. Il est d'une constitution remarquable, avec un squelette extrêmement puissant qui le rend pratiquement invulnérable. Sa force naturelle est quasiment unique. Et il doit aussi tout simplement cicatriser facilement.
— Je commence à comprendre que ce combat que tu as mené contre lui devait être assez intéressant.
— Oui. Mais je n'aimerais pas le revivre. La seule chose qui a provoqué un semblant de réaction, c'est quand Miriam Wu lui a balancé son pied dans les couilles. Il s'est mis à genoux pendant une seconde... il doit y avoir une sorte de motricité connectée à un coup de ce genre, puisqu'il n'a pas dû ressentir la douleur. Et crois-moi, personnellement, je serais mort si j'avais pris un tel coup.
— Mais comment se fait-il que tu l'aies remporté, alors ?
— Les gens qui ont cette maladie sont évidemment blessés exactement comme les gens normaux. Je veux bien que Niedermann ait un squelette en béton. Mais quand je l'ai frappé avec la planche, il s'est quand même écroulé. Commotion cérébrale, probablement.
Erika regarda Malou.
— J'appelle Mikael tout de suite, dit Malou.
MIKAEL ENTENDIT LA SONNERIE de son portable mais il était tellement ébranlé qu'il ne répondit qu'au cinquième signal.
— C'est Malou. Paolo Roberto croit avoir identifié le géant blond.
— Bien, dit Mikael distraitement.
— Tu es où ?
— C'est difficile à expliquer.
— T'as l'air bizarre.
— Excuse-moi. Qu'est-ce que tu disais ?
Malou résuma le récit de Paolo.
— D'accord, dit Mikael. Continuez là-dessus et vois si tu le trouves fiché quelque part. Je crois que c'est urgent. Tu me rappelles sur le portable.
A la stupéfaction de Malou, Mikael termina la conversation sans même dire au revoir.
A cet instant, Mikael se tenait devant une fenêtre et admirait une vue magnifique qui s'étendait de la vieille ville jusque loin sur le Saltsjön. Il se sentait engourdi et presque choqué. Il avait fait un tour dans l'appartement de Lisbeth Salander. Il y avait une cuisine à droite à partir du vestibule d'entrée. Puis un séjour, une pièce de travail, une chambre et pour finir une petite chambre d'amis qui semblait n'avoir jamais servi. Le matelas était toujours sous plastique et il n'y avait pas de draps. Tous les meubles étaient neufs et impeccables, directement de chez Ikea.
Ce n'était pas ça, le problème.
Ce qui ébranlait Mikael était que Lisbeth Salander avait acheté l'ex-pied-à-terre du milliardaire Percy Barnevik, estimé à 25 millions de couronnes. L'appartement devait faire facilement trois cent cinquante mètres carrés.
Mikael traversa des couloirs déserts et fantomatiques, et des pièces immenses avec des parquets aux marqueteries de différentes essences et des papiers peints de Tricia Guild du genre qu'Erika Berger mentionnait avec ravissement du bout des lèvres. L'appartement était centré sur un magnifique salon lumineux avec une cheminée que Lisbeth semblait n'avoir jamais utilisée. Il y avait un balcon énorme avec une vue fantastique, une buanderie, un sauna, une salle de gym, des locaux de rangement et une salle de bains avec une baignoire de la catégorie king size. Il y avait même une cave à vins, vide à part une bouteille de porto Quinta do Noval — Nacional ! — de 1976. Mikael avait du mal à imaginer Lisbeth Salander avec un verre de porto à la main. Une carte de visite indiquait qu'il s'agissait d'un cadeau d'installation de la part de l'agent immobilier.
La cuisine était équipée de tout ce qu'on pouvait imaginer autour d'une cuisinière française rutilante, avec four à gaz, une Corradi Château 120 dont Mikael n'avait jamais entendu parler et sur laquelle Lisbeth avait tout juste fait chauffer de l'eau pour le thé.
En revanche, il éprouva beaucoup de respect pour sa machine à espressos qui trônait à part, une Jura Impressa modèle X7, avec refroidisseur de lait incorporé. Cette machine aussi ne semblait pas avoir été utilisée et elle devait déjà se trouver dans l'appartement quand Lisbeth l'avait acheté. Mikael savait qu'une Jura était l'équivalent de la Rolls-Royce dans le monde de l'espresso — un appareil de pro pour usage domestique qui coûtait dans les 70 000 couronnes. Pour sa part, il avait une machine à espressos d'une marque bien plus modeste, achetée chez John Wall et qui coûtait déjà près de 3 500 couronnes — l'une des rares extravagances qu'il se soit jamais offertes pour équiper sa cuisine.
Le réfrigérateur contenait une brique de lait ouverte, du fromage, du beurre, de la pâte de poisson et un pot de cornichons à moitié vide. Dans le placard, il trouva quatre tubes déjà bien entamés de comprimés de vitamines, des sachets de thé, du café pour une cafetière tout à fait ordinaire sur le plan de travail, deux miches de pain et un paquet de biscottes. Sur la table de la cuisine, il y avait un panier avec des pommes. Le congélateur contenait un gratin de poisson et trois tartes au bacon. Dans la poubelle sous le plan de travail, à côté de la cuisinière de luxe, il trouva plusieurs cartons vides de Billys Pan Pizza.
Tout cela était totalement disproportionné. Lisbeth avait volé quelques milliards et s'était acheté un appartement où elle aurait pu loger la cour royale dans sa totalité. Mais elle n'utilisait que quatre pièces qu'elle avait meublées. Les dix-huit autres étaient entièrement vides.
Mikael termina sa tournée par la pièce de travail. Dans tout l'appartement, il n'y avait pas une plante verte. Pas de tableaux sur les murs, même pas de posters. Il n'y avait pas de tapis ni de napperons. Nulle part, il ne trouva un saladier décoratif, un bougeoir ou quelque babiole souvenir pour réchauffer l'atmosphère ou qu'elle aurait gardée pour des raisons sentimentales.
Mikael sentit son cœur se serrer. Il voulait à tout prix retrouver Lisbeth Salander et la serrer dans ses bras. Elle le mordrait sans doute s'il essayait.
Salopard de Zalachenko !
Puis il s'assit devant le bureau et ouvrit le classeur avec le rapport de Björck de 1991. Il ne lut pas tout, il parcourut les pages et essaya de résumer.
Il ouvrit son PowerBook avec l'écran de 17 pouces, le disque dur de 200 Go et 1 000 Mo de RAM. Vide. Elle avait fait le ménage. Cela n'augurait rien de bon.
Il ouvrit les tiroirs de son bureau et trouva immédiatement un Colt 1911 Government single action de 9 millimètres et un chargeur plein de sept cartouches. C'était le flingue que Lisbeth Salander avait pris au journaliste Per-Åke Sandström, mais cela Mikael l'ignorait totalement. Il n'était pas encore arrivé à la lettre S sur la liste des michetons.
ENSUITE IL TROUVA LE CD marqué Bjurman.
Il le glissa dans son iBook et, horrifié, prit connaissance du contenu du film. Il resta immobile, choqué en voyant Lisbeth Salander se faire maltraiter, violer et presque assassiner. Manifestement, le film avait été tourné avec une caméra cachée. Il ne regarda pas le film dans sa totalité mais passa d'une séquence à une autre, chacune surpassant la précédente en horreur.
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