A la grande surprise de Mikael, le compte à rebours s'arrêta à six secondes de la fin. Puis la sirène piailla une dernière fois avant que le compteur se remette à zéro et qu'une lumière verte s'allume.
LISBETH ÉCARQUILLA LES YEUX. Elle crut avoir mal vu et secoua même l'ordinateur de poche, chose totalement irrationnelle, elle le savait. Le compte à rebours s'était arrêté six secondes avant que la bombe de peinture se déclenche. Et l'instant d'après, le compteur se remettait à zéro.
Impossible.
Personne d'autre qu'elle ne connaissait le code. Aucune société de sécurité n'étant connectée à l'alarme, personne ne pouvait la déconnecter.
Comment ?
Elle n'arrivait pas à comprendre comment c'était possible. La police ? Non. Zala ? Exclu.
Elle composa un numéro sur son portable et attendit que la caméra de surveillance se connecte et envoie des images de faible résolution vers le portable. La caméra était dissimulée dans ce qui ressemblait à un détecteur de fumée au plafond et elle prenait une image par seconde. Elle joua toute la séquence depuis le début — l'instant zéro où la porte avait été ouverte et l'alarme activée. Puis un sourire en coin s'installa lentement sur son visage quand elle vit Mikael Blomkvist qui pendant presque trente secondes exécutait une pantomime saccadée avant d'enrer le code et de s'appuyer ensuite contre le chambranle avec l'air de quelqu'un qui vient d'échapper à une crise cardiaque.
Ce Foutu Super Blomkvist l’avait trouvée !
Il avait les clés qu'elle avait perdues dans Lundagatan. Il était assez futé pour se souvenir que Wasp était son pseudonyme sur le Net. Et s'il avait trouvé l'appartement, il avait peut-être aussi découvert qu'il était la propriété de Wasp Enterprises. Puis elle le vit se déplacer d'un mouvement saccadé dans le vestibule et disparaître rapidement du champ de l'objectif.
Merde. Comment j'ai pu être aussi prévisible ? Et pourquoi j'ai laissé... maintenant tous mes secrets sont étalés devant les yeux fouineurs de Super Blomkvist.
Après une brève pause de réflexion, elle décida que cela n'avait plus d'importance. Elle avait effacé le disque dur. C'était ça, l'important. C'était peut-être même un avantage que ce soit justement Mikael Blomkvist qui ait trouvé sa planque. Il connaissait déjà plus de ses secrets qu'aucun autre être humain. Le premier de la classe ferait ce qu'il fallait. Il n'allait pas la vendre, se dit-elle. Elle passa la première et continua pensivement sa route vers Göteborg.
MALOU ERIKSSON TOMBA SUR PAOLO ROBERTO dans la cage d'escalier de la rédaction de Millenium quand elle arriva au boulot à 8 h 30. Elle le reconnut tout de suite, se présenta et le fit entrer à la rédaction. Il boitait sérieusement. Elle sentit l'odeur de café et constata qu'Erika Berger était déjà là.
— Salut Berger. Merci de recevoir comme ça en catastrophe, dit Paolo.
Impressionnée, Erika étudia sa collection de bleus et de bosses sur le visage avant de se pencher et de lui planter une bise sur la joue.
— Tu as vraiment une sale gueule, dit-elle.
— Ce n'est pas la première fois que je me casse le nez. Qu'est-ce que tu as fait de Blomkvist ?
— Il est parti quelque part jouer au détective. Comme d'habitude, il est injoignable. A part un mail étrange cette nuit, je n'ai pas eu de ses nouvelles depuis hier matin. Merci d'avoir... bref, merci.
Elle montra son visage.
Paolo Roberto rit.
— Tu veux du café ? Tu as dit que tu avais quelque chose à raconter. Malou, tu viens avec nous ?
Ils s'installèrent dans les fauteuils confortables du bureau d'Erika.
— C'est ce grand connard blond avec qui je me suis battu. J'ai dit à Mikael que sa boxe ne vaut pas un clou. Mais ce qui était bizarre, c'est qu'il se mettait tout le temps en position de défense avec les poings et il tournait toujours en rond comme s'il était un boxeur habitué. J'ai eu l'impression qu'il avait quand même reçu une sorte d'entraînement.
— Mikael m'a dit ça hier au téléphone, dit Malou.
— Je n'arrivais pas à me défaire de cette image et hier après-midi, en rentrant chez moi, je me suis mis à l'ordi et j'ai envoyé quelques mails à des clubs de boxe un peu partout en Europe. J'ai raconté ce qui s'était passé et j'ai laissé une description détaillée de ce gars.
— OK.
— Je crois que ça a mordu.
Il posa une photo faxée sur la table devant Erika et Malou. Le cliché semblait avoir été pris lors d'un entraînement dans une salle de boxe. Deux boxeurs écoutaient les instructions d'un gros homme plus tout jeune en survêtement, coiffé d'un chapeau de cuir à bords étroits. Une demi-douzaine de personnes traînaient autour du ring et écoutaient. Au fond se tenait un homme de grande taille avec un carton dans les bras. Il avait l'air d'un skinhead, la tête rasée. Quelqu'un l'avait entouré d'un cercle au marqueur.
— La photo a dix-sept ans. Le mec dans le fond s'appelle Ronald Niedermann. Il avait dix-huit ans quand la photo a été prise, il doit donc en avoir presque trente-cinq aujourd'hui. Ça correspond au géant qui a enlevé Miriam Wu. Je ne peux pas affirmer à cent pour cent que c'est lui. La photo est un peu trop vieille et la qualité est vraiment mauvaise. Mais je peux dire que la ressemblance est frappante.
— D'où tu tiens cette photo ?
— J'ai reçu une réponse du Dynamic de Hambourg. Un vieil entraîneur qui s'appelle Hans Munster.
— Oui?
— Ronald Niedermann a boxé pour ce club pendant un an à la fin des années 1980. Ou plutôt il a essayé de boxer. J'ai reçu le mail ce matin et j'ai appelé Munster pour discuter avec lui avant de venir ici. Pour résumer ce que m'a dit Munster... Ronald Niedermann est originaire de Hambourg, il traînait avec une bande de skins dans les années 1980. Il avait un frère un peu plus âgé, un boxeur vraiment doué, et c'est par lui qu'il est entré dans le club. Niedermann avait une force colossale et un physique tout aussi unique. Munster m'a dit qu'il n'avait jamais vu quelqu'un qui tapait aussi fort, même pas chez les meilleurs. Un jour, ils ont mesuré sa frappe, et il a pour ainsi dire éclaté le dynamomètre.
— On dirait qu'il aurait pu faire carrière comme boxeur, dit Erika.
Paolo Roberto secoua la tête.
— D'après Munster, c'était impossible de le garder dans un ring. Pour plusieurs raisons. Premièrement, il n'arrivait pas à apprendre à boxer. Il restait sur place et distribuait des swings d'amateur. Il était d'une maladresse phénoménale et cela colle parfaitement avec le gars de Nykvarn. Mais le pire, c'est qu'il ne contrôlait pas sa propre force. De temps à autre il réussissait à placer un coup qui causait des dégâts énormes à ses pauvres simples sparring-partners. Résultat, des nez cassés et des mâchoires pétées, sans arrêt des blessures complètement inutiles. Ils ne pouvaient tout simplement pas le garder.
— Il savait boxer, mais sans savoir, dit Malou.
— C'est ça. Mais la véritable raison qui lui a fait cesser la boxe était médicale.
— Comment ça ?
— Ce gars semblait pratiquement invulnérable. Les coups pouvaient lui pleuvoir dessus, il ne faisait que se secouer et continuer à se battre. Ils ont découvert qu'il souffrait d'une maladie extrêmement rare qui s'appelle l'analgésie congénitale.
— Répète... quoi ?
— Analgésie congénitale. J'ai cherché sur le Net. C'est un défaut génétique qui signifie que la transmission dans ce qu'ils appellent les fibres C ne fonctionne pas comme elle devrait. En bref, il ne ressent pas la douleur.
— Ça alors ! On dirait plutôt le rêve pour un boxeur.
Paolo Roberto secoua la tête.
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