Il acquiesça. Ils étaient tout près… C’était dans cette direction qu’il fallait chercher : le Cercle, l’accident, la mort du pompier et celle du chauffeur de bus… C’était là, sous leurs yeux. Mais, au fond de lui, un doute subsistait. Il lui était venu alors qu’ils se rendaient au lac et s’apprêtaient à plonger. Quelque chose ne collait pas… Une pièce qui ne s'emboîtait pas avec les autres. Sauf qu’il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus et que sa migraine n’arrangeait rien.
— Désolé, dit-il pour évacuer la question. Mais j’ai horriblement mal au crâne…
— Bien sûr, s’excusa Cathy d’Humières. On parlera de tout ça quand vous irez mieux. En attendant, on n’a aucune nouvelle de Hirtmann, remarqua-t-elle en changeant de sujet. Il devrait y avoir un planton devant votre porte.
Un frisson le parcourut. Décidément, tout le monde voulait garder sa porte…
— Inutile. Personne ne sait que je suis ici, à part l’équipe du SMUR qui m’a transporté et quelques gendarmes.
— Oui. Bon. Hirtmann s’est quand même manifesté à plusieurs reprises. Je n’aime pas ça, Martin. Pas ça du tout.
— J’ai une sonnette près de mon lit, en cas de besoin.
— Je vais rester ici un moment, intervint Espérandieu. Juste au cas où.
— Très bien. Si vous êtes sur pied demain, on fait le point. On vous donnera une canne blanche si nécessaire, ajouta-t-elle en ouvrant la porte de sa chambre.
Il eut un petit geste évasif de la main.
— Bonne nuit, Martin.
— Tu ne comptes quand même pas passer la nuit là ? lança-t-il à son adjoint quand la porte se fut refermée.
Il perçut le raclement d’un fauteuil qu’on déplaçait.
— Tu préférerais une infirmière ? De toute façon, dans ton état, tu ne saurais même pas si elle est jolie ou moche.
Ziegler referma la chemise. Zlatan Jovanovic la fixait. De l’autre côté du bureau. Il y avait une lueur dans ses yeux… Quelque chose qui n’y était pas tout à l’heure. Il avait eu tout le temps de réfléchir pendant qu’elle lisait. Avait-il vraiment gobé qu’elle allait ressortir d’ici et tirer un trait sur ce qu’il avait fait ? Peut-être était-il en train de penser qu’elle ne lui avait montré aucun papier officiel. Elle se sentit subitement sur ses gardes.
— J’emporte ça, dit-elle en montrant la chemise.
Il ne dit rien, se contentant de la fixer. Elle se leva. Il l’imita. Elle regarda ses grandes mains qui pendaient le long de son grand corps. Tranquilles. Drissa Kanté avait raison : il devait bien peser dans les cent trente kilos. Il fit lentement le tour du bureau. elle resta debout près de sa chaise, attendant qu’il passe près d’elle et la précède, prête à esquiver s’il se jetait sur elle. Il n’en fit rien cependant. Il se contenta de s’engager dans le couloir sombre. Elle avait commencé à glisser une main dans la poche de sa combinaison de cuir, là où était son arme, en lui emboîtant le pas et en fixant son large dos, lorsqu’il disparut brusquement par une porte ouverte sur la droite. Elle n’eut pas le temps de réagir. Vit l’obscurité au-delà de la porte. Elle se dépêcha d’attraper son arme dans sa poche, d’ôter le cran de sécurité et de faire monter une balle dans le canon.
— Jovanovic ! Ne jouez pas au con ! Montrez-vous !
Elle tenait son arme prête à l’emploi, à présent. Fixant l’obscurité dans l’encadrement de la porte, à moins d’un mètre de là. Elle se figea. Hésitant à aller plus loin. Elle n’avait pas envie que cent trente kilos de barbaque jaillissent de l’ombre et que ses poings s’abattent sur elle comme des massues.
— Sortez de là tout de suite, bordel ! Je n’hésiterai pas à vous descendre, Zlatan !
Rien. Bon Dieu ! Le sang grondait dans ses carotides. Réfléchis ! Il était sans doute juste derrière le coin, embusqué, avec un objet à la main ou même un flingue. Elle tenait son arme à deux mains, comme on le lui avait appris. La deuxième relâcha sa prise et descendit lentement vers la poche où se trouvait son iPhone.
Soudain, elle entendit un déclic de l’autre côté et son cœur fit une cabriole dans sa poitrine lorsque la lumière s’éteignit et que l’appartement fut plongé dans l’obscurité. La lueur d’un éclair illumina brièvement le couloir, suivi d’un craquement de foudre retentissant au dehors, puis tout retomba dans la pénombre. La seule source de clarté venait des lampadaires de la rue et du néon d’un café, en bas, à travers une pièce vide sur sa gauche. La pluie ruisselant sur les vitres dessinait des ombres qui se mouvaient sur le sol comme des serpents noirs. Elle sentit sa nervosité croître de manière exponentielle. Dès le départ, elle avait su qu’elle avait affaire à quelqu’un d’expérimenté. Elle ignorait ce que ce type avait fait avant de devenir détective privé, mais elle était sûre qu’il connaissait tous les trucs, toutes les astuces. Elle pensa à ce que Zuzka aurait dit dans de telles circonstances.
« Ça craint. »
Le juge Sartet allait verrouiller la porte de son bureau quand les pas dans le couloir attirèrent son attention.
— Comment êtes-vous arrivé jusqu’ici ?
— Vous oubliez que je suis député, répondit le visiteur.
— Ce palais de justice est une vraie passoire… Nous n’avions pas rendez-vous, je crois. Et ma journée est terminée. Je ne cache pas que votre immunité ait déjà été levée, monsieur le député, ironisa-t-il. Ne vous inquiétez pas, je vous entendrai le moment venu : je n’en ai pas fini avec vous. Ça ne fait que commencer.
— Ça ne prendra pas longtemps.
Le juge cacha mal son exaspération. Ces politiciens, tous les mêmes. Ils s’estimaient tous au-dessus des lois, ils pensaient tous servir le pays ou l’État alors qu’ils ne servaient qu’eux-mêmes.
— Qu’est-ce que vous voulez, Lacaze ? demanda-t-il sans même chercher à être poli. Je n’ai pas le temps pour les intrigues.
— Vous faire des aveux.
Un éclair fit trembler les vitres. Le téléphone vibra au même moment et il sursauta violemment. Servaz tendit la main, le cœur battant, tâtonnant pour trouver l’appareil sur la table de nuit, mais Espérandieu fut plus rapide.
— Non, je suis son adjoint… Oui, il est à côté de moi… Oui, je vous le passe…
Vincent lui mit le portable dans la main et sortit dans le couloir.
— Allô ?
— Martin ? Où es-tu ?
La voix de Marianne.
— À l’hôpital.
— À l’hôpital ? (Elle eut l’air sincèrement abasourdie et effrayée.) Qu’est-ce qui s’est passé ?
Il le lui dit.
— Oh, mon Dieu ! Tu veux que je vienne te voir ?
— Les visites sont interdites à partir de 20 heures, répondit-il. Demain si tu veux. Tu es seule ? ajouta-t-il.
— Oui, pourquoi ?
— Verrouille ta porte et ferme tes volets. Et n’ouvre à personne, OK ?
— Martin, tu me fais peur.
Moi aussi, j’ai peur , faillit-il lui répondre. Je suis mort de trouille. File. Ne reste pas dans cette maison vide. Va dormir chez quelqu’un tant qu’on n’a pas trouvé cet enfoiré…
— Tu n’as pas de raisons d’avoir peur, dit-il. Mais fais ce que je te dis.
— J’ai eu le parquet, enchaîna-t-elle. Hugo va sortir demain. Il pleurait au téléphone quand je lui ai parlé. J’espère que cette expérience ne l’aura pas…
Elle n’acheva pas sa phrase. Il devina à la fois son soulagement, sa joie et son inquiétude.
— Que dirais-tu si on fêtait ça tous les trois ?
— Tu veux dire… ?
— Hugo, toi et moi, confirma-t-elle.
— Marianne, tu ne crois pas que… que c’est un peu… prématuré ? Après tout, je suis aussi le flic qui l’a mis à l’ombre…
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