— Et Iggy ?
— Emmène-le avec toi. Ou confie-le à quelqu’un… à tes parents, à des amis.
Quels amis ? faillit-elle dire.
— Pourquoi tu ne viendrais pas t’installer quelques jours chez moi ? suggéra-t-elle. Tu n’as qu’à dire à ta femme que tu es en voyage d’affaires.
Elle savait que Léo avait une vie bien remplie après sa carrière de spationaute. Il avait longuement parlé de sa reconversion lors de son passage à Radio 5 : il avait dirigé pendant un temps le centre d’entraînement des astronautes à Cologne, en Allemagne ; il avait travaillé comme astronaute conseil sur le projet de l’ATV, un vaisseau cargo sans équipage destiné à ravitailler en fret la Station spatiale internationale ; il avait fondé sa propre entreprise, GoSpace, une filiale du Centre national d’études spatiales qui organisait des vols scientifiques paraboliques à bord de l’Airbus A300 ZERO-G et dont le siège se trouvait dans la zone industrielle de l’aéroport de Toulouse-Blagnac ; il était aussi devenu l’un des principaux VRP de l’ESA, l’Agence spatiale européenne, défendant les vols habités et l’exploration spatiale humaine auprès du grand public, des élus et des universités.
Il lui jeta un regard acéré.
— Non, je ne peux pas faire ça. Mais on doit agir… Tu as bien fait de venir me voir. À qui d’autre en as-tu parlé ?
Elle revit Max dans son salon, avec ses vêtements sales, sa barbe crasseuse et ses longs cheveux gras.
— À personne… Gérald, dans l’état actuel de notre relation, ne me croirait pas.
Il lui lança un nouveau regard aigu.
— Il n’a jamais su pour nous deux, n’est-ce pas ?
Elle secoua la tête.
— Voilà ce qu’on va faire, dit-il. Toi, tu vas à la police ; moi, je vais me renseigner…
— Te renseigner ?
— J’ai quelques contacts à la Sécurité publique. Je vais voir si d’autres femmes ont subi la même chose que toi à Toulouse ou dans les environs, si elles ont été prises au sérieux, s’il y a eu des suspects…
Il se leva, marcha jusqu’au bureau, arracha une feuille du papier à en-tête de l’hôtel et prit le stylo glissé dans le petit portfolio en cuir. Puis il revint s’asseoir.
— On va commencer par dresser la liste des personnes que tu as croisées ces derniers mois et avec qui tu as eu des différends. Et même de celles sur lesquelles tu as le moindre doute. Je vais voir ce que je peux obtenir.
— Comment tu vas t’y prendre ? voulut-elle savoir.
Il eut un sourire énigmatique et rêveur.
— Tu sais, je connais un tas de gens.
Elle réfléchit et quelques noms lui vinrent spontanément à l’esprit : Becker, le connard machiste à la tête de l’info de Radio 5, Denise, sa voisine… D’autres noms … Pas franchement agréable de se rendre compte qu’on avait plus d’ennemis que d’amis. Paradoxalement, plus la liste s’allongeait, plus elle reprenait espoir : le coupable était forcément dedans.
— Eh bien, dit-il quand ils en eurent terminé, on dirait que tu as le don de te faire des amis. Regarde ces noms : je veux bien être pendu si ton tourmenteur n’y est pas.
Il avait raison. Elle aurait dû commencer par là ! Il suffisait d’agir et de raisonner logiquement…
— J’insiste : comment tu vas faire pour te renseigner sur ces gens ? Je veux savoir.
Il eut de nouveau ce sourire énigmatique qu’il arborait parfois.
— Je connais un détective privé… Il me doit un service ; il y a quelques années, il s’est fait prendre à enquêter de manière illégale sur ma société : de l’espionnage industriel pur et simple… Il avait été embauché par une boîte concurrente d’un pays étranger. Je l’ai pris la main dans le sac et, plutôt que de l’envoyer en prison, je lui ai proposé un deal : il stoppait ses investigations, je ne portais pas plainte, mais un jour peut-être je ferais appel à lui. Je pensais avoir recours à ses services dans le cadre d’une enquête à des fins disons… commerciales , plutôt que privées… Mais tant pis.
Un détective, des flics amis… Oui, elle avait bien fait d’appeler Léo. Il avait toujours été plein de ressources, pas le genre à baisser les bras… Elle se demanda fugitivement comment aurait agi Gérald à sa place, mais elle chassa cette pensée. Elle sentit une vague de reconnaissance l’envahir.
— Détends-toi, répéta-t-il d’une voix douce. Ça va aller.
Il s’était levé et avait pris sa flûte vide pour la remplir de nouveau. Il la plaça dans sa main. Puis il fit le tour de sa chaise et posa les mains sur ses épaules.
— Laisse-toi aller.
— Léo…
— Quoi ?
— Merci.
Les mains fortes et douces de Léo pétrirent les muscles de ses épaules. Comme ils le faisaient dans le temps quand elle était stressée. Dénouant un par un les nœuds de ses trapèzes et de ses cervicales, exerçant des pressions aussi fermes que précises. Elle ferma les yeux. Elle voulait s’abandonner. Elle sentit ses muscles se réchauffer et gagner peu à peu en souplesse. Sa nuque se détendre. Elle porta le champagne à ses lèvres. Il était bon. Les petites bulles lui montaient au cerveau.
— Tu te rappelles cet hôtel à Neuchâtel, sur le lac, la suite sur pilotis ? dit-il. Le matin, on ne voyait que les voiles, les oiseaux et les montagnes au loin.
Et comment qu’elle se souvenait. Un des rares week-ends qu’ils avaient passés ensemble… Les reflets du soleil sur le lac comme des éclats de mica, la blancheur des voiles et des mouettes, la table du petit déjeuner dressée au-dessus de l’eau qui clapotait contre les pilotis — et la montagne à l’horizon. Elle aurait voulu rester là un mois, un an — au lieu de deux jours…
— Ressers-moi, dit-elle.
Elle avait envie d’être ivre tout à coup. Elle but une longue gorgée de champagne, sentit les bulles lui chatouiller le palais et la langue.
— Tu m’as manqué, dit-il.
Il déposa un baiser dans son cou qui lui donna la chair de poule puis un deuxième, près de sa bouche. Elle tourna la tête, entrouvrit les lèvres et il glissa sa langue entre elles. Elle l’accueillit et leurs respirations se firent plus rapides. Avant même de comprendre ce qui arrivait, ils étaient debout et elle avait son jean aux genoux, les cuisses nues. Il coula une main dans son slip et elle mouilla instantanément au contact de ses doigts. Ouvrit les jambes. Gémit lorsque les doigts la caressèrent plus intimement. Elle avait envie de le sentir en elle, là, maintenant … Elle le libéra, enlaça amoureusement son sexe dur et doux. Ils se séparèrent pour se dévêtir plus rapidement puis, une fois nus, elle promena les mains sur ses flancs, ses côtes, son dos, ses fesses — puis sa main redescendit et elle caressa de nouveau son sexe épais, rigide et doux. Ils firent l’amour sur le lit et elle l’accueillit en bougeant en rythme, leurs deux bassins cognant l’un contre l’autre. Que cela tînt à la force de leur désir, à leur situation ou simplement à l’urgence, ce fut une étreinte sans tendresse, quelque chose de brutal et d’instinctif. En une seconde de plénitude, elle reconnut l’odeur familière de sa peau, le parfum de ses cheveux, la forme précise de son corps, le dessin exact de ses flancs musclés et de son squelette sous ses doigts. Ce territoire qu’elle avait longtemps considéré comme son royaume, même si elle le partageait avec une autre femme, car celle-ci ne comptait pas : comme au temps des rois, l’épouse officielle ne pouvait rivaliser avec la favorite. Elle haleta et promena les mains de ses flancs et de ses omoplates à ses fesses et à ses hanches. Elle perçut des bruits sur la place, derrière le double vitrage, des voix et des klaxons, et même le roucoulement d’un pigeon, qui étaient comme le contrepoint à ses propres halètements. Elle vit la lueur des lampes au plafond comme de petites lunes mystérieuses — et elle ferma les yeux, tout en cognant son bassin encore davantage. Elle fourragea dans ses cheveux quand il la cloua au matelas et éjacula.
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