Sur des crochets identiques, des carcasses de porcs coupées en deux pendaient à sa gauche et à sa droite. Cela sentait le sang coagulé. Et, avec ce froid, il pouvait voir la buée qui sortait de sa bouche comme lorsqu'on fait une promenade en hiver dans les monts Albains. Les tonnes de viande suspendue au plafond étaient éclairées par la lumière crue des néons.
Gonzaga essaya vainement de tirer sur le crochet. Cela ne servit à rien, sinon à enfoncer encore plus profondément les liens dans sa chair.
Grelottant de froid, le cardinal essaya sans grand succès de rassembler ses idées. Un ventilateur se mit en route, répandant un air froid qui accentua encore les tremblements de Gonzaga.
Il ignorait depuis combien de temps il se trouvait là. Il avait mal à la tête, ne sentait plus ses bras, un flux glacé montait le long de ses jambes comme les tentacules d'une pieuvre.
Gonzaga n'avait que deux idées en tête. D'abord, il se demandait qui se cachait derrière cette attaque. Puis il se persuadait qu'on n'allait pas le tuer. À quoi aurait servi toute cette mise en scène, si c'était seulement pour l'assassiner ?
Le cardinal entendit un crachotement provenant d'un haut-parleur fixé quelque part au plafond, puis une voix déformée d'homme.
- Gonzaga, j'espère que vous avez conscience de la situation dans laquelle vous vous trouvez. La température de votre prison est actuellement de moins quatre degrés. Dans les quatre-vingt-dix minutes à venir, elle va baisser pour atteindre moins dix-huit degrés. Je crains que vous n'ayez pas choisi le bon costume pour affronter une telle température.
- Écoutez, répondit le cardinal, et sa voix semblait résonner dans un seau vide, je ne sais ni qui vous êtes ni quelles sont vos intentions, mais je suis persuadé que vous ne voulez pas me tuer.
- Je n'en serais pas aussi sûr à votre place, répondit la voix du haut-parleur.
Gonzaga crut reconnaître cette voix qui mettait l'accent sur chaque voyelle, mais où l'avait-il déjà entendue ?
La voix poursuivit :
- Au bout de trente minutes à moins dix-huit degrés, le rythme cardiaque se ralentit, vous vous évanouissez. Vingt minutes plus tard, c'est l'arrêt cardiaque. Dans deux ou trois semaines, on transportera votre corps avec les quartiers de porcs dans une boucherie industrielle de la Citavecchia pour la suite du conditionnement. Vous feriez donc bien de réfléchir pour savoir si vous voulez vraiment jouer les héros.
- Qu'est-ce que vous voulez ? demanda Gonzaga d'une voix tremblante. Dites-le donc enfin !
- Le - suaire - de - Turin.
La voix détachait chaque mot.
- Ce ne sera pas possible.
- C'est-à-dire ?
- Le linceul de Notre-Seigneur ne se trouve plus au Vatican.
- Écoutez-moi bien, Gonzaga, nous ne sommes pas en train de négocier l'obtention d'une copie ! Je parle de l'original.
- L'original se trouve en Allemagne.
- Non, Gonzaga, non, justement !
Dans la mesure où les circonvolutions gelées de son cerveau le lui permettaient encore, le cardinal conçut l'idée que seule la confrérie des Fideles Fidei Flagrantes pouvait se cacher derrière ce rapt. Il essaya de se souvenir de la voix d'Anicet, mais en vain.
- Comment pouvez-vous en être aussi sûr ?
- Gonzaga, vous feriez mieux de ne pas poser tant de questions et de répondre aux miennes. J'ai l'impression que les années passées sous la pourpre cardinalesque vous ont fait perdre le sens des réalités. Il vous reste encore environ quatre-vingts minutes, ni plus ni moins. Quatre-vingts minutes qui vont décider de votre vie. J'ai du mal à imaginer que vous teniez à voir votre nom gravé dans le Martyrologium romanum .
Gonzaga hésita. N'était-ce pas quand même la voix d'Anicet ? Toutefois, celui qui parlait venait d'employer une expression qui dénotait sa formation théologique. Le Martyrologium , publié pour la première fois vers la fin du seizième siècle, contenait les noms de tous les saints reconnus par l'Église, ainsi que les jours où l'on célébrait leur fête.
- Un martyr mort congelé, ce serait en tout cas du jamais vu, ajouta l'inconnu.
- Arrêtez !
Gonzaga haussa le ton aussi fort que les conditions le lui permettaient.
- Si vous voulez me tuer, faites-en à votre guise ! À moins que vous ne vouliez de l'argent ? Dites-moi combien, je paierai.
- Vous pensez que le monde entier peut s'acheter. Mais quel est cet état d'esprit abject, monsieur le cardinal !
- Et vous donc !
Gonzaga faisait preuve d'un étonnant culot, auquel les circonstances présentes n'étaient pas vraiment propices. Il demanda brusquement :
- Vous travaillez pour Anicet, l'ancien cardinal Tecina ?
L'homme du haut-parleur ne s'attendait pas à cette question qui le laissa sans voix. La réponse ne parvint qu'après quelques secondes de silence :
- Je dirais plutôt qu'Anicet travaille pour moi.
Gonzaga ne comprenait pas ce que cela signifiait. Mais il avait l'impression que l'interlocuteur était de plus en plus nerveux.
- Combien de temps me reste-t-il ? demanda-t-il sur un ton provocateur.
- Si vous ne répondez pas à ma question, soixante-quinze minutes. Si vous parlez, nous vous détachons immédiatement et nous vous laissons sortir au chaud. Les carcasses de porcs sont conservées à une température de moins neuf degrés. Dehors, il fait vingt-huit degrés. Plus vingt-huit, cela va sans dire !
Ces chiffres concrets provoquèrent chez Gonzaga un véritable choc. Ses tremblements s'accentuèrent. Il frissonna.
Il doutait de pouvoir tenir encore le coup pendant soixante-quinze minutes.
- Alors ? fit la voix, plus insistante. Où est le suaire de Turin ? L'original !
- Au château de Layenfels. Je l'y ai moi-même apporté. Il faut me croire !
La voix de Gonzaga s'étrangla. Des cristaux de glace s'étaient formés sur ses lèvres.
Il tenta d'essuyer sa bouche sur son épaule, mais il ne pouvait pas tourner sa tête coincée entre ses bras attachés vers le haut.
- J'ai dit l'original ! hurla la voix dans le haut-parleur. L'original !
- Par la Vierge Marie et tous les saints ! C'est l'original que j'ai apporté au château de Layenfels ! Comme vous le savez peut-être, je ne l'ai pas vraiment fait de mon plein gré.
- Faites-moi grâce des détails. Ma compassion a des limites.
- J'ai apporté l'original en Allemagne. C'est la vérité.
- Très bien. Puisque vous le prenez ainsi... Je vous rappellerai dans quinze minutes. Qui sait, entre-temps vous aurez peut-être retrouvé la mémoire et vous saurez me dire où se trouve le véritable suaire de Turin...
Gonzaga entendit un crachotement sec, puis le silence se fit.
Les compresseurs de refroidissement ronronnaient tranquillement comme s'ils pleuraient en silence.
Des images incohérentes surgirent dans l'esprit du cardinal. Il se souvint des herbes agitées par le vent dans les prairies de Castel Gandolfo, en été, lorsqu'il rendait visite au pape.
Des images lui revinrent du trajet pour se rendre à Layenfels, du linceul entourant sa taille, des rayons du soleil qui filtraient, l'après-midi, à travers les hautes fenêtres du Palais apostolique et dessinaient des rais de lumière dans les pièces, comme on en voit sur les portraits de saints exécutés par les peintres raphaéliques ; il vit encore l'image floue d'une madone aux cheveux noirs, aux yeux foncés, au corsage ouvert d'où sortaient deux seins généreux.
Tout à coup, il eut peur. Peur de perdre conscience avant que l'inconnu ne se manifeste de nouveau. Pris de panique, il se mit à crier d'une voix vibrante que le froid refoulait presque dans sa gorge.
- Eh ! espèce de lâche ! Est-ce qu'il y a quelqu'un qui m'entend ?
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