- Tu parles sérieusement ? demanda-t-il.
Caterina haussa les épaules.
- J'ai l'impression que, rétrospectivement, cela te gêne. Mais ce qui est arrivé est arrivé. C'était un accident, en quelque sorte. Excuse-moi, je crois que je raconte n'importe quoi.
- Ne dis pas de bêtises ! répondit Malberg en passant la main dans ses cheveux. Simplement, nous ne nous connaissons quasiment pas. Et les circonstances de notre rencontre n'étaient pas particulièrement propices à ce que nous tombions amoureux l'un de l'autre.
- Entre nous, il y a Marlène. Est-ce que je me trompe ?
- Qu'est-ce que tu racontes, voyons ! Marlène a été assassinée. Marlène est morte !
- Tu l'aimais, n'est-ce pas ?
Malberg se figea et regarda Caterina sans répondre.
Caterina se jeta alors dans ses bras et enfouit son visage dans le creux de son épaule.
- Je le savais, murmura-t-elle.
- Non, non, ce n'est pas ce que tu crois, dit Malberg tout bas en caressant tendrement les cheveux de Caterina. Marlène était sans aucun doute une femme attirante. J'en ai connu beaucoup d'autres. Mais elle ne te ressemblait pas. C'est seulement que j'ai la curieuse impression de devoir faire la lumière sur sa mort. Et, pour l'instant, cela passe avant tout le reste. Jamais je n'oublierai la vision de Marlène morte dans sa baignoire. Et je ne serai pas tranquille tant que je n'aurai pas découvert les circonstances de sa mort et le nom de son assassin.
- Alors, cela signifie que je peux encore avoir un peu d'espoir ?
Malberg rit.
- Petite bécasse. Reste à savoir si tu voudras encore de moi.
Il l'embrassa sur le front, puis sur la bouche.
- On arrête les baisers ! déclara Caterina en se dégageant de ses bras. Qu'est-ce que tu envisages faire ?
- Il faut impérativement que je revoie l'appartement de Marlène. J'ignore qui en a muré l'entrée, mais je sais que celui-là avait une bonne raison de le faire. La question est...
- ... de savoir comment on entre dans un appartement dont l'entrée n'existe plus.
- Il y a peut-être une deuxième entrée, comme ici, déclara Malberg en pointant le doigt sur la vieille armoire. Dans le grenier jouxtant l'appartement de Marlène, il y a un monstre de ce genre. Je suis sûr qu'elle dissimule un autre accès à l'appartement. Mais comment faire pour entrer, ne serait-ce que dans l'immeuble ?
- Paolo ! rétorqua Caterina. Très peu de serrures lui résistent.
Remarquant le regard sceptique de Malberg, elle ajouta :
- Tu peux lui faire confiance, Lukas. Ce garçon t'aime bien.
Ils convinrent de se retrouver à 22 h devant un kiosque à journaux de la Via Gora ; de là, on pouvait observer tranquillement le numéro 23. Lorsque Malberg arriva, Paolo et Caterina l'y attendaient déjà, en jean et chaussures de sport. Malberg se sentit un peu trop chic dans son costume de lin clair.
Mais, n'ayant pas pu retourner à l'hôtel ni renouveler sa garde-robe, par manque de temps, il n'avait que ça à se mettre.
Par son calme, la Via Gora se distinguait de la plupart des rues du Trastevere où se succédaient à n'en plus finir les trattorias et les restaurants. Les lampadaires accrochés aux façades éclairaient l'étroite ruelle d'une lumière blafarde qui mettait en valeur les vieilles façades. Malberg observa le numéro 23.
Il tendit soudain le bras vers les fenêtres du cinquième étage.
- Regardez ! Il y a de la lumière dans l'appartement de Marlène ! C'est incroyable !
- Là-haut, au cinquième ? demanda Caterina pendant que Paolo s'étonnait, la main en visière au-dessus des yeux comme pour mieux voir :
- Mais je croyais que l'on ne pouvait plus accéder à l'intérieur ?
Le frère et la sœur regardèrent Malberg d'un air dubitatif, si bien qu'il se sentit acculé. Désespéré, il plaqua les deux mains sur son visage :
- Mais, enfin, je ne suis tout de même pas fou !
Le regard de Caterina restait posé sur Lukas.
- Tu es sûr de toi ? Tu sais, dans le feu de l'action, on voit parfois certaines choses...
- Je sais ce que j'ai vu ! coupa brutalement Malberg, en colère.
Caterina était troublée par ce Lukas Malberg qu'elle ne connaissait pas.
- Raison de plus pour aller voir ce qui se passe vraiment là-haut, intervint Paolo. Attendez ici !
Paolo traversa la Via Gora avec la nonchalance du badaud. À la hauteur du numéro 23, il jeta un dernier coup d'œil à droite et à gauche avant de sortir quelque chose de la poche de son pantalon. Il s'attaqua à la serrure.
Au bout de dix secondes à peine, il se retourna et siffla entre son pouce et son index. Malberg et Caterina traversèrent la rue à leur tour et pénétrèrent dans l'entrée sombre.
Paolo tendit une lampe de poche à Lukas, qui les précéda à pas feutrés dans l'escalier. Il reconnut immédiatement l'odeur de cire et de détergent. Devancé par le faisceau dansant de sa torche, il gravit les marches jusqu'au dernier étage.
- Ici ! chuchota Malberg en décrivant un rectangle sur le mur à l'aide de sa lampe C'est ici que se trouvait la porte de l'appartement de Marlène.
Entre-temps, Paolo avait trouvé à gauche la porte coupe-feu qui s'ouvrait sur les combles. Malberg éclaira le verrou de la porte.
- Fastoche, murmura Paolo.
Et, en effet, une dizaine de secondes lui suffirent pour crocheter cette deuxième serrure.
Sans le moindre bruit, les trois comparses disparurent derrière la porte de métal. Ils se retrouvèrent dans un vaste grenier tout en longueur, dont la plus grande partie disparaissait dans l'obscurité.
Néanmoins, ils pouvaient distinguer les trois conduits de cheminées dont l'enduit s'écaillait, et la charpente assez basse qui les obligeait à baisser la tête pour se frayer un passage dans ce bric-à-brac inquiétant digne d'un décor de film d'Alfred Hitchcock : des meubles anciens dont les brocanteurs auraient raffolé, une demi-douzaine de bicyclettes et plusieurs poussettes, la plus vieille datant du siècle passé, des caisses de munitions de la dernière guerre, des sacs éventrés remplis de vêtements usagés, une échelle posée contre un conduit de cheminée, une machine à coudre à pédale et un des tout premiers postes de télévision. Le tout avait quelque chose d'un peu inquiétant... et de terriblement poussiéreux.
Lukas Malberg pointa le faisceau de sa lampe sur la grosse l'armoire, à droite de la porte.
Paolo s'attendait à ce qu'elle fût fermée à clé. À l'instant où il se penchait sur la serrure, les deux portes s'ouvrirent d'elles-mêmes.
Malberg s'approcha pour éclairer l'intérieur du meuble. Il ne s'attendait pas nécessairement à y découvrir une deuxième porte, comme chez la signora Papperitz. Cependant, il ne put dissimuler une certaine déception après avoir inspecté le fond de l'armoire, qu'il malmena du reste sans se soucier de ce qu'elle contenait.
- Il faut écarter l'armoire du mur, dit Malberg en essuyant avec sa manche la sueur qui perlait sur son front. Allez, donne-moi un coup de main ! ajouta-t-il en se tournant vers Paolo.
Caterina tenait la lampe pendant que Lukas et Paolo déplaçaient l'armoire par à-coups. La tâche était d'autant plus difficile qu'ils ne devaient surtout pas attirer l'attention.
Ils avaient presque atteint leur objectif lorsqu'à l'intérieur du meuble une étagère s'effondra avec tout ce qu'elle supportait, à savoir une douzaine de vieux plats et de verres...
Malberg, Caterina et Paolo se figèrent d'effroi. Le fracas qui avait retenti aurait suffi à réveiller tout l'immeuble.
- On se casse ! murmura Paolo.
Caterina rattrapa son frère par le bras gauche.
Malberg, l'index posé sur les lèvres, tendit l'oreille. Silence. D'un instant à l'autre, les portes allaient s'ouvrir dans la cage d'escalier, des pas retentiraient : ils seraient découverts.
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