Mais rien de tel ne se produisit. Ils n'entendirent pas le moindre bruit. Le silence était pesant.
Comment se faisait-il que personne n'ait entendu un pareil boucan ?
Ils restèrent ainsi immobiles durant quelques minutes, osant à peine respirer, en proie aux plus vives angoisses. Malberg gardait sa lampe braquée sur la porte. Paolo fut le premier à retrouver ses esprits.
- Ça ne tient pas la route, tout ça ! ne cessait-il de marmonner. Il y a forcément quelqu'un qui a entendu...
Quoi qu'il en soit, l'armoire était maintenant suffisamment éloignée du mur pour que Malberg puisse jeter un œil derrière.
- Rien, remarqua-t-il, déçu. Pas de porte dérobée, rien.
Paolo le rejoignit et commença à sonder le mur qui se trouvait derrière le meuble. Il secoua la tête. Puis il prit la lampe des mains de Malberg pour inspecter les coins et les recoins du grenier. Malberg, désespéré, se tenait à l'écart dans l'obscurité.
Sentant soudain la main de Caterina se poser sur son épaule, il posa sa main sur la sienne.
- Dès le début, tu ne m'as pas cru, remarqua-t-il tout bas.
- Arrête !
- Tu crois que j'ai tout inventé. L'appartement muré, peut-être même l'assassinat de Marlène, dit-il sur un ton résigné.
- Et l'enterrement ? Et le mystérieux calepin ? Et l'avis de recherche lancé contre toi ?
Malberg baissa la tête.
- Moi-même, je ne sais plus que croire.
- Hé ! leur lança Paolo d'une voix étouffée en faisant des grands signes avec la lampe qu'il braqua au-dessus de l'armoire.
Il fallait y regarder à deux fois pour apercevoir la petite porte ménagée dans le mur décrépit.
- L'échelle ! s'écria Paolo à voix basse.
Malberg appuya l'échelle contre le mur et grimpa avec prudence.
La porte, dépourvue de poignée, ne comportait qu'une simple serrure. Il semblait donc fort peu probable qu'ils parviennent à l'ouvrir sans clé ni outillage spécial.
- Laisse-moi faire, s'impatientait Paolo.
Cette fois, il crocheta la serrure avec un bout de rayon de roue de bicyclette. Il lui suffit d'une petite secousse pour ouvrir la porte par laquelle filtra aussitôt un rai de lumière qui vint éclairer la charpente poussiéreuse du grenier.
- Qu'est-ce que tu vois ? demanda Caterina à Paolo, qui descendit de l'échelle sans répondre.
Une fois en bas, il lui dit en étouffant sa voix :
- Ça donne sur une sorte de mezzanine avec un canapé, un beau secrétaire et un fauteuil. Tout semble plutôt bien en ordre, ajouta-t-il en pointant son doigt vers le haut. Je ne serais pas étonné qu'une tête apparaisse là, tout à coup.
Malberg et Caterina se regardèrent.
- Et maintenant ? demanda Paolo qui piaffait d'impatience.
Sans dire un mot, Malberg gravit l'échelle et disparut par la porte. Il n'avait aucune idée de ce qui l'attendait, il ne faisait que céder à l'impulsion qui était en lui depuis des semaines.
- Hé ho ! fit-il tout haut, hésitant. Il y a quelqu'un ?
Par-dessus la balustrade de la mezzanine, il aperçut en contrebas le salon qu'il connaissait déjà, plongé dans une lumière tamisée ; mais pourquoi y avait-il de la lumière s'il n'y avait personne ?
- Hé ho ! répéta-t-il, sans obtenir la moindre réponse.
Malberg emprunta l'escalier ouvert situé à l'autre bout de la mezzanine en s'évertuant à descendre les quatorze marches le plus discrètement possible. Il régnait toujours dans l'appartement le plus parfait silence.
Une fois en bas, il promena les yeux dans le salon autour de lui. Tétanisé, il tournait lentement sur lui-même. Son regard s'arrêta involontairement sur la porte de la salle de bains. Il se sentait oppressé ; il entendait le sang battre contre ses tempes.
Les yeux rivés sur la porte, il s'attendait à voir Marlène apparaître, tout en ayant parfaitement conscience que c'était impossible. Elle serait enveloppée dans son peignoir blanc, la tête enrubannée d'une serviette, et elle lui dirait : « Pourquoi arrives-tu si tard ? Je t'ai attendu. Nous avions bien rendez-vous ? » Et Malberg répondrait : « Tout à fait, mais j'ai fait un mauvais rêve. Je n'ai pas envie d'en parler. L'essentiel est que nous nous soyons retrouvés. Oublions vite ce qui s'est passé. » Il s'avancerait alors vers elle, la prendrait dans ses bras et lui murmurerait à l'oreille : « Tu n'as plus rien à craindre désormais. »
- Lukas ! Lukas !
Malberg se figea en entendant prononcer son nom. Il sentit deux mains énergiques qui le secouaient. Il lui fallut quelques secondes avant de comprendre que la femme qu'il tenait dans ses bras n'était pas Marlène, mais Caterina.
- Où est Paolo ? demanda-t-il dans son désarroi, après être revenu à la réalité.
Caterina tenait toujours fermement Malberg.
- Ne t'inquiète pas, Paolo monte la garde devant la porte.
Malberg se dégagea brusquement des bras de Caterina et lui montra la porte de la salle de bains.
- Ça s'est passé là, là ! balbutia-t-il, la gorge nouée, incapable de poursuivre.
Caterina hocha la tête, puis elle se dirigea vers la porte en se retournant encore une fois, comme pour avoir son autorisation. Devant l'absence complète de réaction de Lukas, elle enfonça la poignée, alluma la lumière et disparut. Malberg la suivit d'un pas hésitant dans la salle de bains d'une propreté extrême, carrelée de faïence blanche, avec sa robinetterie impeccablement briquée. On se serait cru dans un bloc opératoire.
Cette impression était encore renforcée par l'absence complète d'objets courants : il n'y avait ni serviette, ni morceau de savon, ni gobelet, ni shampooing. Et, donc, rien qui eût pu fournir un indice concernant l'assassinat de Marlène.
En sortant de la salle de bains, Malberg s'arrêta devant ce qu'il pensait être la porte d'entrée. Il fit signe à Caterina. Avant d'abaisser la poignée de la porte à double battant, il marqua un temps d'arrêt. Puis il ouvrit la porte.
Derrière, il découvrit un mur en maçonnerie grossière.
Caterina secoua la tête, incrédule. Un sourire de triomphe passa sur le visage de Malberg.
- Alors, tu me crois maintenant ? demanda-t-il sans attendre de réponse de la jeune femme. Puis il referma la porte qui ne donnait sur rien.
Le salon offrait l'image d'un confort de bon goût. En face de la porte de la salle de bains se trouvait une bibliothèque qui occupait tout le mur jusqu'au plafond, avec une porte aménagée au centre, laquelle s'ouvrait sur la chambre.
Elle n'était pas fermée, comme si quelqu'un avait quitté la pièce en toute hâte. Malberg hésita, éprouvant une certaine réticence à entrer ainsi dans ce qui avait été la chambre de Marlène. Mais il finit par se décider et poussa la porte avec précaution. De la main droite, il chercha à tâtons l'interrupteur. Deux appliques munies chacune de trois ampoules projetèrent dans la pièce une vive lumière. Un grand lit occupait presque tout le mur en face de la porte.
Malberg eut un léger mouvement de recul en apercevant les photos frivoles identiques à celles qu'il avait déjà découvertes dans la chambre de la marquise Falconieri, accrochées au-dessus du lit.
- C'est elle ? demanda Caterina après avoir regardé les photos de plus près.
- Hum, hum, répondit Malberg en feignant de prendre un air détaché.
- C'était une femme très séduisante.
Caterina regardait les photos d'un œil jaloux.
Malberg fit semblant de ne pas avoir entendu. Il se dirigea vers l'armoire qui se trouvait sur sa gauche. Elle regorgeait de vêtements, de jupes et de tailleurs, tous plus élégants les uns que les autres. Pas de doute, Marlène avait les moyens.
De retour dans le salon, Malberg se mit à la recherche d'indices qui auraient peut-être pu lui fournir de plus amples renseignements sur la vie de Marlène. Entre les trois portes-fenêtres qui donnaient sur la terrasse, il aperçut toute une série de photos, au moins deux douzaines, toutes de formats différents. Sur l'un des clichés, pris l'année du bac, Malberg se découvrit lui-même, avec Marlène qui se trouvait au rang derrière lui. Comme elle avait changé !
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