Cette fois, le cadavre dans son beau fauteuil n’était pas un numéro abstrait. Affolé, il jeta un coup d’œil suppliant à Malko comme si ce dernier avait pu le faire disparaître d’un coup de baguette magique.
— Ce serait intéressant de savoir pour qui il travaillait, dit celui-ci.
— Je pense qu’il voulait m’enlever ce matin. Voilà pourquoi ils étaient si nombreux, et pourquoi il a fui en me voyant. Il ne voulait pas me tuer. Vous n’avez plus qu’à trouver un autre agent local… Il eut pitié du désarroi de William Coby.
— Rassurez-vous, dit-il. Il ne se passe pas de mois sans qu’un des hommes du merveilleux Apparat Gehlen ne prenne le chemin de Moscou ou de Pékin. Kurt avait de gros besoins, comme tous les gentlemen qui ont pris l’habitude de bien vivre. Il fallait bien qu’il trouve de l’argent quelque part.
L’entrée de Foster Hillman interrompit cet intéressant monologue. Le patron de la C.I.A. se planta devant le fauteuil et regarda Kurt avec infiniment de pitié. Le gorille avait dû lui raconter l’histoire. Une seconde, Malko sentit que cet homme méprisait profondément le métier qu’il faisait. A son stade, il n’avait pas souvent l’occasion de voir des hommes mourir.
Il tira son porte-cigarettes en or massif et en sortit une Winston, il l’alluma avec un briquet en or également, tira une bouffée, puis se tourna vers Malko et dit pensivement :
— Nous faisons un métier difficile. Voyez-vous, nous ne savons jamais où sont nos vrais amis et nos vrais ennemis.
En mourant, Kurt von Hasel avait légèrement retroussé sa lèvre supérieure, ce qui lui donnait un air moqueur.
* * *
Le feu craquait joyeusement dans la cheminée. Avant de s’étendre sur la couverture de fourrure, Malko avait discrètement donné un tour de clef à la porte de la bibliothèque. Une douce chaleur régnait dans la pièce, éclairée seulement par les deux chandeliers que Malko avait apportés de la salle à manger.
Agenouillée devant le feu, Alexandra jouait avec ses cheveux dénoués. Les flammes leur donnaient un flamboiement roux. Impossible de savoir si la lueur qui dansait dans ses yeux venait du reflet de la cheminée ou de ses pensées. Malko lui tendit son verre de vodka.
— A nous.
Elle leva son verre et but d’un trait. Puis elle passa ses bras autour du cou de Malko et frotta légèrement sa poitrine nue contre le tissu léger de sa chemise.
— Je ne devrais pas être ici, murmura-t-elle. Tu es un cochon dégoûtant.
Ce qui était un pléonasme.
— Pourquoi ? demanda Malko en jouant avec la pointe d’un de ses seins.
— Ta putain américaine. Je suis sûre qu’elle est encore là. Si je la trouve, je lui arrache les yeux et toi…
— Elle est morte. Je l’ai tuée. Pour tes beaux yeux.
— Ne dis pas d’imbécillités.
— Veux-tu que je te montre le cadavre ? Il est dans la cabane du jardinier.
Un frisson délicieux parcourut l’épine dorsale d’Alexandra. Une fraction de seconde elle joua à croire que c’était vrai. Puis, elle se serra un peu plus contre Malko.
Celui-ci lui caressait doucement le genou. Pour la première fois depuis qu’il la connaissait, elle ne portait pas de jodpur mais un très joli tailleur de cuir vert avec des bas résille assortis. Pour la première fois aussi, lorsque la main de Malko quitta le genou, Alexandra ne grogna pas. Elle s’allongea sur la couverture, le visage tourné vers le feu, la jupe de cuir ne cachant déjà plus grand-chose de ses longues jambes.
Le carillon de l’entrée sonna trois coups. Malko qui avait un peu froid, se leva tout doucement pour remettre une bûche dans le feu. Son corps nu se découpa sur la lueur rougeoyante des braises. Alexandra s’étira langoureusement et tendit les bras vers Malko. Le tailleur et ce qu’elle portait en dessous était éparpillé dans un rayon de dix mètres.
Les yeux fermés, elle serra le corps de son amant contre elle et murmura à son oreille :
— Mein vervogelle Kaiserliche Hoheil {Tu b… vraiment comme une Altesse Impériale.} .