— Qu’avez-vous l’intention de faire maintenant ? demanda-t-il.
— Ces cinglés ont enlevé Malko, dit-elle. Il faut les retrouver. J’ai le numéro de la voiture polonaise. Il faut que je joigne Mladen Lazorov. Vous venez avec moi ?
— Oui, dit sans hésiter le franciscain.
Juste avant l’appel du barbu, il en avait eu un du Serpent, lui fixant rendez-vous dans son confessionnal habituel de la cathédrale. Il était sans illusion sur ce qui l’attendait. Il avait le choix entre la mort ou le déshonneur.
* * *
— Une voiture de la Milicja vient de les repérer à Slavonski Brod, annonça triomphalement Mladen Lazorov à Swesda et Jozo Kozari qui l’avaient rejoint. Ils roulent en direction de Belgrade. J’ai donné l’ordre qu’on ne les intercepte pas mais que les véhicules de la Milicja se passent le relais.
Il roulait à près de deux cents à l’heure sur l’autoroute, Swesda à côté de lui et Jozo Kozari derrière. Le policier raccrocha son micro pour se concentrer sur sa conduite. Les derricks défilaient à une vitesse hallucinante. Heureusement, à part quelques camions, il n’y avait aucune circulation sur la plus grande autoroute de Yougoslavie.
Swesda se tourna vers le jeune policier.
— Vous pensez qu’on va les rattraper ?
— Sûrement.
Ce qu’il fallait éviter, c’était une confrontation armée entre la Milice et les hommes de Miroslav Benkovac. Malko risquerait d’être pris entre deux feux.
Le milicien dans sa tenue gris-vert mal coupée s’approcha de la BMW et salua respectueusement Mladen Lazorov.
— Ils se sont installés au motel de Sotin, gospodine. Juste au bord du Danube. En dehors de la Volga tirant la caravane, il y a quatre voitures immatriculées en Bosnie et à Zagreb. Nous n’avons rien fait selon les ordres, mais une de nos voitures surveille le chemin menant au motel.
— Parfait, approuva Mladen Lazorov. Continuez votre surveillance. Nous allons à Vukovar et nous agirons lorsque la nuit sera tombée.
Ils venaient de passer Vinkovci, à une vingtaine de kilomètres du Danube, dans une région où les villages serbes et croates s’entremêlaient. Il y avait déjà eu de nombreux incidents, qui, heureusement, n’avaient pas dégénéré. Mladen Lazorov se sentait plus tranquille. Maintenant, il y avait une bonne chance de sauver Malko.
Mladen redémarra.
— Où allons-nous ? demanda anxieusement Swesda.
— Au siège de la Milice de Vukovar. Mettre tout le dispositif en place.
Ils y furent un quart d’heure plus tard. Il y régnait une animation de ruche avec des miliciens au grand béret gris s’agitant dans tous les sens. Tous les hommes disponibles avaient été mobilisés.
— Allons nous reposer, suggéra Mladen Lazorov. Nous ne pouvons rien faire avant la nuit.
Swesda n’avait pas envie de se reposer, pensant au sort de Malko, qui se trouvait à une dizaine de kilomètres de là.
* * *
Un bref éclair. Le responsable du barrage établi par la Milice venait de manifester sa présence. Mladen Lazorov échangea quelques mots avant de continuer à pied. Escorté de deux Gardes nationaux armés de Kalachnikov comme lui.
Swesda Damicilovic et Jozo Kozari suivaient, sans arme.
Devant eux, le chemin empierré descendait en pente douce jusqu’au Danube, distant d’une centaine de mètres. On apercevait la surface de l’eau où se reflétait la lune. Le motel de Sotin se trouvait sur la gauche, prolongé par une terrasse dominant une piscine vide, juste au bord des berges obliques cimentées du grand fleuve.
Une dizaine de voitures étaient garées devant le motel. Le cœur de Swesda battit plus vite. La Volga à laquelle était accrochée la caravane était un peu à l’écart, parallèlement au fleuve. Apparemment vide.
Mladen Lazorov échangea quelques mots en chuchotant avec les miliciens et s’approcha à pas de loup de la voiture. Après avoir vérifié qu’elle était inoccupée, il fonça vers la caravane. Il ne lui fallut que quelques secondes pour ouvrir la porte, grâce à un trousseau de clefs fourni par un serrurier de la Milicja. Le faisceau de sa torche éclaira Malko allongé par terre, au milieu des mitrailleuses et des bandes de cartouches. Ligoté et bâillonné. Une corde enserrant son cou, ce qui l’étranglait s’il tentait de se débattre. Une minute plus tard, il se tenait debout dans l’herbe, encore un peu étourdi.
— Comment m’avez-vous retrouvé ? demanda-t-il.
— C’est grâce à Swesda, expliqua Mladen Lazorov. Et aussi à notre ami Jozo Kozari.
Le franciscain eut un sourire gêné.
— Il n’y a plus qu’à tous les arrêter, suggéra Mladen Lazorov. Tout le coin est cerné.
Au moment où Malko allait répondre, des phares apparurent en haut du chemin. Ils se dissimulèrent derrière la caravane et virent passer une voiture sombre qui s’arrêta devant le motel. Un homme en descendit, passant sous l’éclairage de la terrasse. Jozo Kozari eut un haut-le-corps.
— C’est Le Serpent ! chuchota-t-il.
Le major Tuzla errait sur la terrasse, cherchant l’entrée du motel. Dès qu’il l’eut trouvée, il revint vers sa voiture, probablement pour y prendre des bagages, mais ne l’atteignit jamais. Malko s’était dressé devant lui, une carabine Kalachnikov au poing, empruntée à Mladen Lazorov.
L’officier serbe se figea devant lui. Stupéfait.
— C’est la fin du voyage, major Tuzla, dit Malko.
Le Serpent tourna légèrement la tête, sans même répondre. Le Danube se trouvait à vingt mètres. De l’autre côté, c’était la Vojvodina, la sécurité. Malko lui ôta ses illusions d’une voix douce.
— Si vous vous enfuyez, je vous tue, annonça-t-il.
— Que voulez-vous ? demanda le major qui avait repris son sang-froid. Je suis un officier de l’armée fédérale. Vous n’avez pas le droit de porter la main sur moi.
— Sonia, c’est vous, dit lentement Malko. Gunther, c’est vous. Sans compter tout ce que je ne sais pas.
— Je ne comprends pas, lança d’une voix métallique le major. Je ne connais pas les personnes que vous citez. Conduisez-moi à là Milicja.
Évidemment. En trois coups de fil, il obtiendrait le soutien de l’état-major, à Belgrade. Et serait très probablement libéré. Sans baisser son arme, Malko lui répliqua de la même voix égale :
— Non. Je ne vous conduirai pas à la Milicja. Il venait d’avoir une bien meilleure idée.
* * *
Le jour se levait et des pans de brume flottaient encore sur le Danube. Ni Malko ni Swesda n’avaient beaucoup dormi. D’abord, il avait fallu convaincre Mladen Lazorov. Encore néophyte dans ce genre d’affaires, il aurait eu tendance à faire confiance à la Loi. Finalement, il s’était rallié au plan de Malko. Un peu à contrecœur. Maintenant, de la fenêtre de sa chambre, ce dernier observait le remue-ménage en dessous de lui. Les complices de Miroslav Benkovac étaient prêts à partir dans leurs voitures respectives qui devaient suivre la caravane, à quelques dizaines de minutes. Miroslav Benkovac, visiblement nerveux, était déjà sorti plusieurs fois du motel, guettant le chemin d’accès.
Il devait attendre le major Tuzla…
Un de ses hommes avait fait tourner le moteur de la Volga et l’attelage était prêt à partir.
Malko vit soudain Jozo Kozari sortir du motel. Il se dirigea vers le bord du fleuve, sembla se recueillir quelques instants puis, d’un pas tranquille, se dirigea vers la Volga. Il ouvrit la portière et se mit au volant. Miroslav Benkovac l’aperçut, poussa un cri et se précipita.
Trop tard !
En première, la Volga s’éloignait en cahotant, tirant la lourde caravane. Déjà, deux des hommes de Miroslav étaient en train de sauter dans une voiture. Ils ne purent même pas démarrer. Un coup de sifflet et des miliciens, armes au poing, jaillirent de tous les coins, maîtrisant les extrémistes, les fouillant, les plaquant au sol. En quelques minutes, le calme était revenu et la Volga avait disparu.
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