— Quel service lui avez-vous rendu cette nuit ?
Pendant quelques secondes, Jozo Kozari hésita à répondre, puis il se mit à tout raconter.
— Le numéro de cet attelage polonais ? demanda Malko.
— Je ne l’ai pas noté, je vous le promets, jura le franciscain. La Volga est grise. C’est une grosse caravane.
— Où est Le Serpent ?
— Je ne sais pas.
— Vous devez le revoir ?
— Il ne m’a rien dit, c’est toujours lui qui m’appelle. Parfois, il reste des mois sans donner signe de vie.
— Si vous lui téléphonez, il viendra à un rendez-vous ?
— Je n’ai pas son numéro…
Malko réfléchit rapidement. Lui l’avait, mais le major Tuzla se méfierait immédiatement. Pressé comme un citron, le franciscain ne pouvait plus lui être d’aucun secours. Il fit pourtant une ultime tentative.
— Où se trouve Miroslav Benkovac ?
— Je ne sais pas non plus, j’ignore même où il demeure à Zagreb. Une fois, il est venu coucher au couvent… Je ne peux pas le joindre.
Tassé sur la banquette, le regard embué, il faisait pitié. Malko se leva.
— Retournez dans votre couvent et priez, dit-il. Pour que nous parvenions à arrêter cette opération diabolique.
Jozo Kozari se leva lentement, comme un vieillard, et s’éloigna sans avoir osé tendre la main à Malko.
Brisé.
* * *
— Il faut alerter tous les postes de la Milicja, déclara Mladen Lazorov. Qu’on intercepte cette caravane. Seulement, sans le numéro, c’est difficile, la Slavonie est pleine de touristes et il y a pas mal de Polonais…
— Il n’y a pas moins de contrôles la nuit ?
— Pratiquement pas. Nous manquons d’hommes.
— Et s’ils se trouvaient encore à Zagreb ?
— C’est possible, reconnut le policier croate. Il faut faire le tour, des parkings de la périphérie. Le centre est interdit aux caravanes. Seulement, cela fait beaucoup d’endroits à vérifier. La Milicja ne va pas y consacrer beaucoup d’hommes : ils n’en ont pas les moyens.
— Partageons-nous le travail, suggéra Malko, vous et moi. Nous pouvons éliminer le nord de la ville à cause de ses rues étroites. Il reste tout le sud, à partir de Beogradska. Je vais explorer tout ce qui se trouve à l’ouest de Hrvatske Bratzke Zajednice, vous vous occuperez de l’est.
— Si vous les trouvez, appelez ce numéro, c’est le central de la Milicja. Ils parlent allemand. Demandez-leur de me prévenir immédiatement.
Swesda Damicilovic, qui était descendue les rejoindre dans le hall de L’Esplanade après le départ de Jozo Kozari, se leva en même temps que Malko.
— Je ne vais pas rester à attendre ici, décréta-t-elle.
* * *
Malko fit demi-tour, remontant par l’avenue Marina Drzica. Il avait été trop loin vers le sud en pleine campagne où la route étroite ne présentait aucun parking. Arrivé au croisement de Beogradska, il prit à droite, vers l’est. Là se trouvaient plusieurs aires de stationnement fréquentées surtout par les poids lourds filant sur Belgrade.
Swesda Damicilovic avait la gorge desséchée à force de demander à tous ceux qu’ils rencontraient s’ils avaient vu une Volga grise, traînant une grosse caravane, le tout immatriculé en Pologne.
Malko aperçut devant lui, en contrebas de l’autoroute un grand parking plein de camions avec des semi-remorques sans tracteur. Il bifurqua pour l’explorer de près et son cœur se mit à battre plus vite. Coincée entre deux énormes gros culs, il y avait une Volga grise haute sur pattes et une caravane qui avait connu des jours meilleurs. Il baissa les yeux sur la plaque de l’avant : les chiffres noirs sur fond blanc des pays de l’Est et un macaron ovale avec « PL ».
— Attends-moi dans la voiture, dit-il à Swesda.
Il gara sa Mercedes derrière un Mann et s’éloigna à pied. La Volga était vide. Il se dirigea vers la caravane. Il était en train de l’examiner quand une pointe aiguë piquant ses reins le fit sursauter, tandis qu’une voix basse disait quelques mots incompréhensibles… Il se détourna et vit un grand type aux cheveux ébouriffés, pas rasé, l’air féroce, qui lui enfonçait une baïonnette de Kalachnikov dans le dos.
À côté de lui, se trouvait Miroslav Benkovac, avec un regard de fou. Ce dernier frappa trois fois à la porte de la caravane qui, aussitôt, s’ouvrit.
Malko fut poussé à l’intérieur, accueilli par un autre escogriffe armé d’un fusil M. 16, chargeur engagé, qui lui en enfonça le canon dans le ventre. Il n’eut le temps de rien faire : un violent coup de crosse dans la nuque lui fit perdre connaissance…
Lorsqu’il rouvrit les yeux, il était ficelé comme un saucisson, allongé entre deux mitrailleuses M. 60, l’escogriffe au M. 16 veillant sur lui, assis sur des caisses de munitions.
Dans la caravane, il régnait une chaleur à se trouver mal… Malko sentit une secousse, l’attelage s’ébranlait.
Bientôt, il se rendit compte qu’ils roulaient assez vite. Dix minutes, puis une halte. La porte s’ouvrit et il se trouva devant la barbe fournie de Miroslav Benkovac. Le jeune activiste croate flamboyait de rage. Sans crier gare, il expédia un coup de poing à Malko qui le fit saigner du nez. Comme si cela avait été le signal, ses deux compagnons se mirent à le rouer de coups de poing et de pied. La caravane tanguait comme un bateau ivre. Finalement, un des Croates brandit un poignard avec l’intention évidente d’égorger Malko.
— Attends ! fit Miroslav Benkovac.
— Vous êtes fou ! protesta Malko. Pourquoi me traiter ainsi ?
— Parce que vous travaillez avec les Serbes, gronda le Croate. C’est vous qui avez éliminé Boza. J’en suis sûr. Depuis que vous êtes à Zagreb, vous nous traquez. Nous vous laisserons avec vos amis Tchekniks, on verra comment ils vous traitent…
— Vous n’arriverez jamais en Slavonie, dit Malko, la police connaît l’existence de votre caravane. Ils la recherchent. Vous travaillez en réalité pour le KOS. Votre ami Boza est un traître.
Miroslav Benkovac haussa les épaules.
— Vous dites n’importe quoi pour sauver votre vie… À propos, ne comptez pas sur votre complice Swesda, elle est aussi entre nos mains.
— Où est-elle ? ne put s’empêcher de demander Malko.
— Cela ne vous regarde pas.
Il sortit, la porte claqua et la caravane s’ébranla à nouveau.
Si Mladen Lazorov ne le retrouvait pas rapidement, il y avait de fortes chances pour que cela se passe très mal pour lui… Le plan de ses adversaires était féroce : l’abandonner dans un village serbe dont on aurait massacré la plupart des habitants. Les survivants le lyncheraient, au mieux. Et ce n’était pas l’armée yougoslave qui interviendrait en sa faveur. À partir du moment où il était dans cette caravane, il faisait partie des fascistes Oustachis…
* * *
Le major Tuzla attendait à la terrasse de l ’Orient-Express, en civil.
Rien qu’en voyant arriver Miroslav Benkovac, il comprit qu’il y avait un nouveau problème. L’activiste croate se laissa tomber à côté de lui, arborant une mine catastrophée.
— Que se passe-t-il ? demanda Tuzla.
— La police a découvert l’existence de la caravane ! annonça Miroslav Benkovac.
L’officier serbe eut l’impression de recevoir le ciel sur la tête. Comment les Croates avaient-ils eu vent de l’histoire de la caravane ? Seuls Boza et Jozo étaient au courant. Si Boza avait parlé, il aurait trouvé un Comité d’accueil. Donc, c’était Jozo Kozari.
Le salaud !
Machinalement, il regarda autour de lui. Si la police avait suivi Miroslav Benkovac, non seulement sa manip était terminée, mais sa carrière aussi.
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