— Vous en êtes sûr ? demanda-t-il avec un calme de façade.
— Bien sûr ! confirma Miroslav Benkovac, mes hommes ont trouvé l’agent des Américains en train de rôder autour.
— Vous l’avez tué ? demanda Tuzla, plein d’espoir.
— Non, nous l’avons fait prisonnier. Nous l’abandonnerons à Borovo avant d’en repartir.
C’était encore une meilleure idée. Pendant des années, la SDB avait tenté de faire croire que la CIA finançait les Oustachis.
— Il était seul ? demanda Tuzla.
— Non, avec une femme, une Serbe qui travaille sûrement pour Belgrade. Nous l’avons emmenée dans un local sûr. Il faut savoir tout sur ses réseaux, ensuite on la liquidera.
Si la situation avait été moins grave, le major Tuzla aurait éclaté de rire. Ces balourds de Croates s’emparant de leurs propres alliés et discutant de leur sort avec lui. Peu importe, il fallait bien qu’ils s’amusent. Mais le point principal n’était pas là.
— Où est la caravane ?
— Sur un parking, derrière une station-service de l’autoroute de Belgrade. Après le péage.
Pas fameux. Ils étaient à la merci d’un milicien un peu trop curieux. Hélas, il n’avait plus le choix. En attendant son siège le brûlait. Il consulta ostensiblement sa montre.
— Je dois vous laisser. Je serai ce soir au motel de Sotin. Bonne chance.
Il s’enfuit comme s’il avait le diable à ses trousses. Une fois à Sotin, il ne restait que le Danube à franchir pour être en sûreté.
Cette fois, il quittait Zagreb pour de bon. Mais, avant, il avait quand même un sacré compte à régler, si c’était possible.
* * *
Mladen Lazorov, la radio ouverte, parcourait Zagreb dans tous les sens. Toutes les voitures de la Milicja étaient alertées. Maintenant, ils recherchaient non seulement la caravane polonaise, mais aussi la voiture de Malko… Celui-ci avait disparu ainsi que Swesda. Ce qui n’était pas bon signe. Soudain, son haut-parleur grésilla.
— On vient de retrouver la Mercedes dans un parking de l’autoroute de Belgrade, annonça un milicien.
Mladen Lazorov brancha sa sirène et fonça. La Mercedes était vide, pas fermée à clef. Ce qui signifiait que Malko avait retrouvé la caravane et que ses occupants l’avaient enlevé ou tué. À cette heure-ci, ils avaient sûrement quitté Zagreb.
* * *
Swesda Damicilovic reprit connaissance, la mâchoire de travers, avec une migraine effroyable. Elle avait des bleus partout, la nuque raide et un œil au beurre noir. Lorsqu’elle avait vu Malko se faire attaquer, au lieu de démarrer chercher du secours, elle s’était bêtement précipitée et fait ceinturer par un des gorilles de Miroslav Benkovac. Il l’avait rouée de coups avant de la jeter dans un fourgon où on l’avait menacée des pires sévices. Elle avait atterri dans une cour, et, de là, dans un sous-sol où un jeune homme dont la barbe arrivait presque aux yeux, au regard illuminé, ne cessait de l’injurier et de la menacer.
Un hystérique de la Grande Croatie qui jouait avec un énorme poignard pour lui faire dire qu’elle travaillait pour les Serbes. Entre deux diatribes, elle remarqua quand même que le regard de son geôlier se posait souvent sur ses seins ronds et glissait ensuite vers ses cuisses pleines de bleus.
— Donne-moi à boire ! supplia-t-elle, je ne suis pas ce que tu dis.
— Tu n’es qu’une salope ! répliqua le barbu, avec pourtant un peu moins de conviction.
Il alla lui chercher une bière qu’elle but avec délices, coincée par l’escogriffe hystérique. Elle se dit qu’il était beau garçon avec son regard de braise et ses épaules larges. Il fallait coûte que coûte se tirer de là. Pour ça, elle ne disposait que d’une arme.
— Qu’est-ce que vous allez me faire ? demanda-t-elle.
— Quand les autres seront revenus, expliqua le barbu, on te jugera, on te condamnera et tu seras châtiée.
— Comment ?
— On t’arrachera les yeux, d’abord. Tu sais bien que nous avons des traditions, nous autres Oustachis…
Elle frémit malgré elle ; ce beau jeune homme était un Oustachi.
— Pourquoi es-tu si méchant ? demanda-t-elle d’une voix douce. Je ne vous ai rien fait. Libère-moi au moins les bras, j’ai très mal. J’ai les pieds attachés, je ne peux pas m’enfuir…
Son regard était aussi insistant que suppliant… Le jeune homme hésita, puis se pencha et défit les liens de ses mains. Immédiatement, Swesda se coula contre lui, agenouillée comme une esclave, enserrant sa taille de ses deux bras, frottant doucement son visage contre le devant de son pantalon. Il essaya, en vain, de se dégager. Les gros seins s’écrasaient contre ses cuisses et il sentait la chaleur de la bouche de Swesda à travers le tissu. Elle le massait, le regard chaviré, et leva vers lui un visage extasié.
— Tu sais que tu es beau…
Impossible de savoir si elle parlait de son visage ou de son sexe qu’elle venait d’arracher à sa prison de toile. Un membre long et fin qu’elle se mit à manueliser avec joie, oubliant quelques secondes pourquoi elle se trouvait là. Plongeant dessus comme un vautour, elle l’engloutit sans laisser à son propriétaire le temps de se reprendre. Ce dernier avait renoncé à se défendre. C’était la première fois qu’il subissait un traitement semblable. À l’Université, les étudiantes étaient encore maladroites. Swesda savourait ce qu’elle faisait. Même libre, elle aurait continué.
— Regarde ! dit-elle soudain d’une voix rauque.
Les yeux fermés, le barbu n’obéit pas. Elle le regarda jaillir dans sa main et l’enveloppa aussitôt à nouveau de sa bouche. Il rouvrit les yeux, écarlate de honte et la repoussa.
— Tu te rends compte ce qu’on aurait pu faire si je n’avais pas les jambes attachées, lança Swesda de sa voix rauque des grands jours.
Soudain, elle remarqua le crucifix sur le mur. Les Oustachis étaient de fervents chrétiens. Il fallait penser à l’avenir. Les copains de son geôlier ne seraient peut-être pas aussi malléables…
— Tu connais le père franciscain Jozo Kozari ? demanda-t-elle à tout hasard.
Le barbu, en train de se rajuster, lui jeta un regard stupéfait.
— Jozo Kozari ! Bien sûr ! C’est un des nôtres. Pourquoi ?
— Tu sais où le joindre dans son couvent ? demanda-t-elle.
— Oui, balbutia-t-il.
— Alors, appelle-le, lança-t-elle. Il me connaît bien. Il sait que je ne suis pas ce que tu dis… Va…
Le jeune homme hésita. Après ce qu’il venait d’accepter d’elle, il avait hâte d’innocenter sa prisonnière. Sinon, elle risquait de tout raconter.
Il se dirigea vers le téléphone. Swesda Damicilovic l’épiait avec un sourire figé. Elle ne suivit qu’une moitié de la conversation, mais cela suffisait.
— C’est vrai, il te connaît, lança le barbu.
— Dis-lui de venir, nous allons nous expliquer, supplia Swesda.
Il parla à voix basse et elle ne put tout entendre. Mais quand il raccrocha, il annonça :
— Il veut bien venir.
— Tu peux me détacher maintenant ! suggéra Swesda.
Il s’exécuta.
À peine fut-elle libre qu’elle se colla à lui. Lubrique comme une chatte en rut.
— Tu crois que tu vas pouvoir encore une fois ? demanda-t-elle.
Elle le dégagea. Il était encore plus excité que la fois précédente. C’était beau la jeunesse.
* * *
Swesda Damicilovic regarda les vieux immeubles décrépits de la rue Sencina avec un soulagement sans faille. Jozo Kozari la couvait d’un regard ambigu : il n’avait pas ménagé sa peine pour obtenir du barbu qu’il la laisse partir. La garantissant de sa propre personne.
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