Malko glissa et tomba, se releva, couvert de boue. Il avait l’impression d’avoir été pris dans une essoreuse, mais surtout, il avait perdu le sens de la direction et il était sourd ! Il se retourna ; plusieurs miliciens couraient dans sa direction, tirant au hasard des rafales de Kalachnikov. Son cœur cognait contre ses côtes et une pointe aiguë lui perçait le flanc droit. Il n’en pouvait plus. Soudain, il vit ses poursuivants s’arrêter, lever leurs armes vers le ciel. L’un d’eux tomba. Il tourna la tête et aperçut une grosse « banane Sikorski », un hélicoptère aux grandes portes latérales rectangulaires occupées par des mitrailleurs.
Les Marines.
L’appareil s’immobilisa au-dessus de lui et lança une échelle de corde. Il essaya de la saisir, mais il était trop faible. D’après le recul du canon et les flammes, il vit qu’une des mitrailleuses tirait, mais il ne l’entendait pas.
Le Sikorski s’abaissa encore, touchant pratiquement le sol. Des Marines sautèrent à terre, l’aidèrent à se hisser dans la carlingue et l’appareil repartit, en crabe, tirant de toutes ses mitrailleuses, pour se poser cinq cents mètres plus loin, à l’abri des sacs de sable du PC, sur le toit de la station-service. Un officier s’approcha et cria à Malko :
— Sir, nous avons l’ordre de vous transporter chez notre ambassadeur !
Malko comprit le mot « ambassadeur » et hocha la tête.
Il se sentait dans du coton. On l’entraîna et de nouveau, il se retrouva en l’air.
La première chose qu’il aperçut dans le jardin de l’ambassadeur fut une civière avec Robert Carver qu’on venait de descendre de sa terrasse. En dépit de sa douleur, l’Américain lui adressa un signe joyeux. Malko s’approcha de lui, vit un homme se précipiter et lui secouer vigoureusement la main. Il réalisa enfin qu’il n’entendait pas.
— Je crois que je suis sourd, fit-il.
Il s’accroupit auprès de Carver qui l’agrippa aussitôt.
— We made it ! We made it ! [24] Nous avons réussi !
exulta le chef de poste de la CIA. Vous avez réduit ces salauds en poussière, il paraît … Le dernier a sauté ici. Ils ne sont pas près de recommencer …
Un peu plus loin, il aperçut un homme qui sortait d’une longue limousine et qui se dirigeait vers l’intérieur de la résidence, entouré d’un véritable mur humain : le président Gemayel.
Malko sentit la tête lui tourner. Il revoyait Farouk et ses dollars, le dos déchiqueté, et la gorge tranchée de Neyla. Et aussi le visage las et calme de « Johnny ». Il se sentait fatigué, terriblement fatigué. Un voile passa devant ses yeux. Il voulait dire des tas de choses, mais n’arrivait pas à prononcer un mot.
On le prit par le bras, deux infirmiers soulevèrent la civière de Robert Carver. Il monta dans l’appareil qui l’avait emmené. De nouveau l’air. Trois gun ships escortaient la « banane volante ». Ils passèrent au-dessus de Hadeth. La fumée n’était pas encore dissipée. Des ambulances stationnaient tout autour. Le pilote se retourna et leva son pouce en guise de victoire.
— Jolly good job ! [25] Du bon travail !
hurla-t-il.
Malko regardait Beyrouth, noyé dans la brume matinale, si calme en apparence. Qui se réveillait en ayant échappé à une nouvelle catastrophe. Grâce à lui. Il aurait dû en être heureux. Pourtant, il craignait, hélas, de n’avoir fait reculer le sablier du destin que de quelques grains de sable.
Rattrape-le ! Il l’a tué !
M. Guillermin a été abattu ! Il est mort !
Espoir, en arabe.
Roquette sol-air de fabrication soviétique, tirée à l’épaule par un seul homme.
SAS n° 61 : Le complot du Caire.
Véhicule blindé armé d’un canon sans recul.
Fusée sol-sol soviétique.
Le couvre-feu !
SAS n° 72 : Embuscade à la Khyber Pass.
Une minute !
Tranches de mouton rôti, enveloppées dans des galettes.
SAS n° 26 : Mort à Beyrouth.
L’Armée israélienne.
Comité International de la Croix-Rouge.
Oui.
Chef de Amal islamique.
Journaliste !
Pipe à eau.
Allah est grand.
Forces de Sécurité Intérieure.
Bienvenue.
Bombes intelligentes, guidées par radio.
Hélicoptères de combat.
Nous avons réussi !
Du bon travail !