Sinon nous serons obligés d’attendre. Tout à l’heure j’irai voir le bulletin météo.
Puis son sourire se chargea de confusion.
— Excusez-moi. J’oubliais.
— Aucune importance. J’espère qu’ils l’afficheront comme je le faisais.
Sortant du puits aux chaînes il s’étira avec une grimace puis massa ses cuisses.
— Combien de temps doit durer la campagne ?
— Trois semaines. Je vais décharger et vendre à Anchorage puis je reviens ici.
Le chemin de la liberté risquait d’être très long, mais ce serait également le plus sûr.
— Très bien, dit Gann. Dans combien de temps Anchorage ?
— Dix ou douze jours. À condition que nous puissions partir demain matin évidemment.
Puis il s’inclina légèrement :
— Accepterez-vous de partager notre modeste repas ?
Quand Kovask immobilisa sa voiture devant le petit chalet en bois, il dédia une pensée reconnaissante à tous les services de police et de renseignements qui, en moins de trois jours avaient découvert l’endroit où Geoffrey et Alberta Gann passaient habituellement leur congé du nouvel an. Le couple n’avait pas les moyens de fréquenter un hôtel. Il louait simplement un tout petit appartement à une vieille dame, Mrs Blatasky.
Âgée de quatre-vingts ans, d’aspect encore vigoureux et alerte, elle vint lui ouvrir.
— Entré, dit-elle. Je vous attendais.
Sa visite avait été annoncée le matin même à la vieille dame.
— Allons tout de suite à leur appartement. Je n’ai rien touché depuis la Noël et j’allais le nettoyer pour les grandes vacances.
— Avaient-ils l’habitude de venir ici ?
— Bien sûr. Ils s’y plaisaient beaucoup et préféraient passer leurs vacances ici plutôt que de courir le risque de dépenser de l’argent aux U.S.A.
Elle aussi parlait ainsi du pays. L’Alaska avait beau être le quarante-neuvième état, les gens n’en continuaient pas moins de se croire à l’étranger.
— Voilà.
Un studio avec un large divan, une petite cuisine avec une douche dans un angle.
— Ils sont arrivés vers le vingt décembre. Le cinq janvier elle n’était plus là. J’avais été invitée chez des amis à Nome et c’est au retour que j’ai appris qu’elle l’avait quitté.
— Quelle était son attitude ? Elle hocha tristement la tête :
— Il était bien malheureux. Ils s’entendaient fort bien. Toujours aussi amoureux l’un de l’autre qu’au premier jour et … Je n’arrivais pas à y croire.
— Que vous a-t-il dit ?
— Eh bien, qu’elle ne pouvait plus supporter cette vie pénible, ce pays etc, etc … Elle était repartie aux U.S.A.
Kovask regardait autour de lui.
— Avait-elle emporté des bagages ?
— Ma foi elle devait être si en colère qu’elle n’a emporté qu’un petit sac. Le lendemain il lui a préparé une pleine valise d’effets.
Pour la première fois un fait précis était cité.
— Une valise, dit Kovask avec le plus de calme possible. Savez-vous comment il la lui a fait parvenir ?
— Il me l’a confiée et un homme est venu la chercher alors qu’il était en ville. J’ai trouvé ça bizarre, car ensuite il m’a avoué être allé au cinéma.
— Quel genre d’homme ?
— Une sorte de camionneur. Un Américain. Il a transporté la valise jusqu’à une camionnette, puis alors que je croyais qu’il allait revenir jusqu’ici, il a filé. J’ai même cru que c’était un escroc mais non. Mr Gann a trouvé la chose normale.
Kovask lui demanda la description de cet homme.
— Oh ! je m’en souviens. Tout cela était si bizarre. Un garçon d’une trentaine d’années, robuste quoique de taille moyenne. On aurait dit un Indien.
— Aucun autre détail significatif ?
Mrs Blatasky réfléchit quelques secondes.
— Non, absolument aucun.
— Quelles étaient les habitudes du couple quand il venait ici ?
Avant de se lancer dans de tels détails elle insista pour lui offrir du café, et il la suivit jusque dans son living. Elle s’égara en lui expliquant qu’elle avait épousé le descendant d’anciens colons russes. Il eut du mal à la ramener à son sujet.
— Ils sortaient tous les jours, mangeaient souvent dehors le soir. Parfois ils allaient faire du ski.
— Avaient-ils un endroit préféré ? Un bar ? Un salon de thé ?
— Je ne sais pas ils allaient au cinéma, au bowling, faire du patin à glace sur la piste de l’Impérial.
Une enquête était menée par le F.B.I. local pour retrouver la trace des deux jeunes gens.
— Cela fait la quatrième année qu’ils viennent chez vous ?
— Oui bien sûr. Je les regretterai beaucoup.
— Permettez-vous que je fouille dans les tiroirs ?
Il commença par un petit bureau installé à côté de la fenêtre, n’y trouva que des illustrés et des dépliants publicitaires. Il les mit de côté et poursuivit ses recherches.
Ce fut dans le haut de la petite bibliothèque vitrée qu’il mit la main sur une douille de carabine à répétition.
— Tiens. Une 32 WCF pour une carabine Colt. Votre locataire chassait-il ?
Mrs Blatasky approuva de la tête.
— Oui. Il s’abonnait avec sa femme à ces chasses tarifées. Vous savez, un avion vient prendre une dizaine de personnes, les transporte à mille kilomètres dans un endroit où ils trouvent un chalet confortable, et où ils peuvent chasser le morse, l’ours et même le phoque. Mais je ne crois pas qu’ils y soient allés cette année.
Kovask examinait toujours la douille, la reniflait. L’odeur de poudre brûlée était encore puissante.
— Mrs Blatasky, j’ai la certitude que cette cartouche a été utilisée depuis moins d’un an. Combien de temps êtes-vous restée à Nome chez vos amis ? La vieille dame eut un petit rire gêné.
— Une dizaine de jours. À vrai dire, j’ai trop mangé pour le réveillon et je me suis alitée pendant deux jours. Ils n’ont pas voulu que je reparte avant d’être parfaitement rétablie.
Justement, dans les prospectus publicitaires, deux étaient diffusés par des organisateurs de chasse, et les autres par des maisons de sport spécialistes de l’équipement cynégétique.
— Je reviendrai peut-être, dit Kovask en se dirigeant vers la porte.
Mrs Blatasky le suivit à petits pas rapides.
— Dites-moi, que lui est-il arrivé ? Elle … Rien de fâcheux n’est-ce pas ?
— Elle a disparu depuis cette date et son mari la fait rechercher. Au revoir madame.
Une heure plus tard il avait découvert le club de chasse où le couple s’était inscrit. « Moose in the sight » était installé dans la 4 e Avenue au-dessus d’un bar, également appelé Moose Club. Une jeune femme brune et sympathique l’accueillit. Gann dites-vous ? Une seconde.
Elle compulsa son dossier.
— En effet. Ils ont passé le premier de l’an dans notre chalet de Galena sur les rives du Yukon, ils s’étaient inscrits pour la chasse et avaient retenu un traîneau à chiens pour le 3 janvier.
— Pouvez-vous me dire à combien se sont montées leurs dépenses ?
La jeune femme eut l’air surpris mais elle le lui précisa :
— Deux cent-cinquante-cinq dollars avec la location du traîneau. Nos tarifs sont soigneusement étudiés.
— En effet.
La somme n’était pas exorbitante. Il essayait de savoir si Gann n’avait pas par hasard une autre source de revenus. Il ne comprenait pas pourquoi l’instituteur avait accepté de travailler pour un réseau ennemi. Il ne pouvait y avoir que trois motifs, idéal, argent ou chantage. Les renseignements fournis par le « Department of Native affairs » étaient excellents. Gann n’avait jamais fait de politique, et il était peu probable qu’il se soit décidé à prendre parti de façon aussi grave. Malgré les recherches faites, on n’avait trouvé à son actif ni encaissements bancaires importants ni dépenses exagérées. Restait le chantage.
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