De Megli grogna une vague approbation.
Ils arrivèrent à Monfalcone en fin d’après-midi, après un arrêt d’une heure pour manger un morceau. Le chef de la police locale les attendait en compagnie d’un lieutenant des forces mobiles. De Megli avait fait le nécessaire depuis Gênes pour qu’ils trouvent déjà des renseignements en arrivant sur place.
Le chef de la police nommé Sacchi, leur présenta le lieutenant Ferrone.
— Suite aux instructions que j’ai reçues ce matin, j’ai dressé une liste d’une vingtaine de personnes, hommes et femmes, travaillant aux chantiers en question, et qui pour diverses raisons ont attiré sur elles l’attention de mes hommes et de ceux du lieutenant Ferrone.
Ce dernier, long et sinistre dans son uniforme, donna un coup de menton pour approuver.
— Vingt personnes, s’écria Luigi. Eh bien ! voilà du travail sur la planche.
— Parmi eux, se trouvent des dirigeante syndicaux qui …
— À éliminer, dit Kovask. Les gens que nous traquons ne les utilisent que dans de rares occasions. En fait, le pourcentage est extrêmement faible, à l’exception des grèves politiques.
— Je les ai marqués d’une croix, dit le lieutenant Ferrone. Pour les autres, nous avons donné une petite indication.
En face du nom d’une certaine Maria Pagan, Kovask amusé lut : reçoit chaque soir un homme différent dans son appartement. Profession, manipulatrice.
— Nous emportons cette liste, dit-il. Nous avons besoin de repos et d’un repas. Dès demain, nous vous contacterons.
Le soir, dans la chambre d’hôtel de Kovask, ils sélectionnèrent quatre noms. Trois hommes, une femme.
Cette dernière se nommait Rosa Choumanik et travaillait aux chantiers comme monteuse d’appareillages électriques. Elle était d’origine yougoslave et redoutait d’être renvoyée dans son pays qu’elle avait quitté cinq ans plus tôt.
— Possibilité de chantage, dit Luigi. Il nous faut la retenir.
— Son métier lui permet de pénétrer à l’intérieur du cargo. Au fait, comment doit se nommer ce dernier ?
— OLBIA.
Giulio Dallafavera, chef de l’atelier de soudure, avait, depuis quelques mois, une vie agitée.
Il avait renvoyé sa femme chez ses parents, passait son temps dans les bistrots, cherchait de mauvaises querelles à n’importe qui.
— Le chef de la police a puisé dans ses rapports, constata Kovask, mais nous ne lui avons guère laissé le temps d’agir autrement. Si ce Dallafavera a mauvaise conscience, son attitude s’explique. Reste à savoir pourquoi il a éloigné sa femme.
— Carlo Caburi, énonça Luigi, ingénieur électricien. Passe ses week-ends au Lido. Réputation de gros joueur.
Kovask eut un sourire écœuré.
— Si c’est lui on peut dire qu’ils ne cherchent pas l’originalité. J’ai déjà connu au moins une dizaine d’espions amateurs qui auraient vendu père et mère pour continuer à jouer.
— Enfin notre troisième homme. Giovanni Galtore, technicien en isolation thermique et sonore. Le policier a marqué « cas spécial ». Nous en saurons davantage demain.
L’un et l’autre passèrent une excellente nuit, se retrouvèrent dans la salle à manger du petit hôtel pour un déjeuner copieux.
— J’étais sûr que Galtore vous intriguerait, dit le chef de police quand ils l’eurent rejoint au commissariat. Je ne pouvais expliquer en totalité pourquoi cet homme est suspect.
Il accepta une cigarette et commença son récit :
— L’an dernier, un enfant de huit à neuf ans s’est noyé dans le port, au moment de la sieste. Personne, sauf Galtore, parmi les six personnes présentes ne savait nager. Les sauveteurs sont arrivés trop tard. Ce n’est que le lendemain qu’on a commencé à murmurer dans la ville. Je me suis rendu chez lui, il habite un petit garni dans la rue principale et je l’ai interrogé. Comme je le menaçais de l’inculper pour non-assistance à personne en danger, il m’a sorti tut certificat médical signé du jour même. Le médecin affirmait qu’il souffrait du foie, depuis plusieurs jours ce qui lui donnait de l’hydrophobie.
Kovask et de Megli échangèrent un bref regard. Ils étaient assez déçus.
— Attendez, ce n’est pas tout. Cet hiver, un cycliste a été renversé par une voiture, un dimanche soir. L’automobiliste a filé. Le blessé, assez grièvement atteint, pouvait cependant appeler au secours. Un type en Vespa s’est arrêté, l’a regardé. Le blessé lui a demandé de prévenir une ambulance. L’inconnu est reparti.
— L’ambulance n’est jamais venue ?
— C’est la police routière qui l’a finalement secouru. Une chance sur cette petite route déserte.
— Et le blessé a donné la description de Galtore ?
— Oui. Je suis allé le trouver. Il m’a répondu qu’il n’avait pas quitté sa chambre, durant tout le dimanche.
Les trois hommes fumèrent en silence. Le cas de Giovanni Galtore était vraiment exceptionnel. Pourquoi, en deux fois, et dans des circonstances faciles, avait-il refusé d’apporter son aide à une personne en danger de mort ?
— Évidemment, je ne pouvais trop pousser mon interrogatoire. Un certificat médical, la première fois, l’absence de preuves, la seconde, me l’interdisaient. Finalement, j’ai classé les deux affaires et ce n’est qu’hier que j’ai pensé à lui comme suspect.
— Nous en avons sélectionné quatre, dit Kovask, et il ne faut pas nous laisser fasciner par l’étrange comportement de Galtore.
Pendant une heure ils discutèrent de Rosa Choumanik et des deux autres hommes.
Sacchi demanda des précisions sur tous les quatre à la direction des chantiers. De Megli, l’écouteur à l’oreille, prenait des notes rapides.
— Bon, résumons-nous. Nous pouvons éliminer l’ingénieur électricien Carlo Caburi. Il dispose d’une coquette fortune, possède même des actions des chantiers. Son salaire est assez élevé, car il est un excellent technicien. Près de quatre cents mille lires par mois, ce qui est vraiment bien dans notre pays.
Kovask sourit. Tous les Européens s’imaginaient que les salaires aux États-Unis étaient astronomiques.
— Il joue, mais arrive à équilibrer ses gains. Il aurait mis au point une martingale.
— Une sorte d’expérience pour lui ?
— En quelque sorte oui, répondit le capitaine de corvette. Giulio Dallafavera, lui, est un type un peu bizarre. Il a renvoyé sa femme, car toutes ses grossesses se terminent par des fausses couches. Il paraît que c’est un drame pour le couple qui désire avoir des enfants. Il aurait demandé à sa femme d’aller se reposer six mois chez ses parents, du côté de Milan. Bien sûr, il boit et a eu quelques histoires. Mais c’est un excellent ouvrier.
Il laissa tomber ses notes.
— Et les deux autres ? demanda Kovask.
— La Direction n’a que de vagues renseignements. La femme passe inaperçue et Galtore ne travaille que depuis quelques mois. Il aurait été en sana plusieurs années. Il connaît son métier semble-t-il, mais ces années d’interruption l’ont handicapé. Rien à signaler.
Sacchi leur fournit l’adresse de l’homme et celle de la femme.
— Tous deux habitent des garnis. Nous opérons un contrôle sévère à cause de la proximité de la zone libre de Trieste. Des tas de Yougoslaves essayent de s’infiltrer. Certains vivent cachés des semaines et des mois chez des compatriotes, jusqu’à ce que le loueur se lasse, si ses locataires ne sont pas généreux.
Il ouvrit un classeur, en tira une fiche.
— Voici, Rosa Choumanik.
Trente ans certainement, de fines rides aux tempes et au coin de la bouche. Des yeux tranquilles. Une assez belle fille marquée par la vie.
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