— Vous aviez entièrement raison, monsieur Linge, dit-il en guise de « bonjour ». Le général Khadjar a trahi ma confiance.
Malko inclina la tête modestement.
— Vous avez rendu un grand service à mon pays, continua le souverain, et je le ferai savoir à qui de droit.
Il se tut un instant, puis continua.
— Vous avez aussi droit à toute ma reconnaissance, monsieur Linge. Je voulais vous le faire savoir moi-même.
Il tendit la main à Malko.
— Merci. Avant que vous ne quittiez l’Iran, j’aimerais vous avoir à ma table. Je vous ferai prévenir. Je dois maintenant aller au Palais, régler certaines affaires. Au revoir, monsieur Linge.
— Mais, coupa Malko, et le général ?…
Le chah sourit.
— Le problème est réglé. Au mieux de l’intérêt général.
Malko, intrigué, claqua la lourde portière, et rejoignit Kiljoy.
La Rolls démarra silencieusement Aussitôt, les soldats commencèrent à se rassembler et, visiblement, se préparèrent au départ.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Kiljoy.
— Je ne comprends pas. Le chah est très détendu. On dirait que tout cela ne l’intéresse plus. Regardez.
Autour d’eux, les militaires et les policiers pliaient bagages. Il ne resta bientôt plus que quatre policiers en faction, devant la porte du bâtiment où se trouvait la salle du Trésor.
Kiljoy et Malko s’approchèrent et on les laissa passer.
Un écriteau collé sur la porte, portait en anglais et en persan cette inscription : « Fermeture provisoire. »
Perplexes, les deux hommes s’éloignèrent. Tout à coup Malko pensa à Derieux. Le malheureux devait toujours croupir dans son trou. L’Autrichien renvoya sa voiture, demanda à Kiljoy de lui prêter la sienne et son chauffeur : inutile de mettre les sbires du chah sur la piste du vieux médecin.
En dépit de son extraordinaire mémoire, Malko eut du mal à retrouver l’endroit. Il frappa et la vieille vint ouvrir. Il dut lui-même déplacer la table et soulever la trappe. L’échelle était en place.
Le colt à silencieux le couchait en joue quand il atterrit dans la pièce du bas. Derieux sourit et reposa l’arme.
— Vous auriez dû vous annoncer, dit-il. Un peu plus et je vous flinguais à vue. Alors ? Quoi de neuf ?
— Nous sommes des héros nationaux, dit Malko.
Il s’assit sur le lit et raconta ce qui s’était passé depuis la veille, en soulignant que le chah savait le rôle important que Derieux avait joué.
Le Belge souriait de toutes ses dents.
— Pour une fois, les bonnes actions rapportent. C’est le genre de service que le chah n’oublie pas. A moi la belle vie ! Je vais enfin pouvoir importer mon opium du Pakistan sans crainte de me faire piquer…
Malko essaya en vain de prendre l’air réprobateur. Il alla chercher son chauffeur. À deux, ils montèrent Derieux dans la voiture.
— Je me demande quand même ce que le chah mijote, pour Khadjar et Schalberg, murmura Derieux.
— Il veut peut-être les affamer.
— Non. Il aurait laissé des troupes, en cas de sortie.
La voiture remontait lentement la rue Lalézar. Malko aperçut un marchand de journaux qui brandissait le Téhéran-Journal en hurlant quelque chose. Il l’appela, par la glace baissée.
Une manchette barrait toute la première page :
« Terrible accident à la banque Melli »
« Le général Khadjar, accompagné du général américain Schalberg et de plusieurs de leurs collaborateurs, noyés accidentellement au cours d’une visite dans la salle du Trésor. »
L’article expliquait qu’au cours d’une démonstration du système de sécurité, une fausse manœuvre avait provoqué la fermeture des portes et l’inondation de la salle, mesures prévues pour empêcher la fuite d’éventuels voleurs… Le responsable serait sévèrement puni.
Une longue notice nécrologique magnifiait ensuite les mérites des deux généraux. Le chah présentait ses condoléances personnelles aux veuves, et le général Schalberg était décoré du zol-fanaghar de première classe, la plus haute dignité persane. Aucune décoration pour le général Khadjar : il les avait déjà toutes.
L’enterrement était fixé au surlendemain, proclamé férié et jour de deuil national. Bien entendu, le chah conduirait lui-même les funérailles.
— Il a bien fait les choses, remarqua Derieux. Noyés comme des rats et enterrés comme des princes ! Le chah sait vivre. Ils n’en auraient peut-être pas fait autant pour lui.
Ce fut toute l’oraison funèbre de Khadjar et Schalberg. Malko déposa Derieux chez lui et se fit conduire à l’hôtel. Il avait encore beaucoup à faire.
Ses gardes étaient toujours là. A peine était-il dans sa chambre qu’il eut une bonne surprise. Le téléphone sonna ; c’était Tania.
— Je suis heureuse que tu t’en sois tiré, dit-elle. Tu sais, c’est un peu grâce à moi. C’est dommage pour Teymour ! C’était un si bel homme…
Comme Malko, suffoqué de tant de cynisme, ne répondait pas, elle continua.
— Et notre promenade au Karaj ? Ma proposition tient toujours, tu sais ! Je suis libre demain soir, puisqu’il y a des vacances pour l’enterrement de Teymour.
Une idée réjouissante vint à l’esprit de Malko.
— Entendu, répondit-il. Viens me prendre ici demain soir. J’aurai pour toi une surprise.
— D’accord, fit Tania, ravie. À demain. Je me ferai très belle.
Malko raccrocha, avec un curieux sourire.
L’eau du lac Karaj n’avait pas une ride. Les parois rocheuses énormes qui l’entouraient le faisaient paraître tout petit. L’air vif, le ciel bleu, une brise légère, tout cela donnait envie de courir et de nager.
— Qui va faire le déjeuner ? demanda malicieusement Malko. J’ai une faim de loup.
— Je ne m’y connais pas beaucoup en cuisine, minauda Hildegard, moulée dans un pantalon bleu ciel et un pull cachemire.
Tania ne dit rien, mais alla au coffre de la voiture chercher le panier du pique-nique.
Malko la regardait avec une folle envie de rire. Il se rappelait la tête qu’elle avait faite, une heure plus tôt, en le voyant arriver avec Hildegard.
Le week-end amoureux de Tania ne se passerait pas tout à fait comme elle l’avait imaginé. Il y avait deux chambres dans sa maison : une pour elle, l’autre pour Malko et Hildegard.
La jeune Iranienne, en passant devant Malko bomba la poitrine et le frôla de sa hanche. Il eut un instant de regret pour sa muflerie. Mais il se dit tout de suite qu’Hildegard allait partir le lendemain, et que Tania restait.
Elle ne l’en aimerait que plus.
Sorte de robe iranienne.
Absolument authentique.