Le commandant réduisit encore ses réacteurs. Un sifflement strident emplit la cabine. Malko sursauta.
— Les sirènes d’alarme, expliqua le commandant. Nous volons trop bas et trop lentement.
L’avion jaune n’était plus qu’à deux cents mètres devant eux.
— On va avoir l’air fin, si c’est un paisible promeneur du dimanche, fit le second pilote.
— Regardez ! cria Malko.
Ils dominaient l’autre appareil et son poste de pilotage. On voyait très bien qu’il n’y avait personne à bord. L’avion était téléguidé.
Le commandant et Malko échangèrent un regard. Il leur restait quelques minutes avant que l’autre atteigne le stade avec son chargement mortel.
Par une série de petites manœuvres du manche, le pilote s’écarta un peu du petit appareil. Il réduisit encore les gaz. L’énorme DC 8 tremblait maintenant de toute sa carcasse. À chaque instant, Malko se disait qu’ils allaient s’écraser dans le désert, cent mètres plus bas. En un éclair, il vit les visages d’un groupe de paysans, bouche bée devant ce spectacle inhabituel. Maintenant le DC 8 volait derrière et à droite de l’avion jaune et le rattrapait lentement.
Mètre par mètre, l’énorme aile argentée arriva à la hauteur de l’aile jaune. Le commandant avait toutes les peines du monde à garder en ligne de vol son avion, qui tanguait et roulait. Malko pouvait voir les jointures crispées du pilote. Les deux ailes se touchaient presque. Pendant une fraction de seconde, l’aile du DC 8 sembla supporter la toile jaune de l’autre. Puis il y eut un rugissement assourdissant ; et Malko fut projeté en arrière par une accélération brutale.
Le pilote avait brusquement « dégagé », en prenant de la vitesse, faisant basculer vers le haut l’aile du petit avion, qui s’était brisée net sous le choc. Les quatre réacteurs poussés à la puissance de décollage, le DC 8 tentait de reprendre de l’altitude.
Malko, à quatre pattes dans la coursive, essayait de se remettre debout quand un souffle projeta l’avion, comme une balle de tennis. Le bruit d’une violente explosion parvint à l’Autrichien, qui était retombé. Il en oublia la bosse qu’il venait de se faire au crâne.
S’accrochant où il le pouvait, il parvint à regagner le poste de pilotage.
Par les vitres de gauche, il aperçut une grande colonne de fumée noire qui montait du désert : l’avion jaune, déséquilibré, s’était écrasé mais avait failli entraîner le DC 8 avec lui, par le souffle de l’explosion.
On n’eut pas le temps d’en voir plus. Le DC 8 passa au ras de la tribune d’honneur. Malko put distinguer les visages stupéfaits du chah et de ceux qui l’entouraient. L’appareil n’était pas à plus de trente mètres.
Enfin le commandant parvint à reprendre un peu d’altitude. Il se tourna vers Malko en souriant :
— Je suis heureux de vous avoir obéi. Que faisons-nous, maintenant ?
— Nous rentrons. Reprenez le contact radio.
— Il était temps ! Regardez !
En face six petits points grossissaient à l’horizon. Des chasseurs iraniens. Ils furent très vite sur le gros appareil, qu’ils encadrèrent, lui intimant par radio l’ordre de se poser.
— Transmettez à la tour de contrôle que nous venons de déjouer un attentat contre le chah et que nous ne sortirons de cet avion que sous la protection de l’ambassadeur des États-Unis. Qu’on aille le chercher. Il est au stade.
L’Américain était surpris.
— De quoi vous méfiez-vous ? Nous allons être accueillis comme des héros.
Malko sourit :
— Pas sûr ! L’attentat a été organisé par le général Khadjar, chef de la Sécurité du chah. Ce militaire est très puissant et peut encore se défendre. S’il arrivait à se débarrasser de moi cela l’arrangerait bien.
Le pilote sortit le train. Quelques secondes plus tard, ils roulaient sur la piste de Mehrabad. Il était à peine trois heures et quart.
Maintenant, la radio n’arrêtait pas. Deux jeeps chargées de soldats vinrent au-devant d’eux et les escortèrent. Le DC 8 roula jusqu’à son parking, stoppa. Mais l’équipage se garda bien d’ouvrir les portes de l’appareil. Le commandant de bord avait répété son message : il n’ouvrirait qu’à l’ambassadeur américain. La radio vitupérait, et un petit groupe d’employés de la Panam regardaient, consternés, l’avion rebelle. Ils ignoraient encore l’attentat.
Des soldats cernaient l’avion, mitraillette au poing. Mais, bien que les passerelles fussent en place, aucun ne tenta de monter.
Dans le cockpit, Malko et l’équipage attendaient en silence.
Enfin, une grande Cadillac noire, arborant à ses ailes la bannière étoilée, apparut sur le terrain. Elle stoppa au pied de l’échelle et l’ambassadeur Kiljoy en sortit. Malko réprima un sourire. C’était une bien douce revanche !
En voyant le pistolet à silencieux passé dans la ceinture de Malko, l’ambassadeur Kiljoy eut un haut-le-corps. Malko ne lui laissa pas placer un mot.
— Monsieur l’ambassadeur, dit-il avec une politesse glaciale, je vous donne l’ordre de me conduire à votre ambassade sous votre protection personnelle, afin que je puisse m’y mettre en communication directe avec la Maison-Blanche.
— Mais, mais…, bredouilla le diplomate.
— Taisez-vous. En tant que représentant du gouvernement américain, vous allez mettre le général Schalberg en état d’arrestation dans les locaux de l’ambassade. Et vous allez vous arranger pour que le chah me reçoive immédiatement. Je vous signale que, par la faute de votre coupable imbécillité, un attentat fomenté par nos propres services et par certains militaires iraniens n’a été déjoué que de justesse. L’équipage de cet avion en est témoin. Je vous suis. Et n’oubliez pas que vous êtes couvert par la protection diplomatique.
Kiljoy secoua la tête, comme s’il sortait de l’eau.
— Monsieur Linge, commença-t-il.
Malko ne le laissa pas continuer.
— Dépêchons, fit-il en le prenant par le bras. Vous allez vous en tirer par une mutation dans un bled perdu. Veillez à ce que rien de fâcheux n’arrive à l’équipage de cet avion.
Kiljoy ne répondit pas. Il était dépassé. Malko le suivit sur la passerelle, la main sur la crosse de son pistolet. Mais aucun Iranien ne bougea. Quand il fut sur la banquette arrière de la Cadillac, Malko poussa quand même un « ouf »…
À toute vitesse, la grosse voiture se fraya un passage à travers la ville et entra dans l’ambassade sur les chapeaux de roue.
Sans mot dire, les deux hommes allèrent au cabinet de l’ambassadeur. Malko s’assit carrément au bureau de celui-ci et entreprit de rédiger un câble, qu’il tendit à Kiljoy.
— Faites partir ceci de toute urgence, par le télex, et convoquez Schalberg.
L’ambassadeur sortit du bureau. Il fut de retour dix minutes plus tard :
— Le câble est parti, dit-il d’un ton sinistre. Et le général n’est pas à l’ambassade. J’ai donné l’ordre aux Marines de garde de me l’amener dès qu’il arriverait.
— Merci, dit Malko. Je voudrais me reposer un peu sur votre divan. S’il y a une réponse au câble, vous me réveillerez quand elle arrivera. Occupez-vous du chah, maintenant.
Sous les regards effarés du diplomate, il retira ses chaussures, posa son pistolet à côté de lui et s’allongea sur le divan de cuir noir. Cinq minutes plus tard, il dormait.
— Votre Altesse, Altesse, réveillez-vous !
Malko ouvrit un œil, baigné d’une douce rêverie. Il aimait qu’on lui donne ce titre.
L’ambassadeur était penché respectueusement sur lui, comme un valet bien stylé.
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