— Malko !
C’était la voix d’Hildegard. Elle surgit du galley et sauta au cou de l’Autrichien.
— Qu’est-ce que tu fais là ? Comment as-tu pu venir jusqu’ici ?
— Où est le commandant de bord ?
Malko avait posé la question sur un ton tel qu’Hildegard le regarda, affolée.
— Mais… qu’est-ce qu’il y a ?…
— Je ne peux pas t’expliquer maintenant. Conduis-moi à ton commandant et présente-moi.
— Il est encore dans le cockpit, en train de faire son checking d’atterrissage. Attends un peu.
Sans répondre, Malko ouvrit la porte marquée « équipage ». Tout allait se jouer maintenant. Cela dépendait du genre d’homme sur lequel il allait tomber.
Le commandant fumait une cigarette, pendant que le second pilote finissait d’égrener la litanie des contrôles. Prenant Malko pour un passager qui venait jeter un coup d’œil sur les instruments, il lui sourit aimablement. Malko contourna le radio et s’approcha.
— Vous êtes le commandant de bord ?
— Oui.
Le pilote était un peu surpris mais il souriait toujours.
— Permettez-moi de me présenter : Prince Malko Linge, de la Central Intelligence Agency.
Cette fois, l’Américain sursauta. Il dévisagea Malko attentivement.
Malko lui tendit un papier.
— Lisez, je vous prie.
C’était la lettre du Président, accréditant Malko. Le visage du commandant se plissa légèrement. Malko l’observait. Une belle gueule de bagarreur, les traits un peu marqués d’un homme de cinquante ans, et l’air ouvert, intelligent. Probablement un ancien pilote militaire. Ses yeux étaient aussi bleus que la peinture extérieure de l’avion.
L’homme rendit le papier à Malko et le regarda bien en face.
— Eh bien, monsieur Linge, que puis-je pour vous ?
Malko prit son souffle.
— Décoller immédiatement, dès que le dernier de vos passagers aura quitté le bord.
— Décoller ?
— Oui. Ne gardez que l’équipage technique. Il peut y avoir des risques.
Cette fois le pilote le regarda avec inquiétude.
« Il doit me prendre pour un fou », se dit Malko.
— Vous rendez-vous compte de ce que vous me demandez ? Je suis responsable de mon avion envers la compagnie. Il vaut six millions de dollars. De plus, vous croyez que je peux décoller comme cela, à ma guise, sans avertir la tour de contrôle ? Je ne possède pas les plans de vol des autres compagnies et je ne tiens pas à provoquer une catastrophe.
— Si vous demandez l’autorisation aux Iraniens, ils vous la refuseront ?
— Certainement.
— Nous devrons donc nous en passer, Commandant.
Le pilote, de plus en plus stupéfait, regarda Malko et secoua la tête :
— Je ne peux pas faire ce que vous me demandez. C’est trop grave. Je risque ma carrière, ma vie et une catastrophe. C’est impossible. Je ne sais même pas qui vous êtes, ni ce que vous voulez. Si encore j’avais quelqu’un pour me couvrir…
Malko crut sentir quelque chose, dans la voix de l’Américain. Il le regarda, mais le visage était impassible. Le copilote écoutait la conversation en surveillant les voyants lumineux des réservoirs de kérosène que l’on remplissait. Le radio alignait des chiffres sur une carte.
Le grand avion était maintenant vide, et les femmes de ménage iraniennes étaient montées à bord pour nettoyer l’appareil avant qu’il ne reparte.
Malko regarda sa montre.
Deux heures cinq.
— Commandant, je vais vous donner la garantie que vous réclamez.
Écartant sa veste, il sortit le colt, prit le silencieux et le vissa, arma le revolver et le braqua sur l’équipage.
— Je vous ordonne de décoller, dit-il d’une voix très calme. Sinon je vous abats dans dix secondes, et j’abattrai ensuite votre copilote s’il refuse également. Je suis désolé d’employer cette méthode, mais c’est un cas de force majeure.
Il y eut un court instant de silence, rompu par le commandant de bord :
— Dans ces conditions, je m’incline. Vous porterez la responsabilité de ce qui arrivera. Mais voulez-vous au moins me dire ce que nous allons faire ?
— Lorsque vous aurez décollé.
— Bien.
— Avez-vous assez d’essence pour voler une heure ?
— Certainement.
— Alors faites stopper les pleins immédiatement et mettez en route les réacteurs.
Malko avait gardé son arme à la main. Mais il savait qu’il n’en aurait pas besoin. L’Américain le croyait sincère. Autrement, il n’aurait pas cédé aussi facilement.
— Que dois-je dire à la tour de contrôle ? demanda le pilote.
— Rien.
— Ils vont me demander pourquoi je décolle maintenant, à vide.
— Ne dites pas que vous décollez. Parlez-leur d’un essai de roulage, pour vérifier les freins.
— OK, Frank, descends dire aux types de la Shell de dégager les citernes. Et préviens le groupe électrogène que nous allons faire tourner les réacteurs et démarrer.
Il se tourna vers Malko :
— Vous avez de la chance que nos mécanos n’aient rien trouvé aux moteurs. Nous pourrons décoller dans cinq minutes, si tout se passe bien.
Le copilote s’était glissé dehors. Malko le voyait discuter avec animation. Les ravitailleurs décrochèrent leurs tuyaux et commencèrent à les enrouler.
Le type du groupe électrogène discuta un peu plus longtemps, puis leva le pouce en signe d’accord. D’ailleurs un quadriréacteur de la BOAC arrivait sur le parking et attirait l’attention générale. Personne ne s’occupait plus du DC 8.
Malko regardait le commandant de bord égrener son checking de décollage. Les deux camions citernes s’éloignèrent lentement. Le copilote remonta à bord et, au passage, fit descendre les femmes de ménage, enchantées de voir leur travail tourner court. Derrière elles, il verrouilla la lourde porte étanche, puis revint s’asseoir à sa place.
Il procéda à quelques vérifications, puis parla au commandant de bord.
— Prêts à décoller, Commandant.
— OK. Allumez le un.
Le réacteur extérieur gauche siffla et rugit.
— Le deux.
Le réacteur intérieur gauche tourna à son tour.
— Trois et quatre.
Maintenant les quatre réacteurs sifflaient doucement. Des voyants rouges et verts clignotaient sur le tableau de bord. L’équipe du groupe électrogène accrocha celui-ci à un petit tracteur et fila sur la piste.
Malko avait remis son pistolet à sa ceinture. Il s’était imposé de ne pas regarder sa montre avant que l’appareil ne soit en vol. Tout semblait bien se passer.
Soudain la radio grésilla, en anglais :
— Ici, la tour de contrôle. N-BHGE, que se passe-t-il ? Pourquoi mettez-vous en marche vos réacteurs ?
Le commandant prit le micro placé devant lui.
— Ici N-BHGE. Je demande l’autorisation de faire un essai de roulage. J’ai eu un ennui de freins à l’atterrissage. À vous.
Il y eut un court grésillement, puis :
— Autorisation accordée, N-BHGE. Mais restez sur la piste de taxi.
— OK. Bien reçu.
Le commandant actionna ses volets et ses ailerons, et desserra les freins, en mettant les gaz. Le lourd DC 8 s’ébranla doucement et commença à rouler le long des bâtiments de l’aérogare.
— Vous avez entendu ? cria le commandant à Malko. Il nous a ordonné de rester sur la piste de roulage, en dehors de la piste d’envol.
— Je sais. Mais ils s’apercevront trop tard de ce que nous voulons faire. La piste de roulage se termine bien à la piste d’envol ?
— Oui.
— Alors, allons-y !
Le DC 8 roulait maintenant à bonne allure, parallèlement à l’aire cimentée. L’aérogare s’éloignait. Malko, debout derrière le commandant de bord, surveillait la piste. La radio continuait à grésiller.
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