Avec effort, Malko se redressa. Il prit le papier que lui tendait le diplomate et le lut. C’était la réponse au câble. Il comprit aussitôt pourquoi Kiljoy était aussi affable. Les premières lignes lui ordonnaient de se mettre aux ordres de Malko – c’était répété – totalement. Et c’était signé du Chef du State Department…
— Sa Majesté nous attend au Palais quand vous voudrez. C’est une audience spéciale.
Un faible sourire éclaira le visage de Malko. Elle venait enfin, cette audience !
— Allons-y, dit-il en relaçant ses chaussures. Pas de nouvelles de notre ami Schalberg ?
— Non.
Il était plutôt penaud, Kiljoy ! Malko, ni lavé, ni changé, rayonnait quand même.
La Cadillac noire attendait dans la cour. Les deux hommes se turent durant tout le trajet. À leur arrivée, un général de la Garde Impériale se précipita.
— C’est le général Nessari, murmura le diplomate. Il commande toutes les troupes personnelles du chah.
Escorté de l’Iranien, ils traversèrent le parc, pour se rendre au Palais de Marbre où le chah les attendait. Tous les cinq mètres, il y avait un géant avec une mitraillette, le visage de pierre. Devant le bureau du chah, deux officiers montaient une garde vigilante. Ils annoncèrent Malko et Kiljoy.
La pièce était assez banale, sauf le bureau, entièrement en marqueterie de nacre, avec, bien entendu, un téléphone rouge ! Comme les vrais Grands…
— Asseyez-vous, messieurs, dit le chah en anglais.
Malko fut tout de suite impressionné par le charme qui se dégageait du souverain. Il avait l’air lucide, mais un peu désabusé, avec une pointe d’humour. Ses cheveux gris étaient très soigneusement coiffés. Deux gorilles en civil se tenaient dans un coin de la pièce.
Kiljoy présenta Malko et expliqua le but de sa mission. Intéressé, le chah se tourna vers Malko.
— D’après ce que j’ai compris, vous m’avez sauvé la vie, tout à l’heure. Je vous en remercie.
Malko s’inclina poliment et commença son histoire. Sa prodigieuse mémoire lui permit de ne rien omettre. Plus il parlait, plus l’ambassadeur se tassait sur sa chaise. Le chah écoutait, posait quelques questions et prenait des notes. À un moment, il écrivit sur un bout de papier, qu’il donna à l’un des gorilles, qui sortit aussitôt.
Quand Malko termina son récit, il faisait nuit. Le chah resta un moment silencieux, puis dit :
— Monsieur Linge, je pense que vous avez raison. Je convoque le général Khadjar, afin de lui demander des explications. S’il est coupable il sera jugé par un tribunal militaire. Mais ce que vous me dites correspond avec ce que je savais déjà, par d’autres sources. – Il sourit : – Nul n’est prophète en son pays… Quant à vos ressortissants, M. l’ambassadeur s’en occupera lui-même.
Kiljoy approuva énergiquement. Il avait hâte de se racheter.
Le chah se leva. L’entretien était terminé. Il serra longuement la main de Malko. Dehors, Kiljoy lança :
— Vous avez été formidable !
— J’espère qu’il va mettre la main sur nos deux généraux. Ils sont capables de n’importe quoi. Ramenez-moi à mon hôtel. J’ai besoin de prendre une douche.
La Cadillac grimpa allègrement jusqu’au Hilton. Au moment où ils arrivaient, ils furent doublés par une Chrysler bleue, d’où sortit le général de la Garde qu’ils avaient vu au Palais. Il entra avant eux et fila à la réception. Quand Malko prit sa clef, le gérant se cassa en deux.
Malko prit congé de Kiljoy et monta. Il se jeta sous sa douche, passa une chemise propre, se parfuma et sortit.
Il demeura en arrêt dans le couloir. Deux soldats en armes faisaient les cent pas devant sa porte. En le voyant, ils claquèrent des talons. Un peu abasourdi, l’Autrichien prit l’ascenseur. Le liftier brûla tous les étages et le déposa dans le hall.
Le directeur, avec mille courbettes, se précipita vers Malko.
— Vous êtes l’invité de Sa Majesté, qui nous a recommandé de veiller particulièrement à votre confort. Voulez-vous dîner dans un cabinet particulier ?
Amusé, Malko déclina l’invitation. Il alla s’asseoir à une table près de la vitre. On ne lui apporta pas de menu. Cinq minutes plus tard, un maître d’hôtel déposait sur la table une boîte de caviar blanc.
— C’est un cadeau de Sa Majesté, murmura-t-il. Extrêmement rare.
C’est la première fois que Malko en voyait. Il le goûta, intrigué : exactement le même goût que le béluga ! Mais le chah avait la reconnaissance rapide… Au troisième toast, Malko repéra dans son dos, deux gorilles presque aussi visibles que les deux troufions du couloir. Il devait y avoir un char dehors. Écœuré de caviar, il toucha à peine au délicieux chaslik. Il était un peu triste. Il avait appelé la chambre d’Hildegard sans obtenir de réponse. Ce soir, il aurait bien pris un peu de détente.
Après le café turc, il décida d’aller se coucher. Il était crevé. D’ailleurs, à peine déshabillé, il tomba sur son lit comme une masse.
La sonnerie du téléphone le réveilla. Il attrapa, au jugé, le combiné.
— Kiljoy à l’appareil, claironna la voix du diplomate. Réveillez-vous, mon cher, il y a du nouveau !
— Les Russes attaquent ?
— Ne plaisantez pas. Khadjar a failli être arrêté ce matin.
— Quelle heure est-il ?
— Midi. Il a tiré sur les deux officiers qui l’ont interpellé et les a grièvement blessés. Puis il s’est réfugié dans la salle du trésor de la banque Melli. Là où se trouvent tous les bijoux qui garantissent la monnaie iranienne.
— Est-ce qu’il est seul ?
Kiljoy hésita un instant.
— Non, hélas ! Schalberg est avec lui, ainsi que deux de nos hommes et l’adjoint de Khadjar. Ils sont tous armés. La police cerne la banque. Ça va être difficile de les avoir. La salle est blindée, avec des portes d’acier d’un mètre d’épaisseur. J’y vais tout de suite. Voulez-vous me rejoindre là-bas ?
— Je m’habille et je viens.
Pour une fois, Malko ne prit pas de douche. Il mit quand même une chemise propre et dévala le couloir ; sans arme, cette fois. Il n’en avait vraiment pas besoin. Les deux gorilles bondirent de leur banquette dans le hall, et lui emboîtèrent le pas. À la porte, un troisième homme l’aborda.
— Monsieur Linge, votre voiture est ici.
C’était une somptueuse Chrysler bleu pâle, sans numéro, avec un chauffeur en livrée. Malko monta, et les deux gorilles se tassèrent à l’avant.
— À la banque Melli, ordonna Malko, rue Ferdowsi.
La Chrysler vira sec, et Malko dut se retenir pour ne pas être éjecté. Le chauffeur appuya sur un bouton, qui déclencha une sirène, semblable à celle des policiers américains.
Il ne leur fallut guère plus de dix minutes pour arriver à destination. Le chauffeur stoppa devant un barrage militaire. La banque était un peu plus loin, à cent mètres. À peine Malko eut-il mis pied à terre que Kiljoy se précipita :
— Je suis content de vous voir. Sa Majesté désire s’entretenir avec vous.
— Où ?
— Ici. Le roi s’est déplacé personnellement pour surveiller l’arrestation. Il vous attend là-bas, dans sa voiture.
En effet, la Rolls-Royce grise était garée en face de la banque, protégée par un cordon de troupes.
— Depuis combien de temps est-ce que cela dure ? demanda Malko.
— Près de trois heures. Et cela peut durer encore longtemps. La salle où ils sont réfugiés est inexpugnable, en sous-sol, protégée par l’épais blindage. La porte a un mètre d’épaisseur. Pensez que tous les bijoux garantissant la valeur du rial se trouvent là !
Ils étaient arrivés à la voiture. Le chah, assis à l’arrière, fumait. Il fit signe à Malko de le rejoindre.
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