Il se précipita, en tirant de sa ceinture un pistolet. Il y eut un « plouf » sourd ; l’homme s’arrêta, comme frappé par la foudre, et s’effondra en pivotant sur lui-même. La balle de Derieux l’avait touché en plein dans les reins. Le Belge tira une seconde fois, sur le corps par terre, qui eut un sursaut. Un autre trou apparut dans la chemise.
— Et de trois, fit Derieux.
— Il est temps de filer, dit Malko. On ne sait pas ce qui peut nous tomber dessus.
— J’ai une idée. Ce salaud-là a sa voiture. Elle va nous servir. On le prend avec nous. Moi je fais le chauffeur, et vous vous mettez à l’arrière avec lui. S’il bronche, vous l’assaisonnez en douceur. Avec nos engins, c’est discret. En avant !
— Vous avez entendu ? dit Malko.
Khadjar haussa les épaules.
— Vous êtes complètement stupides, tous les deux. Même si vous parvenez à sortir d’ici, vous n’irez pas loin. Et si vous me tuez, ce sera encore pire. Nous ne sommes pas en Europe, ici ! On ne sort pas d’Iran comme de Suisse. Vous devriez le savoir, monsieur Derieux.
Il se tut, puis reprit :
— Je vous laisse une dernière chance. Donnez-moi vos armes et je vous promets que vous aurez la vie sauve. Il faudra seulement que je vous garde quelques jours.
— Trêve de bavardage ! coupa Derieux. On s’en va et vous aussi. Je trouve que vous êtes une excellente assurance sur la vie… Pourtant, moi, pour récupérer une ordure comme vous, je ne donnerais pas cher.
Ils sortirent tous les trois. Une Chrysler noire était garée devant la maison. Derieux ouvrit la portière arrière et Malko s’installa. Le général monta à côté de lui, affectueusement poussé par le canon du colt de Derieux. Puis celui-ci se mit au volant.
La grosse voiture s’ébranla doucement. Au passage, Malko reconnut la terrasse où avait débuté son flirt avec Tania. La grande villa paraissait déserte. L’allée serpentait en pente douce à travers le parc. Ils arrivaient à la sortie. Derieux jura :
— Merde ! La grille est fermée. Et il y a des gardes.
— Normalement, ils doivent laisser passer le général sans difficulté, dit Malko. Et je pense que le général est assez intelligent pour ne pas nous créer une difficulté qui pourrait lui être fatale.
Khadjar ne répondit pas.
La Chrysler arrivait à la grille. Derieux stoppa doucement. Un garde en uniforme s’approchait, la mitraillette braquée sur le conducteur.
— Le général est pressé, grogna le Belge en persan. Ouvrez vite la grille, idiot !
L’homme se mit au garde-à-vous. Il allait parler, lorsque Khadjar hurla :
— N’ouvre pas ! Tire, tire !
Il y eut une seconde de flottement, pendant laquelle il se passa beaucoup de choses. Khadjar ouvrit la portière et bondit, roulant par terre, hors de la voiture. Le soldat arma sa mitraillette. Derieux essaya de sortir son arme. Malko tira deux fois au moment où le soldat lâchait sa rafale. Les deux coups frappèrent l’homme en pleine poitrine, et il tomba. La volée de balles balaya la voiture, les glaces arrière s’étoilèrent et Derieux poussa un cri.
Malko tira encore, sur Khadjar. Il y eut un bruit sec. Le barillet du revolver était vide. Khadjar se releva et détala en zigzags dans le parc, appelant à l’aide.
Le second garde jaillit de la guérite. Derieux avait appuyé le silencieux de son arme sur la glace baissée ; il tira deux fois. Une des balles frappa à la gorge l’homme qui s’effondra. Malko bondit de la voiture et ouvrit la grille. Il remonta à côté de Derieux.
C’est à ce moment qu’il vit une grande tache rouge sur la chemise du Belge.
— Vous êtes blessé ?
— Ça va, fit Derieux, d’une voix sourde. C’est le premier type. J’en ai pris une dans le cou. Je ne peux pas tourner la tête. Mais ça ne doit pas être trop grave.
Ses mains, sur le volant, étaient toutes blanches. La douleur, petit à petit, irradiait dans tout son visage. Une balle de neuf millimètres, ça fait du dégât.
— Je vais conduire, proposa Malko.
— Non. Vous ne connaissez pas la route. Il faut faire fissa, pour redescendre en ville avant que Khadjar n’alerte tout le monde. Heureusement qu’ils n’ont pas de voitures radio, et qu’ils sont plutôt lymphatiques ! Parce qu’il n’y a que deux routes. De l’autre côté, c’est la montagne.
— Où voulez-vous aller ?
— Nous planquer. Avant tout. Khadjar va retourner la ville pour nous rattraper. Plutôt morts que vifs.
— Et encore, vous ne savez pas tout ! Malko lui raconta rapidement ce qu’il avait appris. Pendant ce temps, Derieux descendait à tombeau ouvert vers Téhéran. Ils passèrent devant l’hôtel Darban et prirent l’avenue Pahlavi.
— Dans ce cas, conclut le Belge, ils vont nous tirer à vue. Pour Khadjar et les autres, c’est une question de vie ou de mort. Nous ferions bien de sortir du pays avant qu’il ne prenne le pouvoir. Parce que là, on est cuits. Le mieux c’est de filer en Russie par la Caspienne. À Babolsar, je connais un pêcheur clandestin d’esturgeons. Il a un bon petit bateau. On s’arrangera toujours avec les Russes. J’ai des relations.
— Mais il ne faut pas que Khadjar réussisse ! protesta Malko. Ce serait une catastrophe.
Derieux étouffa un cri de douleur. Il avait dû faire un mouvement brusque. Pour la première fois, il fut familier avec Malko !
— Mon vieux, je suis en train de me vider comme un poulet. Dans le meilleur des cas, je n’ai plus qu’à me coucher. Quant à vous, tous les flics de Téhéran auront votre photo ce soir. Et vous pouvez être sûr que le Palais, votre ambassade et votre hôtel sont bourrés de gars qui vous flingueront avant que vous n’ayez eu le temps de dire « pouce ».
Malko ne répondit pas. Tout cela était vrai. Tout le monde croirait Khadjar et Schalberg. Il était hors-la-loi. Il se plongea dans ses pensées tandis que Derieux passait partout en troisième file.
Un policier les vit et stoppa l’autre file, d’un sifflet impératif, puis fit signe à Derieux de passer.
— De mieux en mieux ! ricana le Belge. Ils connaissent la voiture. Bientôt, ils vont nous donner une escorte de motards. Jusqu’à la morgue !
Coup sur coup, il tourna dans de petites rues, puis arrêta.
— Il faut laisser la voiture ici, dit-il. Elle est trop repérable. On n’a pas longtemps à marcher.
Il descendit de la voiture et faillit tomber. Il s’appuya contre l’aile et cracha.
— Le salaud ! Il m’a bien eu !
Malko le prit par le coude. Une longue traînée de sang suintait de la manche.
Clopin-clopant, les deux hommes se mirent en marche. La rue se fit impasse et une affreuse odeur d’ordures ménagères les prit à la gorge. Derieux frappa deux coups, puis cinq, à une porte en bois.
Le battant s’entrouvrit et une femme sans âge jeta au-dehors un coup d’œil méfiant. En voyant Derieux, elle ouvrit un peu plus.
— Le docteur est là ? demanda-t-il en persan.
Elle fit un signe affirmatif. Les deux hommes entrèrent dans une pièce au sol de terre battue. Il n’y avait qu’une lampe à pétrole, posée sur une table branlante, et quelques caisses qui servaient de sièges. Une tenture cachait une autre porte. Derieux s’assit par terre et s’appuya au mur.
Presqu’aussitôt, un petit homme voûté entra. Ignorant Malko, il s’agenouilla près de Derieux et écarta avec précaution la chemise. Puis il palpa le cou et le thorax. Derieux serrait les dents ; de grosses gouttes de sueur perlaient à son front.
— C’est une sale blessure. Il faut que je vous opère, dit-il d’une voix douce, en français. La balle est encore à l’intérieur. En bas, vous serez bien.
Il déplaça la table et s’accroupit. Il y avait un anneau caché par le pied de la table. Il le tira et ouvrit une trappe. Un trou noir apparut. Le docteur s’y glissa, descendant par une échelle. Malko se pencha. Une forte odeur de médicaments le frappa. L’autre remontait.
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