— Bombarder ?
— Eh oui ! Demain, il y a une grande parade de gymnastique, présidée par le roi. Bien entendu, il sera soigneusement gardé, mais cela ne me gêne pas. Au moment où il prendra place dans la tribune, un petit avion décollera des environs du stade, chargé d’une centaine de kilos de dynamite, assez pour volatiliser la tribune.
« Cet avion a une particularité : il n’y aura personne à bord. Pas par sentimentalité, rassurez-vous ! Parce qu’un pilote peut changer d’avis au dernier moment, avoir peur. Tandis qu’une radio ne réfléchit pas. Mon avion sera téléguidé à partir d’un poste d’observation. Cela, grâce à l’obligeance du général Schalberg, qui m’a fourni un excellent technicien. Nous avons procédé à plusieurs dizaines d’essais, et ce garçon est précis comme un horloger. Il amène sa bombe volante sur la cible, à un mètre près. Cela ne peut pas rater. Au cas improbable où l’on repérerait cet innocent avion de tourisme, la chasse n’aurait pas le temps d’intervenir.
— Je suppose que vous vous abstiendrez d’apparaître à cette charmante manifestation ?
— Disons que j’arriverai en retard…
— Bien entendu, cet attentat sera l’œuvre de l’horrible parti Toudeh ?
— Tout juste ! Si l’on retrouve des débris, on découvrira les lambeaux de quelques tracts communistes. Vous comprenez qu’après un tel attentat il sera urgent de former un gouvernement solide, afin d’éviter des désordres plus sérieux…
— Au besoin, certaines tribus vous donneront un coup de main, pour liquider les derniers partisans du chah…
— Tiens, vous savez cela aussi ?… Encore bravo !
Malko voulait en avoir le cœur net.
— Dites-moi, mon cher Khadjar, les Russes, eux, sauront parfaitement que leurs amis ne sont pour rien dans… disons dans ce changement brusque de gouvernement. Vous ne craignez pas qu’ils ne réagissent un peu brutalement ? Je vous vois mal tenir tête à quelques divisions blindées sibériennes.
Khadjar haussa les épaules.
— La Maison Blanche ne tient pas à voir le drapeau soviétique flotter sur le golfe Persique. Les rapports du général Schalberg éclaireront le gouvernement américain sur le complot communiste qui aura coûté la vie au chah. C’est là que votre élimination dépasse le cadre de la simple fantaisie. Vous disparu, personne ne pourra contredire Schalberg.
— Eh bien, bonne chance ! J’espère que vous me rejoindrez très bientôt en enfer.
Teymour Khadjar sourit sans répondre. Il appela :
— Ara.
Un des gorilles apparut. Le général lui dit quelques mots en persan. Malko en comprit le sens et sourit amèrement. L’autre avait reçu l’ordre de prendre les mesures du prisonnier, pour une tombe…
Il revint d’ailleurs avec un mètre de menuisier et, très sérieusement, mesura le corps de Malko.
— Je fais environ un mètre quatre-vingts, précisa celui-ci sans rire. Et j’aime être à l’aise.
Un étrange détachement l’envahissait. Il était complètement impuissant. Alors à quoi bon se rebeller contre son sort ? Il n’avait pas grand peur de la mort, et il savait que dans son métier elle arrivait plus souvent qu’à son tour. Quant à s’abaisser, à supplier Khadjar, autant essayer d’ouvrir un char avec une lime à ongles.
Avec regret, il pensa à la belle Tania. Si Khadjar savait vivre, ce serait un beau cadeau d’adieu. Mais Khadjar ne savait pas vivre.
— Monsieur Linge, dit Khadjar aimablement, mes hommes sont en train de creuser votre tombe dans le parc. Il vous reste peu de temps à vivre. Désirez-vous quelque chose en particulier ?
— Oui. Que vous me laissiez seul une heure avec notre amie commune, Tania.
Le général sourit :
— J’aime les gens comme vous. J’ai horreur de ceux qui vivent comme des seigneurs et meurent comme des chiens. Vous avez toute mon estime. Je veillerai à ce qu’un jour votre corps soit ramené dans votre pays. Malheureusement nous n’avons plus le temps de bavarder.
Les deux gorilles étaient revenus, accompagnés d’un militaire en uniforme ; probablement le chauffeur du général. Ce dernier s’approcha en tirant de son ceinturon une baïonnette. Puis il fit signe aux trois hommes de sortir.
Malko le regarda venir, la baïonnette à la main. Les yeux jaunes de Khadjar brillaient d’un éclat lugubre. Malko soutint ce regard.
Le général s’assit près du prisonnier et, posément, ouvrit sa veste. Puis, avec la pointe de la baïonnette, il ouvrit la chemise de Malko, sur une longueur de vingt centimètres. Le froid de la lame fit frissonner l’Autrichien.
— Dans notre tribu, il y a très longtemps, dit Khadjar, on plongeait un poignard dans le cœur de celui que l’on soupçonnait d’être invulnérable.
S’il survivait à l’épreuve, il avait droit aux plus grands honneurs… Vous croyez-vous invulnérable, prince Malko Linge ?
Tenant la baïonnette à deux mains, Khadjar en appliqua la pointe sur la poitrine de Malko, à l’endroit du cœur, et commença à enfoncer lentement. Malko eut une nausée et ressentit une douleur brûlante. La lame aiguë avait déjà pénétré de deux centimètres entre deux côtes. Il se raidit et tenta de se débattre. En vain.
Son cri se confondit avec une explosion sourde. La baïonnette de Khadjar sembla s’envoler, frappa le mur et retomba sur le lit. Le général jura et porta la main à sa ceinture.
— Levez les mains, Général. Et ne bougez plus.
Malko n’en crut pas ses oreilles. C’était la voix de Derieux !
Il tourna la tête. Le Belge était debout dans l’encadrement de la porte. Dans chaque main, il avait un colt 38, terminé par une sorte de gros cylindre ressemblant à une boîte de conserve : un silencieux.
— Levez-vous et placez-vous face au mur, ordonna Derieux au général. Et ne jouez pas au petit soldat.
Rapidement il vint jusqu’au lit, et, ramassant la baïonnette, scia les liens qui attachaient les jambes de Malko.
— Mes mains, dit Malko. J’ai des menottes. Il faut trouver les clefs. Comment êtes-vous là ?
— Plus tard, répondit Derieux. Les clefs doivent être sur un des deux types qui étaient dans la pièce à côté. Vous, dit-il au général, passez devant et marchez lentement, sinon…
Il sortit, avec un clin d’œil à Malko. Trois minutes plus tard, il était de retour, toujours poussant le général devant lui. Il n’avait plus qu’un colt à la main. De l’autre, il tenait un trousseau de clefs.
— Détachez-le. Sans mouvements brusques.
Il jeta les clefs sur le lit. Khadjar hésita une fraction de seconde, puis prit les clefs et chercha à tâtons la menotte. Son visage était absolument impassible.
Malko se redressa avec un soupir. Il n’avait jamais été aussi près de terminer sa carrière…
— Reculez-vous et mettez-vous contre le mur.
La voix de Derieux était froide et sans passion, mais les deux autres sentaient qu’il n’hésiterait pas à tirer. Il tendit sa seconde arme à Malko.
— Prenez-le. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Pour arriver jusqu’ici, j’ai dû liquider trois clébards. Plus les deux types de la pièce à côté.
— Attention ! Il y en a un troisième. Il est dans le parc, en train de creuser ma tombe.
Le Belge sourit en coin.
— Elle va servir quand même. Attendons-le.
Ils poussèrent Khadjar dans un coin. Malko resta derrière lui, l’arme à vingt centimètres de son dos. Derieux se mit de l’autre côté de la porte, de façon que le battant le cachât en s’ouvrant.
L’attente ne fut pas longue. Ils entendirent des pas et la porte s’ouvrit.
— Général…
L’homme ne continua pas sa phrase : il avait vu le lit vide.
Читать дальше