— Ils viennent de le jeter par-dessus bord, sir, cria un officier qui observait le ferry.
— Ne tirez pas, répéta l’amiral.
Les secondes qui suivirent furent intolérablement longues. Deux chasseurs décollèrent encore des catapultes, secouant le Coral-Sea comme un coup de tabac.
Un léger tremblement agitait la lèvre inférieure de l’amiral John Riley.
Le ferry était tout près. On distinguait les visages hurlants des Chinois et les innombrables drapeaux rouges remués à bout de bras. Tout le premier rang était occupé par des jeunes filles en chemisier blanc et jupe bleue qui criaient plus fort que les autres.
Tout à coup, la proue ronde obliqua vers la gauche. Gracieusement, le ferry virait de bord. Il passa si près du Coral-Sea que les ascenseurs latéraux de l’énorme porte-avions surplombaient la cheminée du ferry. Pendant quelques secondes, il y eut un assaut d’injures entre les marins américains et les passagers chinois du ferry. Puis celui-ci s’éloigna dans un sillage d’écume. Presque aussitôt les clameurs cessèrent, les drapeaux rouges disparurent. Avec une fabuleuse discipline, les Chinois pliaient leurs petits chiffons rouges et les mettaient dans leurs poches. Les jeunes filles se rassirent sur les bancs de bois et se remirent à papoter, ignorant qu’elles venaient d’échapper à la mort. Pour elles, tout s’était déroulé normalement.
Le ferry était redevenu un des anonymes ferries de la baie de Kowloon. Alertées par les coups de canon, plusieurs vedettes de la police lui donnaient la chasse, comme une meute de chiens.
Un même soupir s’échappa de la poitrine de tous les officiers. L’amiral eut un pâle sourire.
— Faites rentrer les avions, ordonna-t-il. Soudain, un des officiers poussa un cri :
— Regardez !
L’hélicoptère s’était immobilisé au-dessus d’un objet flottant à la surface de l’eau sale. Une échelle de corde descendit et un des membres de l’équipage plongea pour récupérer le corps inerte de Malko.
* * *
Holy Tong se sentait soudain extrêmement calme et bien dans sa peau. La soie chaude de son kimono orange lui tenait chaud et l’air frais du matin remplissait ses poumons. La rade de Hong-Kong était encore noyée dans une brise matinale, ce qui le contraria un peu. Il ne s’était jamais lassé de ce paysage féerique, lui le montagnard de Tchung-kong.
Sans commentaire, Tuan, apporta les deux jerricans et se tint respectueusement debout, à deux mètres de son patron.
— Aide-moi, demanda Tong. Fais comme je t’ai expliqué.
Tuan prit le premier jerrican et versa le liquide glacé sur les épaules de Tong. Ce dernier frissonna mais demeura immobile.
Consciencieusement, le domestique vida toute l’essence et attendit, une grosse boîte d’allumettes à la main. Holy Tong méditait, les yeux fermés. Il n’avait pas peur du tout. Plus du tout. Et encore moins envie de vivre. Mme Yao était « tombée » de la fenêtre de son sixième étage, poussée par son huissier qui était devenu commissaire à la Sécurité. L’appareil du parti ne permettait pas les échecs.
Cela avait été la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase.
Tous les morts des deux dernières semaines hantaient Tong. Il avait trop perdu la face, vis-à-vis de tout le monde. Toute la nuit, il avait réfléchi à ce qu’aurait fait son grand-père dans les mêmes circonstances. Il avait trouvé la réponse quand les premiers rayons de soleil avaient éclairé Hong-Kong.
— Maintenant, dit-il à Tuan.
Le domestique frotta une poignée d’allumettes. Une flamme claire jaillit de sa main et il projeta le bras en avant.
Il y eut un plouf sourd et une flamme noire jaillit à plusieurs mètres de hauteur. Un instant, Holy Tong parut une divinité entourée de flammes. Puis il s’affaissa sur lui-même, sans un cri et continua de brûler.
Fasciné, Tuan regardait. Cela faisait un tout petit incendie.
Le Bœing 707, frappé de l’étoile bleue de l’Air Force, volait contre le soleil à trente-cinq mille pieds au-dessus de la surface brillante du Pacifique.
Il n’y avait qu’un seul passager à bord : Son Altesse Sérénissime le prince Malko. Immobilisé sur une civière avec quatre balles dans le corps et un litre de sang en moins. Une équipe composée de deux médecins et de deux infirmières se relayait sans cesse auprès de lui.
Lorsqu’on l’avait repêché, les médecins anglais de Hongkong lui avaient donné une chance sur cent de survie. Sa faiblesse rendait toute opération impossible. C’est l’amiral Riley qui avait fait venir spécialement de Tokyo un Bœing militaire pour emmener Malko à l’hôpital de la Navy de San Diego, en Californie. Il avait accompagné lui-même la civière dans l’avion à Kai-tak et demandé au médecin :
— S’il y reste, je veux le savoir. Je vous jure que ce jour-là tous les pavillons de la 7 eflotte seront en berne.
En contemplant le visage cireux du blessé, le médecin de garde se demanda s’il tiendrait jusqu’à San Diego.
FIN
Service «Action» de la Centrale de renseignements américaine.
Voir Magie noire à New York.
Les informateurs réguliers des Services de renseignements sont classés selon leur crédibilité.
Voir L’Or de la Rivière Kwaï.
Boisson thaï à base de citron.
Robe chinoise.
Voir L’Or de la Rivière Kwai.
Enc… de merde.
Distinguished Service Order.
Fille du docteur.
Je vous en prie, n’arrêtez pas.
Mama-san: tenancière qui s’occupe des taxis-girls.
Belles filles, pas chères.
Voir: À l’Ouest de Jérusalem.