— Je peux te donner un pistolet, fit Mme Yao. Toujours nue, elle se leva et prit dans son sac un petit pistolet nickelé. Holy poussa un cri.
— N’aie pas peur, fit Mme Yao, apaisante, je ne te forcerai pas à le tuer ainsi.
Holy avait remis son kimono et repris un peu de courage. Il dit le plus fermement qu’il le put :
— Je ne tuerai pas cet homme. Je ne peux pas. Calmement, Mme Yao fit claquer la culasse de son pistolet. Holy aperçut l’éclair jaune de la cartouche qui montait dans le canon.
— Qu’est-ce que tu fais ? balbutia-t-il.
Les yeux jaunes se plissèrent méchamment :
— Je vais te tuer. Je dirai que tu as tenté de me violer. Alors que j’étais venue me faire soigner. Je suis honorablement connue à Hong-Kong. J’ai le droit d’avoir un pistolet, car je transporte souvent la recette de mon cinéma.
Elle leva l’arme, braquée sur Holy Tong.
Affolé, il tomba à genoux. Mme Yao posa le canon sur sa tempe. Quand il sentit le métal froid contre sa peau, Holy se liquéfia littéralement.
Encerclant les genoux de sa maîtresse, il supplia :
— Ne me tue pas, j’exécuterai l’Américain.
Le canon ne s’éloigna pas, mais la Chinoise demanda :
— Je peux compter sur toi ?
— Oui, oui, sanglota Holy Tong.
Comme à regret, elle remit son arme dans son sac et s’assit sur le divan. Elle avait repris son expression cruelle. Holy Tong se releva. La tête lui tournait et il se demandait si tout cela n’était pas un cauchemar.
Devant ses yeux de chien battu, Mme Yao eut un sourire cruel :
— Si cette fois-ci tu me trahis, je t’arracherai tes parties viriles et je te les ferai manger…
Holy baissa les yeux et gémit :
— Mais comment vais-je faire ? Je ne sais pas me servir d’une arme…
— Mais si, mais si, fit Mme Yao, tu as de merveilleuses armes. J’ai tout prévu. Voici ce que tu vas faire : Si tu m’écoutes, rien ne t’arrivera et je serai très gentille avec toi…
Holy Tong écouta les explications de sa maîtresse pendant près d’une demi-heure.
Quand Mme Yao se leva pour partir, il était tellement assommé qu’il ne songea pas au moindre geste érotique. Dès qu’il fut seul, il prit son nécessaire à opium et se prépara une pipe. Seule la drogue lui permettrait de passer cette effroyable journée. Il maudissait le jour funeste où il avait voulu se rendre important auprès de Cheng Chang. Il y a un proverbe chinois qui dit : « La parole que tu n’as pas prononcée est ton esclave, celle que tu as dite devient ton maître. » Maintenant le vin était tiré, il fallait le boire.
Holy Tong était revenu de sa mystérieuse absence. Tuan avait ouvert à Malko comme si de rien n’était.
Ce dernier n’arrivait pas à trouver le calme. L’action contre le Coral-Sea devait avoir lieu dans deux heures. Sans qu’il ne puisse rien faire pour l’empêcher.
Il retrouva presque avec plaisir le douillet cabinet de travail de Holy Tong. Toute l’horreur de l’histoire qu’il vivait semblait être restée à l’extérieur. Il se déshabilla et s’étendit sur le divan.
Soudain un fait inhabituel le frappa. Holy Tong ne disait pas un mot. D’habitude, Malko arrivait tout juste à lui dire bonjour. Aujourd’hui, il s’était immédiatement absorbé dans la préparation de ses aiguilles d’or, les piquant sur un coussin de velours rouge, dans un ordre mystérieux :
— Vous n’êtes pas dans votre assiette ? demanda Malko. Holy eut un sursaut si brusque qu’il laissa tomber une des aiguilles.
Le Chinois la ramassa et jeta un coup d’œil affolé à Malko :
— Si, si, fit-il. Mais j’ai eu beaucoup de travail. Beaucoup de travail.
Malko sourit avec indulgence :
— Ce sont encore vos belles Chinoises qui vous ont fait trop vous dépenser. Qui avez-vous encore séduit ?
— Oh ! personne, répliqua Holy avec nostalgie. Personne. Je ne suis plus qu’un vieux bonhomme.
Malko tiqua : Holy était toujours intarissable sur ses exploits amoureux. Décidément, quelque chose allait de travers. Du coin de l’œil, il surveilla le Chinois. Les préparatifs semblaient normaux. Holy se concentrait assis à la yoga, les yeux fermés, comme d’habitude.
Puis, d’un geste sec, il arracha la plus longue des aiguilles et ordonna :
— Allongez-vous et ne bougez plus.
Malko obéit. La tête sur le côté, il vit soudain la main du Chinois reflétée dans une petite glace posée sur le bureau. Cette main tremblait.
En un éclair, une des phrases de Holy lui revint en mémoire. Un jour, il s’était vanté auprès de Malko de ne jamais trembler, même après une nuit blanche, passée au Kim Hall.
L’aiguille était à un centimètre des reins de Malko. Brusquement celui-ci se retourna et saisit le poignet du Chinois, immobilisant la main qui la tenait.
— Pourquoi tremblez-vous, monsieur Tong ? demanda-t-il, soudain sérieux.
Derrière les lunettes sans monture, les yeux du Chinois dansaient une sarabande effrénée. De vraies boules de loto. Une petite rigole de sueur coula entre les sourcils. Malko affermit sa prise. Tout cela était bien bizarre.
— Je ne tremble pas, fit Holy Tong, la voix étranglée, laissez-vous faire, sinon, je vais vous faire mal.
Il avait terminé sa phrase d’un ton aigu, presque hystérique. Malko plongea ses yeux dorés dans les siens. Cette fois, il était sérieusement en alerte. Le Chinois tremblait comme une feuille de thé… Pas seulement la main, mais tout le corps. Mollement, il tenta de repousser Malko sur le divan. Celui-ci, sans crier gare, saisit l’aiguille par le milieu et l’enleva de sa main.
Holy poussa une sorte de gémissement :
— Rendez-moi mon aiguille ! Mais il ne tendit pas la main.
Malko examina l’aiguille d’or : elle semblait parfaitement normale. L’espace d’une seconde, il se dit que l’ambiance de Hong-Kong déteignait sur lui, que la dépression nerveuse commençait… Puis il observa le Chinois.
Il était verdâtre.
Malko pointa l’aiguille vers le poignet du Chinois.
— Qu’est-ce qu’elle a, cette aiguille ?
Tong poussa un cri, et fit un bond en arrière, renversant le tabouret. À peine relevé, il mit le bureau entre Malko et lui. Il ruisselait de panique. Cette fois, Malko n’avait plus de doutes. Jamais il n’aurait soupçonné le Chinois, si inoffensif !
Tout en l’observant, il enfila rapidement son pantalon, après avoir posé l’aiguille près de lui. Puis, l’ayant reprise, il se dirigea vers le Chinois.
Tong se recroquevilla contre le mur, comme un lapin pris dans les phares d’une voiture, mais ne chercha pas à fuir. Quand la pointe fut à un centimètre de son cou, Malko demanda :
— Tong, dites-moi la vérité ou je vais vous piquer avec cette aiguille.
La mâchoire inférieure du Chinois se décrocha. Sa voix était imperceptible :
— Lâchez-la, lâchez-la.
— Pourquoi ?
— Pourquoi ?
Il avança encore de quelques millimètres.
— Elle est empoisonnée, murmura Holy Tong.
Puis il glissa en petit tas contre le mur, sanglotant convulsivement. Il pleurait, la tête dans ses mains. Malko posa avec précaution l’aiguille d’or sur le bureau. Avec un frisson rétrospectif.
Il n’y avait plus dans le bureau que le bruit des sanglots de Tong. Malko se releva, tremblant d’excitation : il avait enfin en face de lui autre chose qu’un fantôme de la Bank of China. Ceux qui avaient donné l’ordre à Tong de le tuer étaient les mêmes qui avaient fait assassiner Po-yick.
Le Chinois se débattit mollement. Pour qu’il se sentît en état d’infériorité, Malko lui ôta ses lunettes et le fit asseoir par terre, devant lui. Cette fois, il était décidé à savoir. À n’importe quel prix. Il se pencha sur Holy Tong.
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