— Vous affranchir de quoi, commissaire ?
— Ta présence ici, entre autres.
— Ça faisait partie de mon boulot.
— Quel boulot ?
Il geint dans sa nasse, ce grand triton. Et puis il marmonne :
— M’faites pas jacter pour le plaisir, commissaire, j’ai les lèvres gercées.
— Je te fais jacter pour me mettre au parfum.
— Vous n’allez pas dire que vous ne savez rien ?
— Je ne sais rien.
— Qu’est-ce que vous foutez ici, en ce cas ?
— Ça, fiston, ce sont mes oignons.
Il rouscaille, Tango-la-Nitro.
— J’en ai plein le cul de ces giries de merde. On m’y reprendra à chiquer les héros au service de la France !
— Au service de la France ?
— Enfin de la Poule, ça revient au même, non ?
— Explique.
Alors, en termes plus hachés que ses pauvres labiales, il me livre le récit ci-dessous dont tu voudras bien prendre connaissance sans faire des taches de graisse sur les pages, ni y déposer des crottes de nez, selon ta bonne habitude, parce que t’as beau circuler à bord d’un Sanantonio, c’est pas une raison pour t’y comporter en campingeur dégueulasse, comme si tu bivouaquais au bord de la Nationale 7. Et qu’à force, ça me crispe le cervelet autant que le rectum de voir mes polars tout meurtris de mépris, avec la couvrante arrachée, les pages froissées et plus cornées que ta pomme, et constellés des souillures qui composent la palette de ta pauvre vie foutrique.
Or, donc, il s’est passé dans l’existence de Tango l’événement que voici, deux points à la ligne :
Récemment, il a participé au cassement de la banque Zébulard, là que le big coffiot a été craqué aussi aisément que la tirelire à musique de ton petit garçon. Au cours de cette opé, deux gardiens de la paix (en anglais « of the peace ») se sont fait étaler comme des quilles alors qu’ils se livraient à une ronde malencontreuse, ces veaux. Quelques jours plus tard, la bande a été partiellement arrêtée, entre autres Tango. Lui, jamais armé, n’a pas dessoudé les archers bien sûr, son job consistant uniquement à tutoyer les C.F. ; pourtant il était assuré, compte tenu de sa complicité, d’écoper de cinq à dix piges aux assiettes. Alors que, fort contrit, il se laissait aller aux noires amertumes dans sa cellotte de Fresnes, un monsieur lui a rendu visite pour une petite causette. La description qu’il me donne dudit me permet de reconnaître le Vieux.
Mylord le Boss lui a proposé un marché pas ordinaire. Un coup de main en deux temps, à réaliser pour le compte de la Maison France, mais de manière occulte. Motus ! La grande boucle, quoi qu’il advienne. Si foirade, tant pis pour les os à Tango. La première partie de l’opération consistait à faire sauter le phare de la Pointe du Chaz. La seconde, plus cotonne, terriblement risquée, à dynamiter le gouvernail d’un bateau soviétique dans la nuit qui suivrait.
L’épopée, quoi !
CHAPITRECHAP DOUZE
L’EXPLOIT
Et si Tanguy Liauradéshome réussissait dans sa mission, on oubliait sa participation au casse tragique de la banque Zébulard et on lui refilait dix briques pour aller se refaire une santé sur la Riviera Italoche ou aux Baléares. Voire ailleurs, ils sont pas sectaires, l’essentiel étant que ce soit ailleurs, tu comprends, mon chéri ?
Il a accepté, le gars Tango. Fresnes, merci bien : il commençait à se sentir venir des moisissures un peu partout et même autre part. Alors il a dit banco. Salope de Vieux qui jouait les fonctionnaires opprimés, les brimés à carrière brisée virgulés sur voie de garage. Ah, combien il m’a possédé, cézigus ! J’enrogne, j’enrage, j’ôdésespoire, j’ôvieillessennemie. N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? Ce grandiloquent fumier, ce chef vénéré, vertébré, ce chauve éperdu, cet élégantissime breloque qui nous a menés en bateau, les Béru et moi, en bateau breton, sans souffler mot. Alors qu’il usait de Pinuche, voire itou de Marie-Marie. L’Antonio ? En quarantaine. Silence. Méfiance. Ganache, va ! Peau de zob ! Sueur de fesse !
— Alors c’est toi qui as fait sauter le phare, Tanguy ?
— Oui, mais, balbutie Tango.
— Et qui as buté le gardien ?
— Dedieu, vous savez bien que non. J’ai pas de raisin sur mes mains d’orfèvre, commissaire. Jamais eu. Je fais dans le tactile, moi. Je suis un artiste. Un artificier. J’appartiens au génie, pas à l’équarrissage. Je manie l’explosif. J’ai une vocation chimique. Mon maître, c’est Nobel, l’inventeur de la dynamite, pas le docteur Petiot. Pour le phare, on a été repassés. Doublés sauvage, couillonnés à bloc, bités jusqu’au gros côlon, parole. D’abord, j’avais chargé juste le haut, le compartiment des loupiotes. Fallait simplement que je l’éteigne. Comme on souffle un cierge. Y’ne m’avait pas demandé de le sectionner en deux, ce candélabre de merde. C’est d’autres, je vous dis. Ils ont rappliqué derrière moi et filé la sauce, et nettoyé le gardien. D’autres, parole. Vous demanderez à votre vieux kroum. Le haut, j’avais pour mission. La lanterne only. Fallait qu’y soye aveugle cette nuit qu’on prévoyait de la tempête, le phare. Il m’a pas donné d’explication, le ratiboisé, mais je ne suis pas tombé de la dernière, je sais m’allumer la cervelle. Eteindre le phare et puis péter le barlu soviétique. Vous pigez pas, vous ? Pourtant les conclusions sont pas dif : le bateau se pointait parmi les récifs les plus coriaces de tout l’Atlantique Est, du Cap Nord jusqu’à l’autre bout de l’Afrique. Privé de ce repère essentiel, il était censé s’embrocher, le pétrolier. D’autant que l’explosif dont je l’ai farci est un truc extrêmement nouveau — le scrafuge 124, inventé par un grand savant palestinien — le docteur Saâgaz Rûrénouar, un crack. Le seul explosif qui ne fasse pas de bruit car il implose au lieu d’exploser. C’est donc un implosif à déterminance conjuguée. Fallait y penser. Le docteur Saâgaz y a pensé. Je le salue ! Il chamboule les données. Bravo…
Il reprend haleine, l’ami Tango. Tu le croirais en état second, d’hypnose presque, sa manière de dévider, d’y aller à toute pompe dans les parleries. Comme un besoin de se libérer, de se débarrasser une fois pour toutes de son aventure démentielle.
Le voilà qui respire des grands coups profonds, bien s’oxygéner tout, en grand, s’ouvrir les fenêtres donnant sur ses poumons, le brave garçon.
— Nom de Dieu, juré-je étourdiment car des qui respectent plus que moi le Seigneur, tu peux chercher, même le cardinal Marty jure davantage que moi. Et d’après ce qu’on m’a laissé entendre : le Pape, en personne. L’autre jour, tiens, en voulant planter un clou dans sa chambre pour accrocher un poster d’Emmanuelle, il s’est laissé tomber le marteau sur sa pantoufle d’hermine, ben il a fait péter un de ces « bordel de Dieu » qui a lézardé le Vatican ; de source sûre. Non, moi, Dieu, j’ai le plus profond respect. Jouer les mariolles, bien joli. Seulement tu casses ta bouffarde et tu te pointes là-haut. Et il t’attend, les mains dans ses manches, goguenard. « C’est toi, l’Antonio, qui me jurais le nom sacré, pour des babioles ? Me niais ? Me déniais ? Me gaussais comme un petit con ? Te voilà à comparaître, l’esprit fort en caramel mou ? Le pauvre chieur ? Sale branque, crâne plat, que si je serais moins divinement bon, je t’enverrais mijoter dans les marmites du copain fourchu, bougre de fier à braséro ! » Alors je me gaffe. Je crois en Dieu. Je croîs en Dieu. Je croisse en Dieu ? Je croasse en Dieu. Pas fou, le frelon ! Paré pour les manœuvres d’automne ! Bien le bonjour, Seigneur. J’arrive à vous comme un contrit. Après vous avoir tant prié, loué, sous-loué, vendu à Pierre, Paul, Jacques. Voyez mon éperduance, l’à quel point combien elle est totale, infiniment infinie. Tenez compte, Seigneur. Aboulez les récompenses. Ne m’éludez pas : éluez-moi. Je suis l’élu-type.
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