— Excusez-moi, trésor, j’ai oublié de graisser la patte du garçon, commencez sans moi, je reviens.
Et je cavale dans le couloir à la poursuite du gars Firmin.
Je le trouve dans une piaule voisine. Il vient d’y allumer une cigarette et il rêvasse en regardant zonzonner son aspirateur.
— Dites, commissaire, on a beau être poulaga on n’en est pas moins homme, ricane-t-il. Félicitations, c’est un gentil morceau. Quand vous n’en voudrez plus, la jetez pas, elle peut encore servir…
Je stoppe ses saillies.
— Écoutez, Firmin, vous avez fait un geste à l’instant qui me laisse rêveur…
— Ah oui ?
— Vous avez raflé un paquet de cigarettes sur la tablette du lavabo.
— Oh ! il n’en restait plus que deux.
— Je m’en fous, ça n’est pas cela qui m’intéresse… Je voulais vous demander de rappeler vos souvenirs. Avez-vous pris quelque chose dans la chambre de Simmon entre le moment où il a quitté sa chambre et le moment où il y est revenu ?
Le larbin réfléchit.
— Même s’il s’agissait d’une chose que vous jugez extrêmement insignifiante, dites-le-moi !
— Tiens, fait-il, en effet, je m’en rappelais plus. Je lui ai piqué un bouquin policier.
— Racontez…
— Il était sur sa table de chevet. J’ai pas cru qu’il allait revenir si tôt. Dans la journée je fais des pauses…
Il ne fait même que cela, le cher homme !
— … Alors je lui ai emprunté ce bouquin.
— Ensuite ?
— Attendez, oui ça y est. Il s’agissait d’un roman d’espionnage de Paul Kenny, c’était passionnant : une histoire de crocodile qui avait mangé un cannibale qui avait mangé un explorateur qui avait mangé un document secret… J’en étais à la page 48, vous voyez si ma mémoire fonctionne. Au paragraphe 2, là où le type de l’interpol ouvre l’estomac du crocodile. C’est alors que cette vieille morue de mère Renard m’est tombée sur le paletot. Elle m’a confisqué le bouquin en criant bien haut que c’était un scandale !
— Et après ?
— Quand Simmon est revenu, il est ressorti de sa chambre et m’a demandé si j’avais aperçu le livre qui était sur sa table de chevet.
— Merci, mon Dieu, fais-je. Et qu’avez-vous répondu ?
— Que non. Je pouvais pas avouer puisque je n’avais plus le livre. Si j’étais allé le réclamer à la vieille peau, j’aurais dû lui expliquer que je l’avais pris à un client et elle en aurait profité pour me donner mon sac !
— Qu’a dit Simmon ?
— Rien. Il a refermé la porte.
Il savait se maîtriser. En fait, sans le savoir, Firmin venait de le tuer. L’espion savait que la perte du document provoquerait la sienne. Il a cru qu’on le lui avait volé et il a préféré en finir avec la vie pour éviter d’être torturé…
— Ça paraît vous contrister ? remarque Firmin.
— Non, au contraire.
La vieille a lu le bouquin, ou bien Fouassa… Arrivés à un certain endroit ils sont tombés sur le fameux feuillet où était imprimée la formule. Le texte leur a été incompréhensible, mais lorsque les gars des deux réseaux sont intervenus, leurs méninges se sont mises en action. Ils ont compris…
Je m’élance dans l’escalier. C’est la voix de Firmin qui me hèle :
— Vous partez, monsieur le commissaire ?
— Oui.
— Mais… et la personne de la chambre 16 ?
— Dites-lui qu’elle peut aller se rhabiller, j’ai autre chose à foutre !
* * *
C’est ce goût de la perfection qui fait votre force et qui vous donne votre classe, cher San-Antonio. Vous avez su défricher complètement cette affaire, résoudre tous ses aspects les plus mystérieux…
Il parle en me secouant énergiquement la main.
— Bravo, bravo ! Et encore bravo ! Pendant que j’y pense, vous remercierez votre cousin pour le don qu’il a fait aux œuvres de la police.
— Il a versé combien ? m’enquiers-je.
— Douze cents francs…
— Nouveaux ?
— Non, anciens, mais c’est le geste qui compte, conclut le Vieux, chacun fait selon ses moyens !
FIN
J’étais en plein dans l’affaire de l’U.T. russe.
Faites pas la grimace, vous en avez sûrement sorti de pires !
Pas d'inquiétude, c'est ma soupape poétique qui fonctionne.
Formule classique, mais qu'il est bon de conserver, car elle possède beaucoup de vigueur et frappe l'imagination.
Avouez que vous ne vous attendiez pas à ça.
Je sais que cette partie de l’ouvrage peut choquer, aussi je conseille les esprits chagrins de sauter carrément le paragraphe qui va suivre.
Lire ou relire Fleur de nave vinaigrette .
C’est bête, mais j’aime.
Et vous, aimez-vous bramer ?
Ça c’est de la fin de chapitre, les gars ! C’est à ces détails-là qu’on reconnaît le romancier de talent, le prosateur de métier et le littérateur de classe.
Si vous ne voyez pas auquel je fais allusion, téléphonez-moi un matin avant dix heures.
Et après ? Si ça me fait plaisir ! Voulez-vous bien remonter à votre lecture et ne pas faire cette gu… !
Gain de temps appréciable puisque cela signifie : l’homme… au complet de tweed moucheté dans les tons beiges qui portait naguère un imperméable blanc.