D’un brusque mouvement instinctif, La Veuve se retourna pour voir ce que voyait Marie Charmant, elle demeura pétrifiée.
La porte venait de s’ouvrir sans bruit.
Devant cette porte se tenait un homme de haute stature, les bras croisés, immobile et pensif…
Et cet homme, malgré les années écoulées, malgré les cheveux grisonnants, malgré les ravages de la souffrance sur son visage, La Veuve le reconnut à l’instant…
C’était le baron Hubert d’Anguerrand, le père de Valentine!…
Lui aussi, sans doute, reconnut Jeanne Mareil, car, au moment où elle se retourna, il fut agité d’un tressaillement nerveux, et, tout à coup, il fit deux pas en avant…
– Monsieur le baron d’Anguerrand! gronda La Veuve dans un terrible éclat de rire. La farce est bonne! vous écoutiez donc! Vous voulez donc savoir ce que j’ai fait de votre fille!… Ce qu’est devenue la mienne, cela vous importe peu!… Une fille de paysanne, ce n’est pas la même chose qu’une fille de baron, n’est-ce pas?
Hubert d’Anguerrand frémissait, muet de stupeur, à cette apparition imprévue de son passé.
– Ce qu’est devenu mon fils, continua La Veuve, tandis que Marie, tremblante, éperdue de terreur et d’étonnement, se reculait dans un angle, ce qu’est devenu mon fils, cela vous est bien égal, aussi… Vous m’avez tué mon amant, monsieur le baron. C’est bien. Mon fils est mort. Quant à ma fille, le diable sait ce qu’elle est devenue. Dieu me le dira un jour, soyez tranquille… Quant à votre fille, à vous, monsieur le baron, il est juste que vous sachiez où elle est et ce qu’elle va devenir!… Mais ce n’est pas moi qui vous le dirai! Un peu de patience, car voici votre fils Gérard qui va vous renseigner!…
En même temps, La Veuve fit un bond de côté. Hubert d’Anguerrand se jetait sur elle!… Mais, lorsqu’il abattit ses mains pour la saisir, il vit Jeanne Mareil qui, souple comme une vipère, se glissait vers la porte… Il se rua sur cette porte… et tout-à-coup la porte se referma violemment. Hubert d’Anguerrand entendit les verrous que l’on poussait… Il entendit l’éclat de rire de Jeanne Mareil, puis, un peu plus tard, un coup de sifflet strident.
La porte était massive et solide. Le baron Hubert essaya vainement de l’ébranler… Lorsqu’il vit que ses efforts étaient inutiles, il se retourna vers Marie Charmant qu’il contempla un instant:
– Soyez rassurée, dit-il d’une voix de douceur pénétrée. J’ai entendu. J’ai compris que vous vous intéressiez au sort de mon enfant… Qui que vous soyez, mademoiselle, je vous bénis… c’est un père qui vous parle… un père bien malheureux…
Il se rapprocha de la bouquetière, lui prit les deux mains et d’un accent profond, avec un sanglot au fond de la gorge:
– Mademoiselle, vous avez vu ma fille… Vous lui avez parlé… Vous savez où elle se trouve… Oh! mademoiselle, parlez-moi de mon enfant!…
– Ça par exemple, s’écria la bouquetière, c’en est une de veine!… Comment, c’est vous le papa de la petite?
– De Valentine, oui, mademoiselle.
– De Valentine, c’est ça!… Eh bien! comme je vous disais, c’est une veine… Savez-vous pourquoi La Veuve…
– La Veuve?
– Oui la femme en noir qui sort d’ici.
– Jeanne Mareil! murmura sourdement Hubert. Ma victime!… Et alors, mademoiselle, cette veuve?…
– Eh bien! savez-vous pourquoi elle m’a fait conduire ici? Par vengeance, monsieur! Je ne pense pas qu’elle m’aurait fait du mal, bien qu’elle ait l’air mauvais… je la crois plus folle que méchante; enfin, c’est tout de même par vengeance qu’elle m’a comme qui dirait séquestrée.
– Ainsi, fit le baron en frémissant, ma fille se trouve aux mains de cette femme?
– Oui; mais puisque vous voilà, tout va s’arranger. Je n’ai qu’à vous conduire… Mais vous-même monsieur, comment avez-vous pu trouver cette maison?… par quel hasard?…
– Ce n’est pas un hasard, mademoiselle. J’y étais, dans la maison. J’y étais prisonnier comme vous l’êtes. Cette nuit, j’ai compris que je n’étais pas surveillé, je suis parvenu à ouvrir la porte, et j’allais sortir, quand j’ai entendu un bruit de voix, je suis monté pour savoir surtout si mon fils… Mais ce sont là des choses qui se régleront plus tard, ajouta le baron avec un sourire qui fit frissonner la bouquetière.
– Mais comment un homme comme vous, reprit-elle, a-t-il pu se laisser prendre?… Comment êtes-vous resté plus d’un mois sans vous sauver? Car je suppose, maintenant, que vous avez été pincé en même temps que la belle demoiselle…
– Oui, en même temps… Je n’ai pas essayé de me sauver, mademoiselle, parce que j’attendais une visite…
– Une visite!…
– Oui, dit le baron d’un accent singulier. Un père qui attend son fils… quoi de plus simple?
Marie Charmant secoua la tête.
– D’après le peu que m’a dit votre fille et le peu que vous me dites, je comprends qu’il y a sous tout cela une terrible embrouille. Consolez-vous, allez, mon pauvre monsieur, et surtout, si je puis vous donner un conseil, emmenez votre fille au plus vite et oubliez ceux qui ont voulu vous faire du mal…
– Oublier! murmura le baron. Je l’ai essayé pendant des années. J’ai cru que j’avais oublié… J’ai pu croire aussi que j’étais oublié… Non, non… rien ne s’oublie!… Mademoiselle, reprit-il à haute voix, si nous sortons d’ici…
– Comment! si nous sortons!… mais nous n’avons qu’à nous en aller, il me semble!
Le baron, sans répondre, alla à la porte, essaya de la secouer, appuya sur les panneaux à violentes poussées… Le baron se tourna vers la jeune fille en souriant:
– Il y a une chose que j’ai remarquée et que vous n’avez pas remarquée, vous: c’est que cette porte, qui n’a ni serrure ni bouton, qui se ferme au moyen de solides verrous, est doublée de plaques de tôle à l’extérieur. C’est ici un coupe-gorge. Et nous ne nous en irons pas aussi facilement que vous le pensez… Si nous sortons d’ici sains et saufs, me permettrez-vous de m’occuper de vous?
– Comment ça? fit Marie Charmant.
– C’est difficile à dire… vous ne devez pas être riche…
– Oh! si c’est ça… vous pouvez bien dire que je suis pauvre, ça ne me dérange pas, allez!
– Vous vivez avec vos parents, sans doute?
– Mes parents? Connais pas!
– Mais vous avez un métier?…
– Fleuriste à la rue. Ça rend à peu près. On gagne sa vie; pas des mille et des cent, mais on fait tout de même bouillir sa marmite et on ne doit pas un sou dans le quartier! La misère, c’est une vieille connaissance à moi… elle ne me fait pas peur… et elle ne me fait pas de mal, non plus; paraît qu’elle m’a prise en amitié!… Tenez, monsieur, je vois ce que vous voulez me donner, de l’argent? Merci, monsieur. Je me tire d’affaire toute seule, et, dans le fond, ça me fait plaisir de savoir que je ne dois rien à personne.
– Mais, dit le baron en dissimulant son émotion et le profond intérêt qu’il prenait à la jeune fille, ne consentiriez-vous pas… à la revoir?
– Si elle vient chez moi, dit Marie Charmant avec une inconsciente fierté, j’en serai heureuse… mais je voulais vous dire: si vous avez de l’argent de trop, je vous indiquerai, moi, le moyen de l’employer. Ce n’est pas le malheur qui manque! Du malheur! Paris en est pavé. Ainsi, il y a au-dessous de moi une pauvre fille qu’on sauverait avec un peu d’argent… si peu!…
– Mademoiselle! murmura le baron d’Anguerrand d’une voix qui tremblait, vous me direz le nom de vos protégés, et je vous jure que s’il faut seulement de l’argent… il y en aura!…
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