– Madame… oh! madame, balbutia la malheureuse enfant, un mot encore, un seul mot… et je vous bénirai… Je vous aimerai de tout mon cœur…
– Parlez, ma petite… Et ne tremblez pas ainsi… tout s’arrangera, vous verrez…
– Lui!… Qu’est-il devenu?… lui!… que lui est-il arrivé?…
– Rien que je sache. Je sais simplement qu’il a fait sa déposition, et que la police est aux trousses de la baronne. J’ai été ce matin jusqu’à l’avenue de Villiers. Je lui ai laissé un mot pour le rassurer sur vous, et lui dire que je vous ferai ramener…
– Oh! soyez bénie, madame! balbutia Lise qui éclata en sanglots.
La Veuve parut réfléchir quelques instants, puis elle reprit:
– Il y a un quelque chose entre moi et le baron Gérard. Moi, j’en ai assez. Je crois que, si je vous ramène à lui saine et sauve, il consentira de son côté à oublier le passé. C’est tout ce que je demande en fait de récompense…
– Vous serez récompensée, soyez-en sûre! dit Lise ardemment. Je vous jure, au nom de Gérard, que tout sera oublié… tout… excepté l’immense service que vous nous rendez en ce moment…
La Veuve haussa les épaules d’un air philosophique, recommanda à Lise le calme et la prudence, puis sortit en emportant le costume de soirée.
Une heure plus tard, elle entrait dans l’arrière-salle d’un bar situé boulevard Barbès et disait quelques mots à voix basse au patron de l’établissement, qui répondit par un signe d’assentiment.
– Il faudrait quelqu’un d’adroit et qui n’ait pas les yeux dans sa poche… ajouta La Veuve.
– Soyez tranquille, j’ai votre affaire… la gare Saint-Lago sera surveillée par lui comme pour le départ d’un ministre.
– Il y a un beau carré au bout, conclut La Veuve, qui tendit un billet de banque à l’homme. Je viendrai aux nouvelles demain et les jours suivants.
Puis elle rentra dans son logis et s’y enferma.
Le lendemain, comme elle avait dit, elle retourna au bar du boulevard Barbès.
Il n’y avait rien de nouveau. Le surlendemain, rien encore. Mais le troisième jour, lorsqu’elle entra, le patron cligna de l’œil.
– Ça y est, lui glissa-t-il dans l’oreille. Il a pris hier le rapide de Brest…
La Veuve se contenta de faire un signe de tête, sortit, et, une fois dehors, murmura:
– Valentine, je la tiens. Demain Gérard sera pris. Il pourra choisir entre le bagne et l’échafaud. Reste M. le baron Hubert… et j’en fais mon affaire!… Ce soir, tout sera réglé… Enfin!
Dans son triste logis, à la table même où Biribi, sous sa dictée, avait, trois jours auparavant, écrit au chef de la Sûreté, La Veuve s’assit et, à son tour, écrivit:
«Hubert,
«Il faut que je vous parle. Il s’est passé tant de choses entre nous qu’au moment de m’éloigner de Paris, il est nécessaire que je vous dise ce que j’ai sur le cœur; peut-être, alors, nous pardonnerons-nous l’un à l’autre le mal que nous nous sommes fait, et je partirai plus tranquille.
«Je sais de façon certaine que vous habitez secrètement à l’hôtel d’Anguerrand.
«Cette nuit, après minuit, je viendrai. Si vous ne voulez pas me parler, il suffira que vous laissiez votre porte fermée. Mais si, comme moi, vous pensez que d’une explication suprême il peut résulter quelque bien, vous laisserez la porte entre-bâillée, – et j’entrerai.
«Jeanne MAREIL»
Cette lettre, La Veuve ne la mit pas sous enveloppe elle la roula en boule, l’entoura d’un fil croisé en tous sens, et chercha des yeux un objet quelconque destiné à alourdir cette boule de papier. Mais elle ne vit que son revolver posé sur la table et chargé à six coups. Alors elle enleva l’une des balles du barillet, et cette balle de revolver, devenue messagère, elle l’attacha au fil qui entourait sa lettre.
Quelques minutes, elle demeura rêveuse devant ce chiffon de papier accroché à la balle de plomb.
– Voudra-t-il? songeait-elle. Toute la question est là, maintenant. Oui, sans doute, il voudra. Ne fût-ce que par curiosité… J’aurais dû mettre que je sais où est sa fille… mais non… ça l’aurait plutôt mis en défiance… Je trouverai la porte ouverte, cette nuit, c’est sûr!
Elle partit, et, par le moyen de divers tramways, gagna le quartier lointain de la rue de Babylone. Elle ne tenait pas à arriver de bonne heure, et cherchait à allonger le chemin pour se donner le temps de réfléchir.
Lorsqu’elle se trouva sur le boulevard des Invalides, à l’encoignure de la rue de Babylone, et qu’elle vit le grand portail de l’hôtel d’Anguerrand, son cœur battit avec force, et elle en fut surprise, car il était bien rare que, chez elle, l’émotion produisit ces effets.
– Ce n’est pas tout ça! gronda-t-elle. Il faut que je fasse arriver le papier…
Elle regarda autour d’elle et avisa un gamin, un petit pâtissier qui passait, les deux mains dans les poches, son panier vide sur la tête, en sifflant un air patriotique. Le gamin, tout à coup, tomba en arrêt devant une bande piailleuse qui jouait au bouchon, et s’arrêta pour juger les coups.
La Veuve s’approcha de l’apprenti et lui dit en souriant:
– Tu vas arriver en retard pour porter ta timbale, mon petit ami…
– De quoi? fit le petit pâtissier. D’abord, c’était pas une timbale, c’était un vol-au-vent. Ensuite, il est porté, le vol-au-vent. Si y a plus moyen de s’arrêter un brin, alors! Mais c’est-y qu’vous connaissez mon patron?
– Non, mon petit ami…
– Alors, de quoi qu’vous vous mêlez, dites donc?
– Je voudrais te demander si tu veux gagner ceci? murmura La Veuve en montrant une pièce de cinq francs.
– Une roue d’derrière! Chouette! Comptez sur moi! déclara le gamin avec cet impayable aplomb qui est l’apanage des apprentis pâtissiers.
La Veuve l’entraîna à quelques pas, lui remit la boule de papier attachée à la balle, et lui désigna le grand portail de l’hôtel d’Anguerrand.
– Tu vois cette porte?
– Oui. Une porte de prison ou de cimetière, fit le gamin, gouailleur.
La Veuve tressaillit et un soupir gonfla son sein.
– Tu vas y aller, reprit-elle. Tu tireras la sonnette, un coup, très fort, et puis tu jetteras le papier par-dessus le mur, pour qu’il tombe dans la cour.
– Une bonne farce, quoi.
Le gamin posa son panier sur un banc du boulevard, s’élança dans la rue de Babylone, tira violemment la sonnette de l’hôtel et lança par-dessus le mur la balle de revolver qui entraînait la lettre de La Veuve.
Pendant près d’une heure, La Veuve demeura immobile à l’angle de la rue, les yeux fixés sur les fenêtres de l’hôtel. Enfin, son regard ardent perçut ce qui eût sans doute échappé à d’autres regards: le léger tressaillement d’un rideau.
– Bon! gronda-t-elle. Il est là. Il a entendu le coup de sonnette. Depuis une heure, il regarde. Il a vu le papier… Et maintenant il se décide à descendre pour le lire!…
* * * * *
Il était huit heures du soir. Dans sa chambre, La Veuve allait et venait, déplaçant ici une chaise, remettant plus loin un objet en place, grommelant des paroles confuses. Il y avait sans doute un dernier combat en elle.
Parfois elle s’arrêtait brusquement et prenait à deux mains son front brûlant où il y avait des coups sourds se répétant à intervalles réguliers mais très espacés.
À un moment, elle alla à la fenêtre, et jeta un regard sur la route pleine de ténèbres. Pourtant, dans cette nuit, elle distingua la silhouette de Biribi qui se promenait lentement sur le trottoir opposé.
– Il attend… il se demande si la fenêtre va s’éclairer… si c’est pour ce soir!… Oui!… c’est pour cette nuit!… Quand même je ne le voudrais pas, maintenant, il faut que cela soit, puisque j’ai écrit…
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