— Naturellement. Mais votre pensée est très claire. Dans les limites de ce paradigme… je conclus que le système Cerbère-Hadès présente un certain intérêt.
Sylveste hocha la tête, manifestement impressionné par le fait qu’elle se soit rappelé la nomenclature exacte du système binaire planète/étoile neutronique dont ils se rapprochaient.
— Quelque chose a attiré les Amarantins dans le secteur, vers la fin de leur existence. Et je veux savoir ce que c’était.
— Et ça ne vous fait rien que cette chose soit peut-être liée à l’Événement ?
— Si, ça me fait quelque chose, répondit-il, à sa grande surprise. Mais ce qui m’inquiéterait encore plus, ce serait que nous n’en tenions aucun compte. Après tout, la menace contre notre propre sécurité pourrait être tout aussi réelle. Au moins, si nous apprenons quelque chose, nous avons une chance d’éviter de connaître le même sort.
Volyova se tapota pensivement la lèvre inférieure.
— C’est peut-être ce que les Amarantins se sont dit.
— Alors, mieux vaudrait approcher la situation sous l’angle des moyens, répondit Sylveste en regardant sa femme. Votre arrivée était providentielle, très franchement. Cuvier n’avait aucun moyen de financer une expédition là-bas, même si j’avais réussi à persuader la colonie de son importance. Et même dans ce cas, rien de ce qu’ils auraient pu monter n’aurait été à la hauteur des capacités offensives de ce vaisseau.
— Cette petite démonstration de notre puissance de feu était plutôt mal pensée, non ?
— Peut-être. Mais sans ça, ils ne m’auraient peut-être jamais libéré.
Elle soupira.
— C’était exactement ce que je voulais dire, hélas.
Près d’une semaine plus tard, le vaisseau était à moins de douze millions de kilomètres de Cerbère-Hadès et s’était positionné en orbite autour de l’étoile neutronique. Volyova réunit les membres de l’équipage et leurs invités sur la passerelle du vaisseau en pensant que le moment était venu de leur révéler que ses pires craintes étaient justifiées. Ce qui lui était déjà assez pénible, mais comment Sylveste prendrait-il les choses ? Ce qu’elle était sur le point de lui dire avait le double inconvénient de confirmer qu’ils approchaient d’un grand danger et de toucher quelque chose qui revêtait une profonde signification personnelle pour lui. Dire qu’elle n’était pas très psychologue était un euphémisme, et Sylveste était un animal beaucoup trop complexe pour se soumettre à une analyse à l’emporte-pièce, mais elle ne voyait pas comment la nouvelle pourrait ne pas lui être pénible.
— J’ai trouvé quelque chose, dit-elle lorsque l’attention fut concentrée sur elle. Depuis un certain temps, en fait : une source de neutrinos, près de Cerbère.
— Il y a longtemps ? demanda Sajaki.
— Avant que nous n’arrivions dans l’orbite de Resurgam. Ça ne méritait pas d’être signalé, Triumvir, ajouta-t-elle en voyant qu’il se renfrognait. Nous ne savions pas, à ce moment-là, que nous allions venir par ici. Et la nature de la source n’était pas claire.
— Alors que maintenant… ? fit Sylveste.
— Maintenant, j’en ai… une idée plus claire. En approchant de Hadès, il est devenu évident que les émissions étaient au départ purement des tau-neutrinos d’un spectre d’énergie particulier. Unique, en fait, parmi les signatures de toutes les technologies humaines.
— Vous avez donc découvert par là quelque chose d’humain ? avança Pascale.
— C’était ce que j’avais supposé.
— Une propulsion Conjoineur, fit Hegazi, Volyova hochant légèrement la tête.
— Oui, répondit-elle. Seules les propulsions Conjoineur produisent des signatures de tau-neutrinos conformes à la source qui se trouve dans les parages de Cerbère.
— Alors, il y aurait un autre vaisseau, là-bas ? fit Pascale.
— C’est ce que j’ai d’abord pensé. Et ce n’est pas complètement faux, répondit Volyova, un peu tendue, avant de murmurer un chapelet de commandes dans son bracelet. Mais il était important d’attendre que nous soyons assez près pour identifier visuellement la source.
La sphère synoptique s’anima et effectua une routine pré-programmée que Volyova avait réglée juste avant la réunion.
Cerbère apparut. La planète, pas plus grosse qu’une lune, ressemblait à Resurgam en moins attrayante : une grisaille monotone, criblée de cratères, et sombre, car Delta Pavonis était à dix heures-lumière, et l’autre étoile proche – Hadès – ne risquait pas de lui apporter beaucoup de lumière. Bien qu’elle soit née dans la chaleur infernale de l’explosion d’une supernova, la petite étoile neutronique s’était depuis longtemps refroidie dans l’infrarouge, et n’était visible à l’œil nu que lorsque son champ gravitationnel captait l’éclat des étoiles environnantes selon des arcs de lumière concentrée. Cela dit, même si Cerbère avait été baigné de lumière, on ne voyait pas ce qui aurait pu y attirer les Amarantins. Néanmoins, les meilleurs balayages de Volyova n’avaient cartographié la surface qu’à une résolution de quelques kilomètres, de sorte qu’on ne pouvait rien écarter à ce stade. Mais elle avait étudié beaucoup plus en détail l’objet qui était en orbite autour de Cerbère.
Elle effectua un zoom avant. Au début, ils ne virent qu’une tache blanchâtre légèrement allongée, sur le fond d’étoiles. Le bord de Cerbère était visible sur un côté. C’était l’aspect que la planète offrait quelques jours auparavant, avant que le vaisseau ne déploie ses interféromètres à longues lignes de base. Même alors, Volyova avait eu du mal à oublier ses soupçons. Et au fur et à mesure que les détails apparaissaient, ça devenait de plus en plus difficile.
La tache se para d’attributs définis : elle était de forme vaguement conique, comme un éclat de verre. Volyova entoura l’objet d’une grille à l’échelle, afin de faire apparaître sa taille approximative. Elle faisait plusieurs kilomètres de long : trois ou quatre, à l’aise.
— À cette résolution, reprit Volyova, l’émission de neutrinos émane de deux sources distinctes.
Elle les leur montra : des taches gris-vert placées de chaque côté de l’extrémité la plus large du cône. Au fur et à mesure que d’autres détails apparaissaient, il devenait évident que les taches étaient fixées au cône par des épars élégamment incurvés en arrière.
— Un gobe-lumen, dit Hegazi.
Il avait raison. Même à cette résolution relativement grossière, il n’y avait aucun doute : ce qu’ils voyaient était un vaisseau assez semblable au leur. Les sources de neutrinos étaient les deux moteurs Conjoineur fixés de chaque côté de la coque.
— Les moteurs sont au point mort, dit Volyova, mais ils émettent toujours un flux stables de neutrinos même quand le vaisseau n’est pas en poussée.
— On peut l’identifier ? demanda Sajaki.
— Ne vous donnez pas cette peine, dit Sylveste, dont le calme, la gravité de la voix les surprirent. Je sais de quel bâtiment il s’agit.
L’image du vaisseau frémit. Une vague finale de détails apparut sur l’écran sphérique, et l’objectif zooma jusqu’à ce que l’appareil emplisse presque complètement l’image. Ce qui n’était peut-être pas évident avant l’était à présent : le vaisseau avait été accidenté, éventré, crevé par de grandes indentations sphériques. La coque éclatée révélait une complexité infinie, presque malsaine, de sous-couches, qui n’auraient jamais dû être exposées au vide.
— Alors ? fit Sajaki.
C’est l’épave du Lorean, répondit Sylveste.
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