Un silence. Mon téléphone ronfle comme un chat dans une chatte. Je décroche, sachant déjà qui est en ligne.
Effectivement, c’est la voix du Vieux. Tiens, j’en avais oublié déjà certaines inflexions…
— Inouï, bravo, sensationnel, San-Antonio. Quelle quiquette ! Je veux dire quelle enquête ! De toute beauté ! Mais dites, l’assassinat de Valérie ? Hein ? Les gars de la bande engagée par elle ? Quel intérêt, j’avoue ne pas très bien…
Et moi, désinvolte :
— Un instant, mon vieux !
Parfaitement, je viens de Lui dire « mon vieux ». Mon vieux ! À Lui ! Et de raccrocher.
— Il me reste maintenant à vous raconter la mort de Valérie.
— Ah, mais oui, c’est vrai, retentit Lophone.
— Elle était partie pour son île de putes, afin de ne pas être concernée par le drame. Mais, à peine en l’air, elle a compris qu’il lui fallait demeurer aux abords de l’action. Alors elle a pris ses risques et elle est revenue. Je pense plutôt qu’elle était inquiète à cause de son amant. Pinson est une brute qui pouvait commettre un impair, privée de sa tutelle. Bref, elle est restée jusqu’à l’accomplissement de ses désirs. Alors, elle s’est empressée de filer en emmenant Pinson Robert travesti en pin-up. Les chauves portent bien la réchauffante. Mais lui, le saligaud, le rejet d’humanité, l’abjection personnifiée, il a décidé de devenir milliardaire à part entière. En effet, si Valérie mourait, après avoir hérité le milliard, ce milliard revenait à « son » enfant, donc au sien aussi, à lui, Pinson Robert. Un milliard à gérer, officiellement. Tu parles d’un bonheur… Il a pensé que, pour en finir avec sa belle partenaire, le moyen le plus énorme serait le meilleur, et le plus marrant c’est qu’il a failli avoir raison. Il a égorgé Valérie, de nuit. Puis il a chaussé l’une des deux vastes paires de godasses dont il s’était muni, le bon petit diable. Il a fait un aller-retour de la case à la mer ; ensuite un second avec la deuxième paire de targettes. Au bord de l’eau, à l’aide d’une pièce de bois, il a mimé les traces d’un accostage. Il ne lui restait plus ensuite qu’à planquer les pompes et à se médicamenter à bloc afin de chiquer au type chargé de porter le chapeau. C’était tellement énorme, tellement fou que…
Un cri !
De bête sauvage piégée. C’est Pinson qui vient de feuler, ou p’t’ être de rugir, j’ sus pas sûr, faudra que je lui fasse répéter. Il a bondi. Fonce à la porte. Mais c’est compter sans la présence d’esprit incommensurable (tu trouves le mot juste ou disproportionné, toi ?) du Gros.
Ce qu’on assiste, on n’y assistera peut-être plus, tu sais.
Vraiment, il est sous le signe de la godasse, l’odieux Pinson.
La fulgurance du Gravos ! Alors, là, chapeau !
Sa grole droite. Un mocassin de belle facture, avec un talon comme le bas d’un manche de pioche. Il l’avait ôté pendant mon admirable récit pour faire profiter ses cors, bien les aérer, ces chéris. Dans des battoirs comme les siens, la chaussure devient un marteau.
Pan !
Un seul coup. En plein dans le front à Pinsonnet qui va vérifier de très près si ma moquette est bien pure laine.
OCCLUSION INTEMPESTIVE
Je finis de repeindre notre tonnelle. M’man me déclare que ce vert anglais est très beau, distingué. Bon, nous voici en possession d’une tonnelle distinguée, ça nous changera, depuis le temps qu’elle ressemblait à un tas de ferraille chez un casseur.
Comme on achève de s’en mettre plein la vue, et ce dégueulasse de Toinet plein les doigts, une voix m’hèle :
— Hohé !
Je découvre un type moyen d’âge, d’allure et de vesture. J’ai très confusément l’impression de le reconnaître, sans toutefois parvenir à le cadrer.
— Monsieur ? je fais en m’avançant.
— Vous me remettez mal, hein ? clame l’arrivant, tout joyce, jovial, heureux, béni du ciel en me tendant une main dans laquelle je dépose quelques milligrammes de peinture verte.
— Ma foi…
— Roland ! Roland Ollifan, on est monté ensemble chez cette pauvre Inès, le soir où…
Il se signe pendant que je m’exclame, penaud :
— Oh ! oui, bien sûr…
Que vais-je lui déballer pour qu’il m’excuse de l’avoir laissé croupir chez les rouquemen pendant plus d’une semaine ?
Mais j’ai pas à chercher. Toujours aussi volubile, et un chouïa beurré, Ollifan me tend un petit paquet élégant et long sorti de sa poche.
— Si vous me permettriez, vieux. Si, si, j’y tiens… C’est un rien, une babiole, un souvenir, juste une montre en or pour vous remercier d’avoir eu la gentillesse de me disculper. Sans votre intervention, aussi raide, je passais aux assiettes et je risquais perpète ! Merde, vous vous rendez compte, un queutard comme moi ?
Nouvelle claque affectueuse. Ollifan baisse le ton.
— Venez jusqu’à ma voiture, j’ sus avec une petite salope adorable ; la vraie vicieuse, beaucoup de technique. Si le cœur vous dit, on se la fait en équipe ? Elle aime.
Je l’accompagne en souriant.
Tu vois, dans la vie, il existe deux catégories de mecs : les méchants et les gentils.
Il semblerait que Roland Ollifan appartienne à la seconde.
FIN
Cf. : Dis bonjour à la dame .
Une vedette, un vedet. Logique, non ?
Dis bonjour à la dame .
Ce qui te prouve que ça n’est pas « anticonstitutionnellement » le mot le plus long de la langue française, puisqu’il ne fait que 25 lettres !
Tout, ou pour le moins beaucoup de choses, nous porte à croire que Béru veut parler de Second Empire. Note de la Blanchisseuse .
Depuis longtemps, nous pensions que San-Antonio était un grand écrivain. À la lecture d’une phrase pareille, nous n’en doutons plus. Note du plombier .
Vient de « gigogne ».
Certain pli profond de la cuisse à Berthe la rend plus attrayante que celle de Jupiter.
Cf. : Dis bonjour à la dame , que d’ailleurs tu n’aurais aucune excuse de ne pas avoir lu.
Le point d’interrogation placé entre parenthèses, constitue l’abréviation de « Tu parles, Charles ».
Et je pèse mes mots, tu vas voir. San-A.
Tu sais l’à quel point j’aime les astuces sur « branler le chef ». Je parviens pas à m’en rassasier.