— Pourquoi ?
— Pour gagner du temps. Pendant son séjour à l’hôpital il ne risquait pas grand-chose. Il a suivi mon conseil. Trop bien même, car il a été assez sérieusement blessé. Je suis allée le voir à l’hôpital le lendemain et ensemble nous avons composé le texte du message qui devait être transmis à votre chef.
— C’est vous qui avez posté le message ?
— Oui, après l’avoir soumis à Paulo Chon.
— Qu’a-t-il alors décidé ?
— De jouer le jeu tout en surveillant Tepabosco étroitement.
— Dites, fillette, vous, vous jouiez là un drôle de double jeu !
— C’était le seul moyen d’accorder un sursis au Roumain. Je parvenais simultanément : à retarder son arrestation, à satisfaire Paulo Chon, et à prévenir votre chef ! Pas mal comme résultat !
— De première, éructe Béru.
Le dindon gît devant lui comme un dessin de Bernard Buffet. Il ne subsiste plus que l’armature générale. Il a la bouche comme une bassine à friture, le Gros.
— En effet, conviens-je, c’était bien combiné pour un aussi joli cerveau.
Elle m’adresse un rapide sourire.
— Et nous ? dis-je.
— Quoi, vous ?
— Comment se fait-il que nous ayons eu maille à partir avec Paulo Chon ? Pourquoi m’avez-vous volé mon portefeuille ? Pourquoi avez-vous donné l’alerte après vous être enfuie de chez votre ami Juan Lépino ?
— Que de questions erronées ! sourit la déesse. Je vais tout vous expliquer…
Elle se verse un verre de Santo Emiliano, l’avale d’un trait pour bien montrer qu’elle s’est débarrassée des minauderies de salon, puis elle revient s’asseoir près de moi et ne me repousse pas lorsque je lui glisse mon bras préféré autour de la taille.
— Je vous ai dit que Tepabosco était surveillé. Votre ami, ici présent…
Là, Béru rote de confusion.
— … Votre ami est allé lui rendre visite. C’était donc se signaler à l’attention des anges gardiens !
Je l’interromps :
— Mais moi-même je filais l’inspecteur principal Bérurier et je n’ai rien vu d’insolite !
— Parce que l’homme qui s’était attaché à ses pas a su passer inaperçu.
Ça me mortifie un brin. Je prends un ton de confesseur à qui une ravissante pénitente raconte son dernier adultère et je balbutie :
— Continuez, mon enfant, dites-moi tout !
Et elle continue.
— Ce qui a tout faussé, c’est qu’ils ont cru que Monsieur…
Courbette de Béru qui en perd trois boutons de braguette d’une seule plongée.
— … Que Monsieur était seul. Quand ensuite ils vous ont vus ensemble ils ont mené une rapide enquête sur vous et ont appris que vous étiez Suisse, ce qui les a quelque peu déconcertés.
Elle s’arrête un instant pour reprendre haleine. Marrant tout de même que ce que j’estimais être une ruse suprême, se soit retourné contre moi. Nature, ces tocassons se sont demandé au départ ce que je voulais à ce gros lardon débarqué seul ici.
— Ils ont pensé que j’étais peut-être l’agent d’une autre puissance ?
— Oui.
— Et quand je vous ai entreprise au Parisiana, ils se sont dit que c’était une aubaine et vous ont chargée d’en savoir plus long sur mon compte ?
— Exact.
— Seulement lorsqu’une fois dans ma chambre je vous ai posé des questions sur Tepabosco, vous avez bien dû piger, non ?
— Au contraire ma méfiance s’est renforcée. Et voici pourquoi : j’ai pensé que si vous étiez un envoyé des Services secrets français, votre chef vous aurait communiqué mon adresse.
— Alors ?
— Pendant que vous vous trouviez dans la chambre de votre ami j’ai fouillé votre portefeuille et j’ai trouvé dedans une carte de police. Ça m’a paru être la preuve que vous trafiquiez pour une deuxième puissance. Je ne me serais jamais doutée qu’un agent travaillant sous un faux nom et une fausse nationalité conserverait dans ses poches sa véritable carte professionnelle. Je l’ai prise pour un accessoire destiné à vous faire agréer par Tepabosco.
— Ça, je dois reconnaître que t’as pas été bien aspiré, ricane le futur commissaire.
Ayant dit, il croise ses mains de charcutier enrichi sur sa bedaine de prélat repu et dodeline du chef. San-A fait la tronche. À ce qu’on dirait, miss Deuxième Burlingue vient de prendre sa revanche, hein ? Elle me revaut mes sarcasmes de tout à l’heure.
— Les plus vastes génies ont leurs petites misères comme n’importe quel Bérurier, assuré-je.
Sa Majesté soulève un store.
— Y me semble qu’on cause de mon nom ? s’inquiète-t-il.
Ne recevant pas de confirmation il s’assoupit de nouveau.
Je poursuis :
— Vous m’avez secoué mon portefeuille pour me faire croire que vous étiez une petite entraîneuse indélicate, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Et vous êtes allée chez l’ami Lépino ?
— Oui.
— Vous avez prévenu Paulo Chon de votre prouesse ; puis, vous vous êtes dit que par l’autre fille…
Béru, qui s’est à demi réveillé, soupire mélancoliquement :
— Ah ! Prohibition, ça, c’est de la souris !
— Oui, enchaîne Conchita, je me suis dit que vous alliez savoir mon adresse officielle par Incarnation et j’ai envoyé quelqu’un chercher mes effets chez moi.
— Quelle idée ?
— Ma valise comportait un double fond et contenait certains documents. Sous le prétexte des robes, c’était elle que je voulais récupérer. Je craignais que vous ne mettiez la main sur certaines pièces…
— Je vois. Reste maintenant la dernière question. Pourquoi avez-vous alerté les flics après vous être enfuie de chez Juan Lépino ? À ce moment-là il n’y avait plus de doute pour vous : vous étiez sûre de ma qualité d’A.S. français.
— Je n’ai rien alerté du tout.
— Pourtant, nous les avons eus illico sur le râble.
— Évidemment, votre collègue était arrivé chez Juan au volant d’un car de police, c’est un véhicule qui ne passe guère inaperçu !
Elle me sourit, enjouée.
— Vous ne voulez pas un verre de vino avec moi ? À force de parler j’ai le gosier comme de l’amadou.
— Bonne idée ! meugle le Gros.
Nous trinquons tous trois.
— Et maintenant que les mystères passés sont en grosse partie éclaircis, parlons…
— De l’avenir ? gazouille-t-elle.
— Non, chère Conchita, du présent !
— Le temps est venu de faire le point, exprimé-je après avoir vidé mon verre.
Comme Son Énormité a les yeux fermés je lui propose un coup de tatane dans les montants. Il gémit sous le choc.
— Tu dors ! tonné-je.
— Non, je me recueille !
— Alors, prends plusieurs sacs si tu veux tout recueillir.
Amusement de Conchita. Je dépose un mimi mouillé sur la nuque de la gente agente. Je me sens en pleine bourre, comme disait un flic efféminé.
— Vous avez connu notre arrestation tout de suite ?
— Naturellement, car je n’ai pas manqué d’aller chez Chon en partant de chez Juan Lépino.
— Vous avez prévenu le Vieux ?
— Votre chef ?
— Oui.
— Immédiatement. Je lui ai dit que vous étiez dans les mains de Paulo Chon, lequel rusait pour connaître l’identité de l’agent français № 1.
— D’où sa réponse qui ne manquait pas de sel ?
— Oui.
— Et c’est vous qui nous avez jeté la clé des menottes dans le cachot ?
Elle a un froncement de sourcils.
— La clé des menottes ?
— Par le soupirail ?
— Ah ! Oui, naturellement que c’est moi.
— C’est vous également qui avez jeté le revolver par la même voie ?
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