— On joue le tout pour le tout, lui dis-je. Descendons sur la rampe, ça fera moins de bruit. Une fois en bas on rampera jusqu’à la sortie. Advienne que pourra.
Je me mets à califourchon sur la rampe et je glisse silencieusement, d’une seule coulée. Parvenu en bas, je fais signe au Mahousse d’enfourcher la même monture.
Il obéit, mais, parvenu à mi-course il pousse un beuglement féroce, bascule et choit sur un meuble plus ou moins chinois placé contre l’escalier.
Inutile de vous dire que messieurs les poulagas font fissa. Ils sont trois à débouler, revolver au poing, par la porte du living. Ce qui me sauve toujours et en toutes circonstances, vous le savez, c’est mon esprit de décision.
Avant que les trois gars soient sortis, San-A, le vaillant, le superbe, le courageux San-A [9] J’en passe.
, est déjà sur eux, avec pour seule arme, une défense d’éléphant décrochée du mur. Je la tiens par le gros bout et je fonce comme si la fée Carabosse venait de me muer en rhinocéros. Or, si un oto-rhino c’est rosse, un rhinocéros féroce est encore plus rosse. Ma défense d’éléphant se révèle plus efficace qu’une défense d’afficher. Je la colle dans le plastron d’un archer qui en crache son cigare avant de s’effondrer. Un deuxième tire : de trop près car j’ai plongé dans son buffet et le coup ne fait que trouer ma veste. Je vais pour m’expliquer avec le troisième lorsque je constate que, revenu de sa chute, le Gros l’a déjà en main. Il lui fait une prise pour l’obliger à lâcher le revolver. Plusieurs coups partent au plaftard. Du plâtre nous choit sur le dôme. Qu’à cela ne tienne. Le Gros vient de mettre un coup de genou où vous savez au monsieur, lequel pense à sa femme et se met à pleurer pour elle.
La mêlée est confuse. On bille au jugé. Enfin au bout d’un moment la situation s’éclaircit. Nos trois matuches plus ou moins éclopés se tortillent sur le sol.
— Ligote-les solidement ! conseillé-je au Gros.
— Fais confiance, un charcutier lyonnais ferait pas mieux !
Ce sont trois merveilleux saucissons en effet que nous abandonnons. Avec les précautions que vous devinez je mate les abords de la résidence. Tout est O.K. Une voiture de police, sommée d’un phare tournant, est en stationnement devant la porte.
— Arrive ! lancé-je à Béru, ravi de l’aubaine.
— Momente, j’ai enfin trouvé des croquenots à ma pointure !
Effectivement, il se ramène avec des ribouis étincelants.
— Tu parles d’une équipée, mon neveu ! fait-il, jovial.
Frais comme un gardon, notre Fra Diabolique ! On dirait qu’il va faire une partie de pêche avec la bagnole d’un copain.
— Que t’est-il donc arrivé sur la rampe ? je demande en m’installant au volant ? Tu as poussé un cri comme si on venait de te coller un cigare allumé dans le soupirail.
— Y a de ça, gars. T’as pas eu droit à ce clou vicieux qui dépassait de la rampe ? Mais parole, j’ai cru que j’allais y laisser ma livre d’abats sans os !
Je roule un instant, au hasard des rues. Je n’ai pas branché la sirène, néanmoins les autres chignoles s’escamotent sur notre passage. Les poulets des carrefours nous donnent la priorité. Ça durera combien de temps, cette accalmie ? Les écuyers de feu Paulo Chon vont en faire un naze quand ils découvriront que nous avons une fois de plus chouravé un de leur véhicules !
— Dans quel m…r sommes-nous ! soupire le Mastar. Un vrai casse-noix chitête ! je veux dire un casse-tête chinois. On marche sur du sable émouvant, quoi !
J’approuve. En effet, c’est un micmac à vous paralyser la matière grise. Dans l’existence y a des trucs que je ne peux pas supporter. Par exemple les rendez-vous avec des nanas dont je n’ai plus envie ; les bavards qui me racontent des histoires drôles que je connais déjà et les pommes de terre pas assez cuites. On peut y ajouter, à partir de dorénavant, les enquêtes en papyrus où les personnages s’effritent dès qu’on les touche. Où leurs paroles sont aussi illogiques que leurs actes et où leurs destins tournent court dès qu’on commence à les prendre en main.
Ainsi la petite Conchita… Hein ? Admettez que c’est le cas le plus farfelu que j’aie rencontré ? Voilà une môme qui se laisse séduire par le tout beau San-A (ce qui n’a rien de surprenant) [10] J’écris toujours avec des protège-cheville !
; puis qui lui chourave son larfeuille. Une môme qui aide ensuite le même (et de plus en plus beau) San-A à s’évader après qu’il a neutralisé Paulo Chon, et qui se met à lui débiter des salades incroyables, tellement boiteuses qu’un professeur de claudication refuserait de se pencher sur elles, avant de se laisser décapiter la tête entre le menton et le cou, comme dirait un pléonaste distingué. Mais z’enfin ! Mais z’enfin ! Suis-je z’éveillé ou dors-je ?
— Où qu’on va, s’inquiète le Béruroche-à-souliers, voilà trois fois que tu passes devant cette fontaine ?
Vous me croirez si vous voulez (et si vous ne voulez pas, vous aurez tort) mais je ne m’en étais pas aperçu.
— On va retourner sur le terrain de nos premiers exploits ! fais-je brusquement.
— C’est-à-dire ?
— Chez le suifeux.
— Pour quoi fiche ?
— Conchita nous a dit qu’elle avait envoyé chercher sa valise parce que celle-ci possède un double fond, do you remember, boy ?
— Je me le remembre parfaitement, acquiesce le Gros qui commence à parler toutes les langues vivantes, plus la langue de bœuf à l’écarlate.
— Elle prétendait que ladite valise recelait des documents secrets.
— Tout ce qu’elle a pu prétendre, soupire le Gros…
— Sur ce chapitre, je serais assez porté à la croire.
— T’es toujours porté, tézigue, bougonne-t-il.
— Or, poursuis-je, plus pour moi-même que pour cette terrine d’idiot persillée, son copain Rouflaquettes a coltiné la valoche jusque chez le suifeux…
— Et tu t’imagines que si qu’elle aurait contiendu des documents, la môme serait pas z’allée la récupérer ? T’es plus truffé qu’une galantine de volaille !
— Je n’ai pas aperçu la valise dans la maison que nous venons de quitter…
— Elle l’aura portée z’en lieu sûr !
— Cette demeure était sa résidence secrète, où aurait-elle trouvé un lieu plus sûr ? N’oublie pas la cheminée truquée, le poste émetteur clandestin et tout, et tout…
— C’est pourtant vrai, convient mon acolyte.
Et, détendu, il se met à chanter l’hymne des serruriers : « Nous sommes les rois des gonds ». Ayant massacré le premier couplet il se tait.
— C’est marrant, reprend-il au bout d’un instant. On s’imagine les choses et elles ne sont pas comme on croit qu’elles sont.
Paroles sibyllines mais dont le sens caché doit être d’une profondeur infinie.
— C’est-à-dire ? demandé-je.
Il se cure les chicots pour se donner le temps de la réflexion.
— Quand c’est que j’imaginais ce patelin, dit-il, je voyais un bath voilier sur la mer bleue, entre deux cocotiers ; et puis, des bergères habillées d’une poignée de raphia qui faisaient la danse du bide pour t’accueillir…
— T’en es resté à l’époque des flibustiers, Gros. Tu penses affiches d’agences.
— Oui, on a tort. Le monde, maintenant, si tu veux que je te dise : c’est partout une station d’essence et de la réclame pour le Coca-cola.
— Mais tu deviens philosophe ! Tu vas pulvériser Bergson et Einstein !
— Si tu crois que je m’amuse à lire les bouquins de Bernchtein et de Fragson, tu te goures. Moi, mon délassement c’est les bandes dessinées. Ou alors, je potasse mon histoire. J’adore. Je suis férule, tu sais. Le dernier truc d’histoire que j’ai lu, c’est l’assassinat du duc Déguisé. Je me rappelle plus z’en quoi qu’il était déguisé. Mais ce que je peux te causer, c’est de la façon vacharde que le roi l’a fait poinçonner. Ils étaient une ch… avec des lardoires. Même que ça a dû y faire de l’élongation au duc, biscotte le roi le trouvait plus grand que nature.
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