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Frédéric Dard: Ma langue au Chah

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Frédéric Dard Ma langue au Chah

Ma langue au Chah: краткое содержание, описание и аннотация

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Pour tout vous dire, je rêvais depuis longtemps d'aller en Iran… Mais pas dans ces conditions ! Au XX siècle, être obligé de se battre au sabre, c'est surprenant, non ? Mais, croyez-moi, votre San-Antonio se révèle vite un as de cette discipline et les sbires qui se sont frottés à lui, s'ils n'étaient pas déjà des eunuques, ne sont pas près de mettre Casanova en péril. Quant à Bérurier au pays des mille et une nuits (des mille et un z'ennuis, plutôt), c'est pas racontable en page 4 de couverture. Sachez qu'il y a plusieurs façons de donner sa langue au chat… La donner au Chah n'est pas la plus facile, vous allez voir !

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Tu parles qu’ils ouvrent grands leurs vasistas, mes deux malfrats. Ils doivent rêver du grand cassement, de la monumentale chourave du siècle ! Ça survolte l’imagination d’un truand, un déballage aussi pharamineux. On se sent gagner par une sorte d’écœurement, à mater ces pleines cassettes de perlouzes, ces monceaux de cailloux en vrac, ces platées d’améthystes, de rubis, de rugby, de topazes, d’émeraudes. Ces gros machins d’or ciselé. Ces bijoux délicats. Ces orfèvreries massives.

Je branche mes étiquettes sur la converse de la fille guideuse. Elle explique à mes gibiers de potence qu’il y en a pour des milliards de milliards ; que cet amoncellement garantit la mornifle iranienne. Ça vient d’un peu partout et d’ailleurs, cette succursale de la maison Golconde. De l’Inde fabuleuse, de l’Égypte. C’est du résultat de pillages, souvent. De la rapine miroitante. Toujours en ce qui concerne les trésors, les musées, notez-le : de la fauche légalisée postérieurement. Le Louvre, le Britiche Muséhomme : du butin butiné çà et là, conquis d’autor sur les peuples ignorants ou trop faibles pour défendre leurs biens. Comme ça qu’une partie de l’Égypte s’est installée à London ! Que des momies bien peinardes se sont mises à voyager, voir du pays et des flopées de mecs après trois quatre millénaires de dorme dans leur beau sarcophage des dimanches.

— Ces vitrines, explique la guideresse, comportent un agencement spécial. Si on presse un tout petit peu dessus, immédiatement un dispositif d’alarme se déclenche. Les grilles se referment ainsi que les portes blindées, tandis que des sirènes éclatent dans les postes de police des environs. Le tout s’opère en moins de trois secondes. Un choc, une pression et flaoutche, brzzn ! Le local est déguisé en chambre forte impossible à ouvrir…

Elle parle d’abondance, dans un français légèrement zézayant. Tout en l’écoutant, j’observe les deux acolytes. Et alors je m’aperçois d’une chose, les gars. Une chose qui m’accélère le guignol : King, l’Américain, prend des photos en loucedé. La chose est formellement interdite, des avis en multilangues l’annoncent à l’entrée, aussi a-t-il conservé son appareil à l’épaule, comme les autres visiteurs. Seulement ce petit dégourdoche utilise un charmant gadget niché dans la poche supérieure de son veston. Ça ressemble à des lunettes de soleil munies d’une grosse monture. L’un des verres dépasse de la poche. Là-dedans qu’est placé l’objectif. L’ex-taulard l’actionne en pressant une branche des besicles.

« Clop-clop ! » Il tire des clichés à la pelle. Mac King ! Un vrai documentaire. Et ça ne fait pas de bruit. Comme les vitrines sont illuminées a giorno, il a pas besoin de se casser la nénette avec un flash. Il tourne autour des diadèmes (mieux vaut tiare que jamais), seulement c’est pas la camelote qu’il mitraille, mais son écrin.

Dites donc, il a eu le nez creux, le Dabe, dirait-on ! Toujours cette bonne vieille jugeote sagace ! Toujours ce sixième sens qui lui remplace les cinq autres ! Tout de même, j’ai peine à croire que nos deux zèbres comptent s’attaquer aux joyaux de la couronne iranienne. Un morcif pareil, c’est pas du boulot entreprenable ! Faudrait au moins une guerre pour le réussir. Un bombardement atomique ! Une armée d’espécialistes ! Prof, malgré sa belle science infuse, il se casserait les bridges sur un os aussi dur.

J’attends encore un brin, et puis je décide de laisser quimper, histoire de ne pas leur éveiller l’attention, à mes messieurs. D’accord, dans ces circuits touristiques, on croise les mêmes gens aux mêmes endroits, néanmoins il vaut mieux jouer de prudence.

Lorsque je rabats à la voiture, Béru achève de consommer ses yaourts. Il a des traînées laiteuses plein sa chemise mauve.

— Et le chauffeur ? je lui demande.

— Il est en train de causer avec celui de l’autre bagnole !

Je klaxonne trois ou quatre coups brefs pour rappeler notre homme à ses fonctions. J’aime pas qu’il aille tailler une bavette avec son confrère du second groupe. En bavardant, il risque de lui dire qu’on les file depuis plusieurs heures, car notre mentor s’est probablement aperçu de la chose. Le voilà qui rapplique, l’air maussade, tout chafouin derrière ses lunettes.

— Vous ramenez mon ami à l’hôtel ! lui dis-je. Moi j’ai des achats à faire en ville.

Béru ne proteste pas. Il préfère paresser dans la douce climatisation du Hilton en éclusant des trucs aussi glacés qu’alcoolisés.

Je regarde disparaître la tire dans l’avenue brûlante. Ensuite de quoi je me mets en quête d’un bahut. Y en a plein Téhéran. Ils sont tous peints en orange et ce sont pour la plupart de vétustes Mercedes qui doivent filer des complexes sévères aux touristes germanoches.

L’un d’eux répond a mon geste et se range en ferraillant le long du trottoir. Il fume comme l’antre d’un alchimiste.

Son conducteur est un grand type maigre et soucieux. On comprend les raisons de ses tourments lorsqu’on prend place dans son bolide. Il y a une couverture constellée de trous et de taches sur la banquette arrière pour en dissimuler les ressorts et un gros arrosoir plein de flotte occupe la place libre à l’avant. Le véhicule (il mérite encore tant bien que mal ce qualificatif) sent le caoutchouc carbonisé et la crasse. M’est avis que Césarin est allé le piquer dans un cimetière de bagnoles et qu’à force de patience et d’ingéniosité, il est parvenu à le ressusciter. Pas pour très longtemps, je gage, mais enfin le propre des miracles c’est d’être brefs, non ?

— Où allez-vous, sir ? me demanda-t-il en un anglais qui mettrait Charles de Galles dans l’embarras.

— Nulle part pour le moment, mon ami. Je vous ferai signe lorsqu’il faudra démarrer.

Là-dessus je prends place dans son piège à comte. Ça se dérobe sous mes miches. Je me retrouve avec les noix quasiment au plancher et le regard au-dessous de la ligne de flottaison. Pour mater à l’extérieur, faut que je m’assoye en tailleur.

Le chauffeur profite de ce temps mort pour cramponner l’arrosoir et abreuver son radiateur fumant. Un grand jet vaporeux monte dans l’air surchauffé à la gloire de Denis Papin. Une vingtaine de minutes s’écoulent avant que mes « clients » ne réapparaissent.

— Vous suivez l’auto qui est devant nous, please ! dis-je au fabricant de vapeur.

Il me défrime d’un œil mécontent.

— Pourquoi ? demande-t-il.

Il est des moments où les mots perdent toute efficacité et où l’urgence de la situation vous incite à les remplacer par des actes.

— À cause de ça ! déclaré-je en lui filant un billet de cinq cents riais.

J’ai un peu trop forcé la dose. Cinq cents riais correspondent à environ trois mille anciens francs. Un pourliche de cette ampleur, il en a jamais entendu causer, Césarin ; même dans les contes des « milunenuits » on signale rien d’équivalent.

— Il faudra vous rendre combien là-dessus ? s’inquiète-t-il.

— Vous garderez tout si vous ne vous laissez pas distancer ! Mais démarrez, bon Dieu !

Il décarre sur les bouchons… de radiateur.

Maintenant qu’ils se les sont farcis, les z’hauts lieux téhéraniens, je suppose qu’ils vont regagner notre Royal Hilton commun, les mystérieux associés ? Téhéran, je veux pas en médire, mais c’est pauvret en fait de pittoresque. Une grande ville mesquine, avec des boutiques médiocres, des avenues qui s’étirent à l’infini entre leurs ruisselets chargés d’irriguer de frêles arbustes blancs de poussière…

On en a vite classe. Les immeubles sont banals et de pauvre qualité. Même le centre de la ville ressemble à une banlieue morose. Au cœur de la cité s’élève un gigantesque building mal fini, où personne n’ose s’installer. La voiture de mes loustics contourne la triste construction dont la hardiesse a quelque chose d’affligeant.

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