La seconde M meBlack hausse les épaules et me mimique un truc éloquent, genre « Faut se la faire ». Après quoi elle m’annonce qu’elle a des steaks épais comme ça dans son frigo et me propose de bouffer avec eux, ce que je m’hâte d’accepter comme bien vous pensez !
— Parfait, parfait ! dit alors le vigile. Vous allez m’excuser, Tony, mais je vais aller prendre ma douche et passer des fringues civiles.
Il vide son verre et se barre. Sa bonne femme bis l’imite comme quoi elle va ouvrir une boîte de haricots noirs (made in Brazil) pour accompagner la bidoche. Je me retrouve donc en tête-à-tête avec la princesse Tête-à-claque. On s’entr’examine sans se faire de cadeau et sans dissimuler l’antipathie qu’on se porte.
— Je parie que vous devez avoir un sexe terrible ? me virgule brusquement la donzelle.
Commak, à brûle pourpoint. Y a des bergères qu’ont de l’audace, non ? Moi c’est la first fois qu’on m’entreprend aussi abruptement.
— Ça dépend du point de vue auquel on se place, je réponds, non sans avoir pris la précaution d’avaler ma salive et de me garnir les soufflets d’oxygène neuf. Si c’est pour offrir à une dame normale, c’est un cadeau qui produira sûrement son petit effet ; mais si c’est pour votre usage personnel, ça risque de faire pauvret dans le hangar à sous-marins que je vous suppose.
C’est tourné, hein ? Du madrigal surchoix, style San-A. La pouf au père Black en reste indécise durant un laps d’étang qui ferait son tour de cadran sur la trotteuse de votre chrono. Et puis elle rit, d’un large rire ammoniaqué, silencieux et acerbe.
— J’ai rarement envie d’un homme, me dit-elle après un instant de réflexion. Je trouve « ça » barbant dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas. Il me semble au début que je vais y prendre plaisir, mais il ne se passe rien. Pourtant, avec vous, ça m’amuserait d’essayer…
— Moi, ça ne m’amuserait pas, assuré-je.
Elle fronce les sourcils.
— Ah non ?
— Non.
— Je vous dégoûte ?
— Pas précisément, mais quand je veux faire joujou je me sers de cartes plutôt que de mon sexe. En France, on a une foutue marotte : on prend l’amour au sérieux, même lorsqu’il s’agit d’une expérience en passant.
Là elle cligne des yeux à plusieurs reprises, comme le fait André Malraux lorsqu’il oraison-funèbre devant les caméras de la téloche.
Et puis elle se dresse d’un bond et vient à mon fauteuil. La môme Julia a un geste fulgurant. J’ai pas le temps de réagir que déjà elle m’a empoigné le métronome à tête chercheuse. Le héron qui fond sur une tanche, mes gamines ! O, la prestesse de cette prêtresse ! Moi, sombre pomme, je me débats. Pas que je sois d’un naturel farouche, vous me connaissez ? Seulement se faire violer dans la salle à manger d’une honnête famille ricaine par la grande fille de la maison, c’est téméraire, pas réglo pour un cent !
Supposez que le gros Black se pointe au milieu de la séance, y aura fiesta à Miami Beach, mes trésors. Il me défouraillera dessus à bouc portant, le vigilant vigile. Pan, pan, pan ! Légitime défense ! Mort au sadique ! Dans mon oraison funèbre on m’appellera « l’odieux personnage ». Ou p’t’être que le méchant rouquin me refilera à la rousse au lieu de me tuer. Vous la voyez tourner en eau de boudin (si je puis dire) la périlleuse mission du San-A. ? Échec pour cause de radada ! Le Vieux en crèverait de rage.
— Eh, dites donc, en voilà des malfaçons ! j’égosille en essayant de faire lâcher son os à cette panthère. Non, mais sans blague, vous êtes hystéro, ma gosse !
Je la refoule. Elle s’acharne. Ses dents font le bruit d’un diamant de vitrier tranchant une plaque de verre. On lutte ! Je peux pas user de violences. Elle, soucieuse de conserver sa proie, la cramponne à deux mains (y a assez de prise pour, notez bien, et même il reste de la place vacante). Plus elle pétrit la pâte, plus cette dernière lève, c’est normal. Comprenez qu’en la rebuffant je la pousse à serrer et qu’en accentuant sa pression elle renforce la solidité de son point d’appui. Terrible dilemme.
— Barbara ! elle crie brusquement.
J’en morfle des sueurs instantanées. La transpirance me dégouline le long de la raie médiane. Le récit de coups fourrés amerloques me jaillit en mémoire. Des histoires de chantage. De gonzesses qui vampaient un jules et qui, en pleine action, hurlaient au viol pour faire raquer ce pauvre melon ! Je me dis qu’il est urgent que je retrouve mon indépendance. Remarquez que c’est un mythe, l’indépendance. La véritable indépendance consiste seulement à dépendre de qui on veut ! Mais c’est pas le moment de philosopher, vous vous en doutez.
Je me redresse avec la môme toujours agrippée à ce que je vous ai dit. Trop tard ! La porte s’ouvre. Barbara surgit. Elle regarde. Je m’attends à une beuglante ! La méchante clameur d’alerte ! Mes trompes d’eustache se préparent déjà à des stridences affreuses, à des trilles perforateurs, à des trémolos apocalyptiques !
Eh ben non, mes vaches ! Non, mesdemoiselles, non, messieurs ! Rien de tout ça. Au lieu de l’appel au secours appréhendé, je ne perçois qu’un rire. Un gloussement !
La dame Black se précipite à la curée (d’Urufe). Ses mains entrent en action également. Une bouche vorace écrase la mienne. J’ai un goût de rouge à lèvres dans le clapoir. J’étouffe. On me pétrit tout, partout, savamment. On me dénude en partie (mais quelles parties ! Ce sont des parties prises !). On m’entreprend ! Je ne lutte plus : je cède. Mieux : je participe ! Une action folle ! Philippine ! Vive la France ! Tant pis pour le gros Black. L’a qu’à vigiler chez lui, au lieu de jouer les garde-pèze chez les crésus’men. Il appartient à cette race de paumés qui molestent à l’extérieur et qu’on moleste chez eux. Entre sa grande fille et sa petite femme enflammées du baigneur, il est paré pour la veine. La route du tiercé lui est ouverte à doubles battants !
Ce qu’elles manœuvrent en hardiesse, les dames Black ! Et quelle mise en scène géniale ! Rouleau ferait pas mieux, je démens. À aucun moment de leurs effervescences elles ne se percutent. Pas le moindre heurt, mes amis. Ça fonctionne dans un bain d’huile, leurs chatteries. La fille qu’a de la suite dans les idées pernicieuses s’occupe de la région subéquatoriale, tandis que belle-maman se consacre à la partie supérieure. Une drôle de ravageuse, dame Barbara. Barbare en vrai, je témoigne ! Se fait célébrer une tyrolienne de force. Te place le corpus délit d’autore sur ton appareil à jouer de l’harmonica. Elle pivote de l’Aquitaine. Cette partie de babines, ma doué ! Je la pratique en plusieurs langues.
Moi, prince souverain du clito-chanté, je m’en donne à cœur joyce. Lui interprète les chœurs de l’Armée Rouge à moi tout seul. La menteuse m’en fourche. Certains prétendent avoir un bœuf sur la langue, moi, c’est un bovidé femelle ! Et ce qu’elle aime ça, la chère madame ! À se demander ce qu’elle branle avec son gros sac de Black ! Car c’est sûrement pas ce baril de bière qui lui cause un tel dialecte ! Avec le cataplasme qui lui emplit le groin, il pourrait pas seulement coller un timbre, le vigile !
Curieux comme belle-maman et grande fifille s’accordent magistralement ! Des duettistes superbes ! L’oignon fait la force. Elles te me domptent ! Me surmontent ! Me montent ! Avec ces gentilles furies, il n’est que de se laisser porter par le sens de l’histoire. Le principal avantage d’être violé, c’est qu’on n’a pas à prendre d’initiative. Les agresseurs font tout le boulot. Céder est la meilleure des détentes. Je me détends.
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