Frédéric Dard - Emballage cadeau

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Généralement, l'éditeur demande à l'auteur de pondre un texte vachement alléchant pour placarder à cet endroit.
Moi, à force, ça me fait tarter, ce batelage de foire. Que si ça continue, je te vous fous la photo en couleurs de mon scoubidou-verseur à la place du bla-bla demandé. Pas grandeur nature, évidemment, le format permettrait pas !
Si vous avez pas confiance dans la munificence de ce livre, si vous êtes pas intim'ment con-vingt-cul que l'histoire ci-devante est pleine de coups de théâtre, de gonzesses habillées d'un timbre-poste, de descriptions à la mords-moi le neutron et de calembredouilles, alors finissez de me tripoter avec vos mains sales, reposez-moi sur le rayon où que vous m'avez pris et foncez dans le fond du magasin acheter la vie de sainte Tignasse de Loyola.
Je veux plus mettre ma prose en vitrine, moi !
J'ai ma dignité, moi ! Ou en tout cas je fais comme si !

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— Savez-vous comment fut assassiné Trotsky ? nous demande-t-il à brûle-pourpoint.

La question nous déconcerte. Je réponds que j’ai oublié, quant à Béru, il demande qui est Trotsky. La Relique se verse un nouveau goduche et déclare.

— Trotsky s’était réfugié dans la banlieue de Mexico. Sachant que Staline voulait le faire assassiner, il se terrait dans une maison transformée en forteresse et pleine de gardes du corps. Une nuit, un commando de tueurs est arrivé, a neutralisé ses gardiens, et a tiré plus de deux cents balles de mitraillette dans la chambre de Trotsky.

— Tu parles qu’il devait être déguisé en hamburger, ton trotte-ski, ricane le Gros.

Pinuche sourit :

— Pas une égratignure ! L’attentat a été un fiasco complet. Seulement, quelques mois plus tard, un de ses familiers lui a fracassé le crâne d’un coup de piolet, dans son bureau. Comme ça, calmement, à tête reposée, si je puis dire. Comme quoi, dans ces cas-là la ruse est payante, et non la force.

J’opine.

— Je suis parfaitement ton auguste pensée, César. Mais le moyen de devenir le familier d’une maisonnée pareille, dis voir ?

— Tu ne m’as pas compris, maussade-t-il.

— Alors fais-moi un dessin, noble vieillard démantelé.

— Ne pourrait-on s’allier à un familier ?

— L’argument d’une telle alliance, please ?

Le cher débris branle son chef de sous-chef de gare en retraite.

— L’argument, San-Antonio ? L’argument ? N’avons-nous pas des dollars à revendre ? Donc, à donner ?

CHAPITRE II

Black quitte son service à six heures du soir. C’est le plus âgé des vigiles ; le plus dodu aussi. Il trimbale une brioche par-dessus son ceinturon de cuir susceptible de concourir avec celle de Béru pour le prix du plus bel ancien bébé in the world. Pas de cou ! Sa grosse tronche rousse parsemée de fils gris est directement posée sur ses musculeuses épaules.

J’ai pas besoin de l’approcher pour savoir son odeur. Il pue le rouquin, Black. Le gros rouquin suant, et ça se complique d’une odeur de vieux cuir. Les gus de son gabarit sentent tous plus ou moins l’écurie. C’est sur ce personnage aux petits yeux délavés, aux bajoues constellées de taches brunes, dont la chemise déboutonnée jusqu’au nombril laisse échapper d’énormes touffes de poils blancs que j’ai jeté mon dévolu.

C’est pas qu’il a l’air commode, Black. Oh, que non ! Il regarde ses contemporains avec des yeux de flic auquel on vient de faucher son bâton blanc en plein carrefour. C’est son poids qui m’a décidé. Les hommes, plus ils sont mahousses, plus ils sont vulnérables. Question de volume. Les énormes offrent une plus belle cible que les maigrichons. C’est mathématique, dans le fond, comme conception. Une citrouille est plus fastoche à flécher qu’un melon.

Quand il quitte son boulot de chien de garde, au paradis des milliardaires, il grimpe dans une vieille Oldsmobile en haillons dont la couleur n’est plus très discernable, et il rentre chez lui, loin derrière les palaces, dans une banlieue en forme de fête foraine, pleine de motels peinturlurés, de marchands de hot-dogs dans des roulottes climatisées et de stations d’essence bourrées d’oriflammes qui turbulent au vent du large.

Chaque soir, le gros rouquin arrête sa tire devant un bar tenu par un rital à tête de corbeau triste. Mia Napoli, ça s’appelle. En permanence, un pickup joue les classiques italiens, genre O sole mio. Des fiasques de chianti sarabandent au-dessus d’un vaste comptoir en fer à cheval. Le fond du rade est garni d’une immense glace mitée tout autour de laquelle on a collé des photos de boxeurs aux noms italoches, qui matent la clientèle avec des yeux farouches, pardessus leur garde haute.

Black entre d’une démarche lourde, le bide pointé comme le museau d’un canon de marine. Il se perche sur un tabouret en forme de selle, dépose sa casquette sur le zinc et torche son front en sueur d’un revers de coude. Sans un mot, le loufiat plaque une bouteille de bière devant le gravos qui la boit au goulot, à longs traits, en faisant danser dans son cou de taureau une glotte grosse comme une balle de tennis.

— Ça va mieux, hein ? lui lancé-je après qu’il a reposé la bouteille vide sur le rade.

Il me virgule un regard en tire-bouchon et ne répond rien. À priori, c’est pas un liant.

L’Italien lui annonce une seconde boutanche. Black l’empoigne, mais hésite à l’entonner. On dirait qu’il cherche à se rappeler quelque chose d’important avant d’écluser. Sa concentration lui facilite l’émission d’un rot phénoménal. C’était tout ce qu’il avait à dire. L’objet de sa méditation. Son message. Douze lions en furie qui rugiraient en même temps ne peuvent donner qu’une idée approximative du bruit produit par un rot de Black.

Béru qui fait le 22, dehors, pendant que Pinuche dégonfle les pneus du colosse, passe une tronche effarée par la porte ouverte. Il est battu, le Mastar, question borborygme. C’est le K.O. debout. Le gnon au bouc, imparable. La dévalade aux abîmes. Quand t’as entendu un rot de cette ampleur une fois dans ta vie, tu dois déclarer forfait. Inutile de vouloir compétitionner, ce serait la faillite. Tu peux avaler du bicarbonate, boire de la limonade, manger des radis, y a pas de recette, t’as touché le sol des deux épaules !

Le vigile engloutit sa seconde bière et jette une pièce sur le zinc. Pas un mot n’a été échangé entre lui et le louf. Rien qui fasse mieux économiser la salive que l’habitude. Le gros garde recoiffe sa bâchouze en descendant la visière bas sur son front de bouvillon.

Il lâche un chouette pet en descendant de son escabeau et sort, avec le gars mézigue sur ses talons (plats).

Oh ! la poire du monsieur lorsqu’il avise sa tire abaissée de vingt centimètres ! On a l’impression qu’elle s’est assise, l’Oldsmobile. Imaginez la table de votre salle à brifer dont on aurait scié les panards ! Black, c’est pas exactement un cérébral. Il pense à coups de pioche, comme on creuse une tranchée. Je l’aide à se défouler en entonnant une bramante. Vous me verriez égosiller dans le soleil, vous croiriez que je viens de décrocher un first prix du Conservatoire.

— Ah ! les voyous ! hurlé-je. Les petits salopards ! Regardez, mon pneu avant. Et les quatre vôtres, mon pauvre vieux ! À moi ils n’ont pas eu le temps. C’est de la graine d’assassin ! On devrait les foutre dans un pénitencier, ces sales mômes ! Leur faire casser des cailloux jusqu’à la majorité de leur arrière-petits-enfants ! Quelle époque !

J’ai tort d’escrimer, vu que ça ne lui stimule pas les cellotes pour autant. Il gamberge au ralenti, Black. Faut que la réalité se faufile jusqu’à son entendement, qu’elle l’investisse bien, prenne sa place, y trouve des points d’appui. Et alors seulement il barrit. On se croirait transporté dans le Livre de la Jungle ! En plein Kipling !

— BruIIIIIIIIit ! il fait, Black.

Textuel. BruIIIIIIit ! Je lui croyais pas un organe à ce point perçant. Comment peut-on être aussi perçant ? se demanderait Montesquieu. Mes tympans se recroquevillent comme les orteils d’un facteur rural par moins 20° !

Joignant le geste à la clameur, il se rue en avant, Black. Il voudrait casser quelque chose, ou plutôt quelqu’un. Le casser menu. En faire du petit bois, de la ouate, de la fibre. Il arrache sa casquette ! Il la mord ! Il piaffe ! Et ses coups de semelle font frémir l’écorce terrestre dans un rayon de dix miles. Des juke-box se déclenchent tout seuls. Des enseignes au néon éclatent. Des vitres se fendillent. V’là la grosse enflure qui se met à boxer le vide. Te fout K.O. dix mètres cubes d’air en dix secondes ! Le ceinturon lui en craque. Des boutons pleuvent de lui comme des pêches mûres dans la vallée du Rhône un jour de mistral.

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