Un temps.
— Vous ne suivriez pas un monsieur que vous appelez papa, vous ? Si ? Bravo ! Maurer embarque donc son mignon beau-fils. Vous comprenez ce que je vous explique là, San-Antonio ? Vous avez beau n’être qu’un subalterne, vous pouvez suivre, non ? Parfait ! Le vilain kidnappe ce chérubin et abandonne ensuite l’auto de Formide après y avoir glissé les vêtements de cet ange. Crime parfait ! Oh ! le sale salaud ! Des hommes pareils ! Jouer avec le cœur d’une malheureuse mère !
— Et après, monsieur le directeur ? questionné-je d’un ton angélique (Marquise des Anges).
Le vieux matamore semble pondu par sa rêverie hallucinante, il en sort comme un veau du ventre maternel, ahuri et visqueux.
— Quoi, après ?
— Qu’a-t-il fait de l’enfant ? Qu’en a-t-il fait pendant les deux années qui viennent de s’écouler ?
Le Dirlo, furax, met ses mains sur les hanches.
— Non, mais écoutez-moi ce grand pendard qui se paye la tête de son monsieur le directeur ! En pleine gauche au pouvoir ! Une tête qui ne tient encore aux épaules que parce que le fer du sabre était aiguisé au point de pouvoir fendre en deux une tige de muguet. Non, mais merde, mon garçon ! Et même merdre, comme dirait Jarry que tout le monde cite mais que personne ne lit. Futé, va ! Vous le savez, vous, où il a caché le gosse ?
— Oui, monsieur le directeur, puisque j’ai récupéré Julien.
— Très bien, donnez votre langue au chat et dites-le !
— En Belgique, monsieur le directeur, où Maurer possède une vieille maison de vacances qui lui vient de sa famille originaire d’Anvers (qui vaut l’endroit !).
— Et qui donc le gardait, ce petit moutard de mes fesses ?
— Au début, une vieille bonne flamande à demi gâteuse qui ne parlait pas français et ignora tout de l’affaire. Elle est décédée l’an dernier et alors c’est Mlle Courjus, la dévouée secrétaire-maîtresse de Maurer qui l’a remplacée. Belle histoire d’amour, patron. Cette fille stoïque, qui fut aimée un temps par son patron et qui, ayant cessé de l’être n’en resta pas moins fanatisée par celui-ci, au point de devenir sa complice. Elle quitta la société des Garages et se voua au petit Julien. De temps à autre, Maurer allait la relever pour qu’elle puisse faire des voyages à Paris. Marie-Marie qui est allée là-bas et a tout découvert, assure que le petit vivait dans le confort et que cette demoiselle Courjus l’entourait de soins vigilants, pas vrai, ma poule ?
— Cesse de m’appeler ma poule, surtout quand il y a du monde ! rebuffe-la Musaraigne.
— J’ai vu clair dans ce pot de ténèbres lorsque, l’autre jour, craignant que je renifle la vérité, Maurer a prétendu avoir à l’époque répondu à un chantage de Formide dans des circonstances identiques à celle dont usa le fou pour arracher du fric à la mère. Je sais reconnaître, à l’oreille, le cristal du verre blanc, monsieur le directeur, le mensonge de la fable. Ce type me bourrait la caisse. Partant, j’ai tout compris.
Le Vieux me tapote l’épaule.
— Vous avez parfaitement répondu à mes questions, l’ami. Je ferai quelque chose pour vous lorsque la droite reviendra. Maintenant, je vous révèle le mobile de ce rapt singulier ou vous essayez de le deviner tout seul ?
— Je vais tenter de trouver, réponds-je charitablement. Pour avoir vu un moment vivre le couple Maurer, je pense tout simplement, monsieur le directeur, qu’il s’agit, là encore, d’une histoire d’amour. Drame de la jalousie. La demoiselle Courjus est folle de Maurer, mais Maurer, lui, idolâtre son épouse ; les hommes sont pleins de folles contradictions. Il mourait de jalousie en voyant l’amour qu’elle portait à son enfant. Il a préféré la voir malheureuse que nageant dans la félicité maternelle. Je pense qu’il saura nous expliquer cela car il paraît intelligent, le bougre.
On carillonne à la grille. Je coule un coup de périscope par la fenêtre.
— Ah ! voilà la maman ! dis-je. J’espère que sa joie sera plus grande que sa peine.
Le Vieux regarde, bondit.
— Tudieu, mon ami, mais elle est ravissante, et même jolie, que dis-je : belle à crier. Attendez, je vais l’informer moi-même de ce grand bonheur indicible que je lui apporte. Vous, vous lui révélerez le crime odieux de son époux.
Il sort avec tant de précipitation qu’il en renverse sa chaise et ne la relève pas.
Là-dessus, le téléphone bouzigue et je vais décrocher.
Je reconnais l’organe affaibli et bêlard de Pinuche.
— Alors, où en es-tu, la Vioque ? questionné-je.
— On vient de me ramener chez moi, répond la Relique de sa voix d’outre-tombe.
— Parce que tu agonises ou parce que tu es guéri ?
— Je suis guéri. Le docteur m’a certifié que je n’aurai jamais plus d’hémorroïdes, ç’a été atroce, mais radical.
— Tu feras breveter la recette, La Pitié, ta fortune est faite.
Il ne réagit pas à la boutade, étant trop préoccupé pour déguster mon esprit délicat.
— Je viens de lire la presse de ces derniers jours, alors on n’a toujours pas retrouvé Formide ?
— Il semble s’être volatilisé après avoir éventré une chauffeuse de taxi et une marchande d’électroménager. J’en arrive à me demander s’il ne serait pas allé se balancer dans la Seine en fin de compte.
— Tu as interrogé Toinet ?
— Comment cela ?
— Dis-toi bien une chose, Antoine, c’est que Formide ne peut rien faire sans Toinet. A la lumière de ce qui s’est passé, si ton fou parvient à se cacher c’est parce que ton garnement lui a trouvé une planque.
Je ricane.
— Une planque ! Il faut bien qu’il bouffe, non ? Et le gosse ne bouge plus d’ici.
— Une planque où il peut lui apporter à manger, rectifie l’ancêtre.
Il se met à crier des « Allô ! Allô » dans le combiné que j’ai laissé pendre comme une belle truite sombre au bout de son fil. Je cours à corps machin, à perdre chose, jusqu’au petit pavillon au fond du jardin…
Et tu sais quoi ?
Oui, tu sais ?
T’as gagné !
Effectivement, Formide s’y trouve. Il tient Toinet sur son genou droit, Julien sur son gauche, et il est en train de leur raconter « Barbe-Bleue ».
FIN
Je constate que les astuces relatives à l’expression « branler le chef » constituent une constante chez San-Antonio. Moi qui ai lu toutes ses œuvres, j’en ai dénombré seize mille trois cent huit.
Jean-François REVEL de l’Académie française.
Pour varier un peu, j’ai écrit San-Antonio en mettant les consonnes d’un côté et les voyelles de l’autre, ça ne fait chier personne et ça m’amuse.
C’est à des astuces de ce genre, hermétiques pour le con analphabète, et seulement perceptibles par le con instruit, qu’on mesure la culture de San-Antonio. Alfred de Musset, entre autres z’œuvres a écrit « Il ne faut jurer de rien. » Si on se rapporte à l’expression « T’as le bonjour d’Alfred ! », la phrase s’éclaire et le con lettré condescend (il ne peut pas toujours monter) à sourire. Merci, San-Antonio !
Le Canard Donald (Reagan)
Comme cette phrase ferait souffrir le bon Roger Peyrefitte, si puriste de partout, si magistral manieur de la langue française. Heureusement qu’il ne me lit pas !
San-A.
Je sais bien qu’on ne s’excuse pas, mais qu’on prie quelqu’un de vous excuser, seulement quand t’écris en bon français les lecteurs débandent.
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