— Chiche que je fais ce que tu m’ordonnes, petit prince !
— Vrai ! s’exclama le moufflet, rayonnant.
— Je ne te demande que quelques minutes pour terminer quelque chose. Réfléchis à notre plan d’action pendant ce temps.
Et Formide retourna se boucler dans la salle de bains où la droguiste tentait de se libérer des bandes Velpeau avec lesquelles le fou l’avait ligotée. Fidèle à sa nouvelle méthode, Bruno lui avait plaqué sur le museau une autre bande de sparadrap.
— Je vous fais attendre, pardonnez-moi, dit-il. C’est le gosse… Bon, où en étions-nous ? Ah ! oui…
Il ramassa la pièce de toile cirée amenée dans la salle d’eau et la noua à son cou, telle une immense serviette. Ensuite, il enfila des gants de caoutchouc, vendus en « promotion » par la boutiquière.
— Comme vous l’aurez sans doute remarqué, j’ai empli le bidet de fumant. Maintenant, je vais vous plonger la tête dedans. Cela va être un moment franchement atroce pour vous, j’en conviens, mais la fascination par l’horreur est d’une qualité unique, chère madame. Je ne pouvais laisser échapper pareille occasion.
La perspective d’une telle abomination survolta la droguiste. Elle eut un sursaut qui lui permit de se dresser à demi. Formide la repoussa du pied. Elle hurla. Le son étouffé par le bâillon ressemblait à la plainte d’un animal en tuage. Le fou la plaça sur le ventre et l’enjamba de manière à la maintenir entre ses mollets serrés.
Ensuite de quoi, il lui souleva le buste pour amener le visage de la commerçante à la hauteur du bidet plein.
Les vapeurs sulfureuses agressèrent les muqueuses et les yeux de la femme. Formide se retint de respirer. Il cueillit sa victime par les cheveux qu’elle portait longs, assurant bien cette tête au bout de ses pattes en forme de serres, et doucement enfonça la figure dans l’acide. Il sentit les soubresauts de la malheureuse grimper le long de son corps. Il y eut un effroyable bouillonnement, des odeurs sans nom. Et puis des bulles dans ce foisonnement.
— Je vais compter, pour passer le temps. Compter les secondes, annonça Formide. A la manière des parachutistes : zéro zéro un, zéro zéro deux, zéro zéro trois.
A zéro zéro trente-huit, le corps de la droguiste s’abandonna. Ce fut la mort qui, cette fois, escalada les longues jambes de Bruno Formide. Il compta néanmoins jusqu’à zéro zéro soixante car sa formation pédagogique l’incitait à se montrer méthodique.
Ayant assuré un bain de face d’une minute, il retira délicatement la tête pantelante du bidet. La figure de la commerçante était brûlée atrocement, rongée, rouge vif, énucléée, sanieuse. Formide eut un haut-le-cœur et se hâta de coltiner le cadavre jusqu’à la douche. Il le plaça en tas dans le bac de faïence, recouvrit la tête d’un linge de toilette puis ferma le volet pliable.
Après quoi, il se débarrassa de ses gants et de la toile cirée avant d’aller rejoindre Toinet. Malgré ses précautions, quelques fâcheuses éclaboussures commençaient à consteller le bas de sa jupe de trous de mite et une tache démangeante rongeait son avant-bras. « Les risques du plaisir », songea le dingue avec philosophie.
Le gamin jubilait.
— J’ai tout préparé, c’est au poil, Brunoche ! Tu vas m’en dire des nouvelles, mon mec ! Même dans les Jame Bonde t’auras pas vu ça !
— Vite ! Vite ! Téléphone, commissaire ! trépigne l’agent Bambois, laissé en faction auprès de ma chignole.
J’accélère au volant de la voiture phonique. Bondis à ma guinde.
— Allô, oui ?
— Bon, eh bien me voilà. Qu’aviez-vous à me dire ?
Il a une voix guillerette, l’artiste. Pas impressionné du tout. A croire que tout ce bigntz l’amuse prodigieusement.
— Écoutez, prof, il est indispensable que vous larguiez le gosse à présent et que vous vous rendiez. L’affaire a pris des proportions qui échappent à mon contrôle. Grâce aux écoutes, ils vous ont à peu près situé et l’ordre a été donné de vous abattre sans sommation si vous avez touché à Antoine. N’attendez pas que l’assaut soit donné, mon vieux, la récré est finie, comprenez-le gentiment. Amenez-vous en compagnie du petit et tout se passera au mieux.
Mon discours semble le divertir, car il éclate de rire.
— Cher commissaire, terminer aussi piètrement cette belle odyssée, vous n’y songez pas !
Je dénoue le col de ma chemise.
— Tu proposes quoi, Bruno ?
Voilà que je reprends le tutoiement. Je yoyote, non ?
— Que vous débarrassiez le plancher, tous, si vous voulez revoir le gamin vivant. Tenez, je vous le passe.
Pinuche dans son accoutrement d’Écossais hémorroïdique se met à faire de grands gestes depuis le trottoir d’en face. Je riposte par un début de bras d’honneur. Pas le moment qu’il me les émiette, le vieux daim.
Le Rouillé est resté au volant de l’auto-aboyeuse. Béru bouffe ses cochoncetés à l’arrière, abîmé dans la boustifaille.
La Vieillasse ne tient pas compte de mes rebufferies et continue de me héler du geste.
— MERDE ! lui crié-je en obstruant l’émetteur.
Pincé, l’Ancêtre traverse la strasse pour m’affronter. Il a la démarche noble, malgré son accoutrement, avec un beau visage de plénipotentiaire au-dessus de tout soupçon.
La voix d’Antoine me gazouille dans la trompe droite :
— Salut, le grand, ça carbure ? Alors, tu nous as dénichés.
Gai comme le printemps, ce petit fumelard. Il me la copiera : passer à l’ennemi de cette manière désinvolte, se payer ma frime, en sus. « Note bien, me chuchote mon subconscient, toujours sur le qui-vive, que seule une pareille attitude pouvait lui sauver la vie. C’est en entrant dans le jeu du fou qu’il est parvenu à le conjurer, du moins pour ce qui le concerne lui, Toinet. »
Le gamin continue :
— On t’a vu passer dans ta chignole, t’t à l’heure, on aurait dit que tu f’sais la retape pour un cirque !
— Écoute, Toinet, tu es très pote avec Bruno, j’ai cru comprendre ?
— Les deux doigts de pied de la main ! pouffe le poulbot.
— En ce cas, tu veux bien user de ton influence pour lui conseiller d’arrêter l’opération école buissonnière ?
— Il n’est pas d’accord, le grand. Quand je lui cause de ça, il devient bizarre et me regarde d’un œil pas gentil : tiens, en ce moment il joue le grincheux. Allez, Bruno, pousse pas cette gueule, mon bonhomme, tu vas me filer les jetons !
Un qui subit de méchantes décharges d’adrénaline, c’est ton ami Sana, mon chéri. J’imagine le môme innocent, tout joyce, à l’appareil, et, debout près de lui, tarabusté par ses affreuses pulsions, Formide que ses mains démangent ; Formide qui se demande s’il va me buter cet enfant ou non.
— Alors, on fait quoi, l’artiste, selon tes vœux ? balbutié-je, sincèrement piteux.
— Tu nous oublies, bonhomme, rétorque le pucereau…
— Voyons, je ne suis pas seul, il a fait du dégât, ton copain, cent perdreaux sont sur les nerfs à cause de lui.
La voix du petiot change et je me demande si je n’ai pas commis une irréparable bourde.
— Quels dégâts, Antoine ?
Merde ! Le môme ignore tout des trucidages commis par le fou. Il ne sait pas que sa tantine la fleuriste a été éventrée, de même que la dame putain. Formide a eu le tact d’agir hors de sa présence ; il me semblait bien aussi, que mon gosse ne serait pas aussi confiant s’il avait visionné de telles horreurs.
Je me reprends :
— Ben, tu sais que l’ami Bruno n’est pas blanc-bleu ; si on l’a interné, c’est pas pour des fraises des bois !
Soulagé, Toinet retrouve sa marrade juvénile.
Читать дальше