Je murmure à Béru :
— Je parie ta bite contre un cure-dents qu’ils vont échanger les parapluies en se quittant. Dans le premier, il y a de la came, dans le second, du blé.
— Tu croives ?
— On parie (Lyon, Marseille) ?
— Non, j’te fais confiance, mon Loulou. Tu imagines la suite comment ? On les serre ensemble ?
— Il vaut mieux pas. Toi t’emballes le nouveau venu dès qu’il aura passé la porte, pour cela file le guigner dehors. Les cadennes illico, à la surprise. Ensuite tu le fourres dans la tire et tu m’attends.
— Vous avez encore besoin de moi ? s’inquiète Larigot.
— Non, vous pouvez partir, je vous ferai signe plus tard.
Béru ramasse son moignon de sandouiche et se l’enfonce dans le tout-à-l’égout d’une gueulée extrême. Le voilà avec les joues enceintes et les lotos qui lui sortent de la hure. Je cigle les consos. Puis, à la cantonade :
— Où est le téléphone, s’il vous plaît ?
— Au chouchol, répond l’Auverpiot.
Je m’en gaffais bien, tu penses. J’ai demandé ça parce que l’homme en noir se casse déjà et que probablement son « fournisseur » ne va pas tarder. Lorsqu’il a quitté la brasserie, je fais mine de gagner l’escalier conduisant au sous-sol mais, parvenu à la table du marchand de « farine », je m’assieds brusquement en face de lui. D’une main je tiens ma carte, de l’autre la crosse de mon camarade Tu-tues.
— Ça va se passer sans encombre, promets-je.
Le mec a un imperceptible tressaillement, et puis il doit penser que c’était trop beau pour durer toujours et se résigne.
Il dit, néanmoins :
— Que me voulez-vous ?
— Il m’a semblé que votre client a réglé les consommations ? réponds-je. Ou c’était seulement la sienne ?
— Il a tout réglé.
— Alors on y va gentiment.
— Vous avez un mandat ?
— Pas besoin : flagrant délit.
— Quel flagrant délit ?
— Venez ! Et n’oubliez pas le pébroque de votre copain, on va aller le lui rendre et vous récupérerez le vôtre. Ils nous attendent l’un et l’autre à l’extérieur.
Il en prend son parti et nous quittons l’établissement salués par le « Au revoir, messieurs, merci » du taulier à la limouille couleur bouse de vache.
Je marche jusqu’à la voiture de service dont nous nous sommes munis. Fatalitas ! Ni Béru, ni le dealer ne s’y trouvent. Comme je fais de la brasse dans la mer amère des perplexités, je vois revenir Béru du bout de la rue, la démarche lourde et la queue basse. Il m’adresse un grand geste de vieil albatros aux ailes brisées.
— C’t’à cause de mon sandouiche, me lance-t-il. Juste comme je vais pour sauter le gus, v’là que je m’étrangle et me paie une esquinte d’atout pis qu’si j’eusse eu la coqueluche ! C’te vache s’est taillé comme un garenne ! Et moive, au plus j’l’ coursais, au plus j’étouffais.
Un seul mot me vient :
— Goret !
Alexandre-Benoît est désemparé, penaud, vaincu, humilié.
L’autre gonzier qui a tout pigé me dit :
— J’en ai assez de vos voies de fait, vous n’avez rien à me reprocher ! Salut !
Il va pour filer.
Le Gravos le chope par un aileron.
— Minute, pape Pie Onze !
Il lui griffe son pébroque, du moins celui de l’homme en fuite, lutte un moment avec le système et finit par l’ouvrir. Deux liasses de billets de banque choient sur le trottoir.
— Et ça ? demande-t-il.
Le gars se tourne vers moi :
— Une loi interdit de transporter de l’argent dans son parapluie ?
— Aucune, admets-je.
— Alors, au revoir.
Il ramasse son blé, le bourre dans ses fouillasses. Pendant ce temps, j’ouvre sa mallette. Elle contient quelques beaux livres à tirage numéroté, reliés pleine peau. Sa couverture, probable (si je puis dire !). Il doit se déclarer représentant en livres de collection. Je les feuillette : ils sont francos. In petto , comme on dit en italien, je me maudis de n’avoir pas alpagué les deux hommes au bistrot. On aurait eu tout le matériel pour les confondre ! A cause de ce gros dégueulasse de Béru, l’opération a foiré. Le marchand de neige le sait qu’on l’a dans le prose et qu’il tient le couteau par le manche, à présent.
Il récupère mallette et parapluie et, très digne, nous plante là comme deux glandus.
Mais Sa Majesté a un sursaut.
— Tu permets ? fait-il au « vendeur » d’extase.
L’autre se retourne de trois quarts.
— Quoi encore ! bougonne-t-il.
— Ça ! annonce le Gros.
Et il le foudroie d’un crochet à la pointe du menton capable de tordre une enclume. Le gars se met à gésir sur la chaussée.
— Ouv’-moi la portière ! m’enjoint Merdenflaque.
— Excuse-moi, fais-je, ma situation m’interdit de batifoler dans l’illégalité.
— Ta situation, j’y pisse dessus !
Des gens se radinent, badauds-mouches toujours à l’affût d’un schprountz quelconque, sans cesse attirés par le sang et la merde.
Le Mastard déballe sa brème.
— Opération de police ! gueule-t-il. Circulez, y a plus rien à voir ! Ceux qui circul’ront pas, je les emballe !
En ronchonnant, on s’écarte de l’énergumène. D’une force qu’un usager de lieux communs définirait comme étant « peu commune », il charge sa victime à l’arrière de la voiture, passe une boucle de ses poucettes à l’un de ses poignets, l’autre au montant métallique du siège passager.
— S’cusez-moive si j’vous d’mande pardon, monseigneur, m’dit-il, j’vous laisse frétiller un taxi pour rentrer, biscotte j’ne voudrerais pas attacher vot’ honneur !
Il se jette derrière le volant et opère un démarrage pour film américain.
* * *
— Savez-vous ce que nous devrions faire ? émit César Pinaud.
La grosse mère Larmiche fit signe que non derrière l’abominable fumée de son cigare.
— Manger un morceau, dit la Vieillasse. Je me permets de vous inviter au restaurant. Ne doutez pas de la pureté de mes intentions, chère madame, je ne suis pas un homme qui cherche l’aventure.
Elle le balaya d’un regard empreint de regrets.
— Et pourtant, vous pourriez, assura l’ogresse. Un homme qui a d’aussi belles manières peut tout se permettre.
Le Fossile considéra le corps informe, la trogne mafflue de la personne et retint un frisson d’effroi. Elle malodorait, puant le rance et l’urine. Sa barbe hirsute, son regard gélatineux, ses énormes lèvres de négresse blanche aux commissures desquelles subsistaient des traces de nourriture lui foutaient la panique jusqu’à sa prostate.
Deux heures qu’il occupait l’appartement de la rue du Poteau-Rose, charmant la locataire de son verbe et se livrant à une perquisition pinulcienne de la chambre de feu « Friandise ». Par « perquisition pinulcienne » nous voulons dire que le cher homme était à coup sûr le meilleur élément de toute la police française pour ce genre de pratique. Nul ne savait mieux que lui renifler la cache à laquelle « on ne pense pas » ou interpréter le menu détail qui passe inaperçu des autres. Il procédait avec méthode, commençant par un côté de la porte d’entrée et examinant toute chose minutieusement, centimètre carré par centimètre carré.
Il venait de « sonder » la moitié de la petite chambre et se sentait fourbu. Ses reins qui ne suivaient pas. César avait toujours marqué des faiblesses dorsales que rhumatismes et lumbagos entretenaient malgré les cures et les massages qu’il s’offrait depuis que la fortune avait chu dans sa vie grise.
La vioque accepta d’emblée l’invitation. L’aubaine ! Elle aimait la bouffe, comme toutes les grosses vieillasses réduites à l’abstinence. Elle changea de robe, en mit une un peu plus dégueulasse que la précédente, enfouit ses cheveux gris dans un filet, promena un bâton de rouge, auquel adhéraient des trucs peu identifiables, sur son énorme bouche goulue et se déclara « prête ».
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