« Calvitie distinguée, regard pénétrant, mise de très bon goût, allure distinguée, gros sexe, chevalière armoriée… » Ça se charpente doucettement, se complète…
— Avait-il un accent étranger ? demande encore ma petite fouine.
— Oh ! pas du tout ! proteste la dame Princesse, comme si, à ses yeux, venir d’ailleurs constituait une lourde faute.
Si elle accomplit son devoir civique, la duègne du cul, elle vote Le Penis, espère !
— Au cours de ses visites chez vous, a-t-il laissé entendre, à Fabienne ou à quelqu’un d’autre, ce qu’étaient ses occupations ?
A nouveau, elle s’entre-sondent du regard, chacune escomptant de l’autre quelque détail déclencheur. Mais « ça ne vient pas ». On sonne en coulisse et Madame va déponner.
Pendant son absence, j’insiste auprès d’Adeline pour qu’elle stimule sa mémoire. Voyons, ce « Baron », il venait d’où ? Il faisait quoi ? A quelles heures fréquentait-il l’appartement de la vieille ?
— Vous comprenez, dit Adeline, je ne l’ai jamais essoré personnellement. Exceptée Fiona, la toute première, il n’en avait que pour Fabienne. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il venait toujours en début d’après-midi.
— A quelle fréquence ?
— Variable. Il lui est arrivé de s’annoncer deux jours de suite, mais de rester plus d’un mois sans se montrer.
— Pourquoi toujours en début d’après-midi ? murmure Marie bis.
— C’est fréquent, révèle la fille : la digestion qui « les » incite !
La mactée revient et annonce l’arrivée du Pierrot Gourmand.
— La barbe ! soupire Adeline.
— Je vous en prie, mon enfant ! morigène Tatie Pain-de-Miches, ce qui se fait dans l’aversion est toujours bâclé. Par les temps qui courent, où ces messieurs rognent sur les dépenses jusque dans leurs coïts, on ne peut pas se permettre le moindre laisser-aller avec la clientèle. Je vous concède que cet homme au visage enduit de crème blanche n’est pas ragoûtant, pourtant il vous faut faire avec. Et bien faire !
Nous prenons congé peu après ces nobles paroles dans lesquelles s’affirme la permanence des grandes vertus françaises.
Ce serait tirer à la ligne que de te raconter notre détour par Bourg-en-Bresse où nous allons enquêter à propos du premier des trois meurtres connus. La vieille radasse trouvée dans une canalisation est oubliée et aucun de ses voisins ne se rappelle avoir aperçu à Brou d’homme correspondant au signalement du « Baron ».
Nous regagnons donc Paris à la modeste vitesse de 195 km/h, c’est ce que nous révèlent deux motards époustouflés par mon allure d’abord, puis par ma qualité de directeur de la Rousse ensuite. Le double salut militaire dont ils ponctuent mon départ, après leur absolution, est d’une rigidité marmoréenne qui en dit long sur leur admiration. Ils ne rompent que lorsque l’horizon nous a engloutis, c’est-à-dire dix secondes plus tard.
Le brigadier Mornefleur, « mon » planton (Alain Bombard l’écrirait plancton), se lève à mon approche et gardavouse comme un fou. C’est à la fois marrant et chiant d’inspirer le respect. Note que ce n’est pas moi qu’on salue, mais ma fonction. C’est marrant parce qu’un bonhomme qui se liquéfie à force d’obséquiosité quand tu te pointes a quelque chose de profondément ridicule ; et puis c’est chiant parce que la chose m’inspire une intolérable gêne. « Qui es-tu, pauvre San-Antonio, pour provoquer de l’émoi chez les autres ? »
— Monsieur le directeur, je dois vous prévenir que l’officier de police Pinaud se trouve dans votre bureau. Il a exigé que je le laisse entrer, alléguant que le sien est en réfection et qu’il préfère occuper le vôtre plutôt que celui de Bérurier. Il montrait tant d’assurance que, sachant l’amitié qui vous lie…
Je donne une tape napoléonienne sur l’épaule de Mornefleur.
— Te casse pas le cul, grand, t’es plus sous l’ancien régime ! Les Bourbons, c’est fini, on est en République, maintenant !
Et je rentre dans mon antre.
Une fort belle musique m’accueille : la Suite anglaise n o3 en la mineur de J.-S. Bach, interprétée à la guitare par Maya Obradovic et Christopher Leu.
J’avise un cassettophone miniaturisé, posé sur le plancher, contre un fauteuil dans lequel dort l’Ineffable. Saboulé London, l’Ancêtre. Bleu croisé agrémenté d’un léger fil gris, chemise ciel, cravate club marine et rouge. Son chapeau Pinay repose sur ses genoux. Il a la bouche ouverte et son ronflement agite le mégot de la Boyard maïs collé à sa lèvre inférieure, comme le vent la balise d’un aéroport.
Il est rasé, mais des touffes omises continuent de croître sur sa peau de dindon. Ma venue lui fait ouvrir un vasistas, puis deux. Son cher bon vieux sourire fait choir le mégot, éteint depuis lurette, heureusement.
Il se rassemble, prend appui sur les accoudoirs et se lève.
— On m’a dit que tu te trouvais à Lyon ?
— Je.
— Je pense que tu es allé interroger la mère maquerelle qui « employait » la seconde victime ?
Un vrai flic, la Pine ! Y a rien à lui apprendre : il sait tout ; et même il pourrait donner des cours aux jeunots qui nous arrivent des écoles de commissaires.
— Gagné ! applaudis-je. Dis, ça t’a rudement fait du bien de « prendre les eaux », tu as rajeuni !
Il glousse :
— Les eaux avaient le goût du pouilly fumé, mon cher. Non, le rajeunissement provient d’un remède helvétique dont je fais une cure et, surtout, surtout, d’une aimable jeunette de vingt-quatre ans à laquelle je m’abreuve comme à une source de jouvence !
— Parfait. Dites-moi, docteur Faust, il paraîtrait que vous vous intéressez à l’histoire Larmiche ?
— Tu sais bien que toute affaire passionnante me saute dessus comme des poux de corps sur un clodo !
— Tu as fait un tour d’horizon ?
— Mieux que cela, Antoine, mieux que cela.
— La curiosité me gratte !
Le Vioque époussette d’un coude de turfiste en tenue le bord de son feutre neuf.
— J’ai retrouvé l’automobile qui a écrasé ton ami Larmiche.
Il guigne ma réac de ses yeux en trous de pine blennorragique.
— Se peut-ce ? balbutié-je.
— Elle a été louée au garage Labielle, au Point-du-Jour, le matin du meurtre, par un type du nom de Georges Fromentino, peintre en bâtiment domicilié à Saint-Ouen, 16 rue Bernard-Soultan [10] Explorateur français qui découvrit La Montagne Sainte-Geneviève, le Marché Biron et la partie nord des Caves du Vatican.
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— Mazette ! Tu as été vite en besogne, Chère Loque Holmès ! Comment t’y es-tu pris ?
— Le cartésianisme, mon cher.
— Tu ne pourrais pas arrêter cette sublime musique et m’en dire davantage ?
Il débranche son appareil.
— De plus en plus, j’ai besoin de grande musique, me confie-t-il.
— Pour t’endormir ?
— Et pour penser. Elle nous éloigne de ce monde terre à terre qui nous écrase l’âme. Vois-tu, quelque chose me troublait dans le meurtre de Larmiche : une vieille concierge l’avait vu perpétrer mais n’avait pas donné l’alarme sous le fallacieux prétexte qu’elle avait peur et ne disposait pas du téléphone. Je m’étonne que vous ayez encaissé l’argument argent comptant ! Comment, cette femme voit écraser un homme sous ses fenêtres, l’automobiliste s’acharne sur lui, puis s’enfuit, le corps reste inanimé dans la rue et la pipelette va se coucher comme si de rien n’était ? A d’autres, Antoine ! A d’autres !
— Alors ?
— J’ai rendu visite à la dame qui, soit dit entre nous, n’est pas si vieille que ça.
— Par rapport à toi ! gouaillé-je.
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