Mes collègues de Vauban [8] Siège de la police lyonnaise.
m’ont fait tout un papier sur la vieillarde. Son mari, un maître du barreau, défunté depuis lurette. Les Princesse, sans enfants, avaient adopté une petite Martiniquaise, qui, lorsqu’elle devint adolescente, montra rapidement qu’elle avait le sang chaud. Après le décès de maître Honoré Princesse, l’on constata que le cher homme ne laissait pas un laranqué derrière soi. Une gourgandine experte l’avait détroussé de tous ses biens. Sa digne épouse, anéantie, entrevit qu’elle allait devoir faire des ménages pour subsister. Mais sa courageuse fille adoptive prit la situation en fesses et s’employa à monnayer son corps qui était appétissant. Mme Princesse découvrit alors cette subtile industrie cependant vieille comme le monde, et, voyant combien elle était lucrative, ne s’insurgea pas.
Bientôt, Marilou (la Martiniquaise) enrôla des copines qui vinrent se faire martiniquer dans le solennel appartement de la rue Vaubecour. La veuve se piqua au jeu, s’aperçut qu’elle avait des qualités de gestionnaire et organisa au mieux cette prostitution bourgeoise. Les portes de la bonne société se fermèrent pour la dame. Elle n’en eut cure. Le passé de son époux la protégeait, la police ferma les yeux d’autant plus aisément que le business de Mme Princesse s’opérait en grande discrétion. Et puis cherche-t-on des rognes à la femme sans ressources d’un ancien bâtonnier ?
Elle nous regarde, nous sourit, pense que nous venons pour une partouzette à la bonne franquette, attend que je prononce le mot… de passe qui est : « Je viens de la part de Don Carlos ».
Alors, moi, séduisant jusqu’aux poils qui sont sous mes bras :
— Je pourrais vous dire que je viens de la part de Don Carlos, madame, mais vous vous abuseriez quant à mes intentions. Je suis le tout nouveau directeur de la Police judiciaire de Paris et je souhaiterais avoir une conversation avec vous.
Nonobstant ce préambule, la vioque prend peur, croit que je viens lui signifier la fin de son condé, voire même lui chercher de sales noises.
— Oh ! monsieur, je suis très âgée, plaide-t-elle immédiatement.
— Vous ne devriez pas le faire remarquer, car l’on ne s’aperçoit pas de la chose, galantiné-je.
Indécise, elle nous fait pénétrer dans un salon Louis XVI, semblable à ceux auxquels il m’arrive de rêver quand j’ai trop bouffé de couscous.
On entend distinctement, en provenance d’une pièce contiguë, les requêtes d’un monsieur à la voix caramélisée par l’âge, qui implore :
— Appelle-moi ta petite femme, appelle-moi ta poupée !
La partenaire objecte :
— Je veux bien, ma biche, mais je ne crois pas que tu arriveras à quelque chose aujourd’hui, malgré tes culottes froufrou de grand-mère. Tu ne veux pas que je t’essaie un petit coup de vibromasseur ?
— Non. La dernière fois, ça m’a irrité le clitoris.
— On va essayer à l’oigne, pour changer, ma poupée.
Dame Princesse, gênée, nous confie :
— Un vieil huissier à la retraite ! Tout à fait charmant, mais plus guère apte à l’amour. Les hommes ont du mal à renoncer.
Je fais un signe de croix afin de me ménager des grâces exceptionnelles pour le jour où.
On se pose en triangle et j’explique à la vieille bordelière ce qui m’amène dans son antre de délices.
— Je viens à propos de l’affaire Marchopaz, chère madame.
— Encore ! Que de tracasseries dus-je endurer à propos de cette pauvre Fabienne !
— C’est qu’il s’agit d’un assassinat, madame ! Mieux que quiconque, étant veuve d’avocat, vous connaissez la gravité d’un tel acte.
Elle admet d’un sourire craquelé. D’un geste grand siècle, m’encourage à poursuivre.
— L’assassin a encore frappé, mais à Paris, cette fois. Jusqu’à ce jour, nous lui imputons trois meurtres, tous concernant des dames galantes. La personne que vous connaissiez, Fabienne Marchopaz, se distinguait des deux autres par le fait qu’elle opérait discrètement dans cet appartement ; elle ne s’est jamais rendue coupable de racolage sur la voie publique. Conclusion, c’est chez vous que son meurtrier l’a connue, ce qui rend votre témoignage capital, chère madame Princesse. De plus, étant dame de qualité, vous savez juger les êtres, les apprécier à leur juste valeur. Bien que cette histoire remonte à un certain temps déjà, vous avez probablement conservé le souvenir des principales pratiques que Fabienne honorait de ses charmes ?
La très vieillarde se fissure un peu plus en exécutant une moue dubitative (les meilleures).
— La gentille était beaucoup sollicitée, monsieur le directeur, car elle constituait, aux dires de ces messieurs, une « bonne affaire », si vous me passez l’expression. Mettant beaucoup d’elle-même dans l’étreinte. Elle ne fonctionnait pas au chiqué, comprenez-vous ?
— Parfaitement. Cela dit, ses performances devaient lui valoir bien des habitués ?
— Pas mal, en effet.
— Vous pouvez me parler d’eux ?
— Mon Dieu, monsieur, ma maison n’est pas un endroit où l’on se présente en brandissant sa carte d’identité. Mes chers Lyonnais, quand ils viennent, mettent des cache-nez, des lunettes de soleil et rasent les murs.
Parvenant de la chambre « de travail », la voix de l’huissier :
— Non, arrêtez, Adeline, votre diable d’appareil m’endolore le vagin. Ce sera pour la prochaine fois. Dommage que votre prothèse de pénis soit en réparation, je la trouve très stimulante. Quand l’aurez-vous à disposition ?
— Le cordonnier nous l’a promise pour demain, Alphonsine chérie.
— En ce cas, je repasserai après-demain.
La mère Princesse glousse d’aise.
— L’huissier se prend pour une femme, quand il vient nous trouver.
— Vous voyez bien que vous connaissez ces messieurs, fais-je. Il en allait sûrement de même pour les adorateurs de Fabienne Marchopaz. Réfléchissez calmement, exquise hôtesse, passez-les en revue, nous avons tout notre temps.
— Il serait bon qu’Adeline vînt m’aider, fait-elle. Elle est jeune, avec une mémoire encore sous garantie !
Elle quitte la pièce pour aller quérir ce renfort engendreur d’espoir. L’huissier met longtemps à se rhabiller, sa partenaire prend congé de lui et vient nous rejoindre dans une robe de chambre irrésistible. Adeline est du genre « brune piquante » parfaitement épilée à la cire. Elle porte des verres de contact bleus pour changer son regard sombre, le rendre énigmatique, mais on comprend tout à fait qu’elle était espagnole avant de s’engager dans les troupes prostitutionnelles.
Le sourire en vingt-cinq centimètres de large, elle est parée pour l’aventure, Adeline. Son catalogue des délicatesses à dispose. Commencerait-on par un broute-minou à la charmante demoiselle pendant que je lui extrapolerais la voie sur berge ? Ou bien est-ce ma pomme qu’elle dégusterait en priorité presse, tout en fourgonnant le cadre de vie de ma gentille ? A voir !
Mais Mémé lui explique le pourquoi de notre visite et son sourire laisse aussitôt place à une gravité de bon aloi.
Quand on en vient à la Fabienne et sa mort cruelle, ses yeux s’embuent (sans but) et un soupir capable de transformer un préservatif en Graf Zeppelin s’échappe de ses soufflets au solide rembourrage.
On se met à évoquer la disparue et je suis agréablement surpris de constater qu’elle en parle fort bien. C’est toujours ainsi quand le cœur participe. La vie de Fabienne Marchopaz ? Pas joyce. La morte avait épousé un homme divorcé, conducteur de trolleybus et grand amateur de beaujolais village. Il rentrait beurré quotidiennement et ne supportait aucun reproche, sinon il y allait à la mandale. Parfois, sa première femme passait à leur domicile pour lui réclamer de l’argent et c’était alors des scènes homériques. Ce nigaud finissait par reprendre sa paie à Fabienne pour la refiler à Marie-Pervenche. Celle-ci, quand elle obtenait gain de cause (c’est-à-dire régulièrement) se troussait haut, tombait son slip et se laissait embroquer toute crue sur la table de la cuisine pour exprimer sa satisfaction à son ancien cornard et faire chier la nouvelle.
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