Frédéric Dard - Al Capote

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Le mystère de l'assassinat de Kennedy ? Tiens, fume !
Accompagne-nous dans notre virée U.S. et tu verras ce qu'on en fait du mystère Kennedy, Béru, Mathias et moi.
Ah ! évidemment, ça ne s'est pas toujours bien passé, mais contrairement à ce qu'assurait le père Coubertin, l'essentiel, c'est pas de participer ; c'est de gagner.
Si tu veux mon avis, ce présent bouquin, dans cent ans on le fera lire encore dans les écoles.
« Al Capote » fait partie du patrimoine, désormais. D'autant qu'il est plein d'histoires de cul.
Je n'y peux rien si l'Histoire s'écrit avec du sang et des braquemards

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Mathias est descendu à son tour.

Béru nous crie, par sa vitre baissée :

— Il est inutile que j’m’pointasse aussi ; vous causez mieux l’étranger qu’ma pomme.

En réalité, il entend jouer son va-tout avec notre exquise conductrice, c’est couru.

— Que voulez-vous ? questionne la môme Bella.

— Parler avec Robin Bolanski.

— A quel sujet ?

— Nous nous proposons de le lui expliquer, coupé-je d’un ton rogue.

Notre calèche et nos mises impressionnent la gravosse. Elle fouette vilain ; le lard rance, la culotte en fin de carrière, la poudre de riz de supermarché.

La voici qui rentre dans sa maisonnette. Elle a un monstrueux cul géométrique qui ressemble à la charge d’un sherpa himalayen en marche pour le camp de base. Ses jambes sont énormes, nouées par des varices en forme de troncs de lierre ancien. Elle se dandine plantigrade en se déplaçant.

— Robin ! (prononcer Robine, comme robinet) appelle-t-elle. Des messieurs pour toi !

Elle franchit un rideau de perles vertes et roses qui tintinnabulent. Cela compose une pluie de couleurs sur son cou en cours de gibbosité accélérée. On passe le frêle obstacle à notre tour.

Le livinge de la señora Rodriguez-Bueno est cucul, mais confortable : une desserte Arts déco qui fit la gloire, autrefois, des établissements Dufayel, une table assortie, une pendule murale, des saint-sulpiceries espagnolisantes plein partout, et surtout, le trône mobile du roi Bolanski, monarque podagre, privé de l’usage de ses jambes, qui n’a plus d’humain que ses contours. L’infirmité l’a rendu obèse ; mais c’est de l’obésité « accidentelle », pire que l’autre, plus gerbante et presque intimidante.

Il est en pyjama de pilou sans teinte définie, avec un plaid à carreaux brisés sur les genoux. Il a le teint jaunassou, le cheveu de jais coiffé à l’huile d’olive. D’écœurants grains de beauté presque tumoraux (to morrow) parsèment son visage, avec un vrai archipel au menton. Son regard est viceloque, charognard et cruel sous l’assoupissement inhérent au quotidien abrasif. L’une de ses paupières tombe plus que l’autre et la seconde moins que la première. Un mégot de cigare est accroché à la commissure de ses lèvres. Il ressemble à un vieil Al Capone décati.

Animal à sang froid, le Sancho de Bella. Il nous regarde survenir sans exprimer la moindre curiosité. Tout son être n’est que défiance. Je sens qu’avec un client de cette trempe, ça ne va pas être du point de croix. Il ne prononce pas un mot, juste son regard qui est fiché en nous, pareil à deux fléchettes.

— Bonjour, monsieur Bolanski, le salué-je gaiement. J’espère que nous ne vous importunons pas. Mon nom est San-Antonio, je suis reporter à L’Événement, un grand hebdomadaire français, et voici M. Xavier Mathias, mon coéquipier. Nous réalisons une enquête sur les survivants d’Alcatraz, lesquels se font de moins en moins nombreux, tout comme les anciens combattants de la guerre de 14, et il est normal que nous venions vous interviewer afin que vous apportiez votre précieux témoignage au récit de cette période de la vie carcérale américaine.

Ouf ! D’une traite !

Mon sourire est plus engageant que celui d’un gay du bois de Boulogne proposant une pipe à un avoué de province. Robin Bolanski me toise, impénétrable.

Cela dure.

Je risque :

— J’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénient ? Nous remplacerons les noms véritables par des initiales, bien entendu.

On entend enfin sa voix.

Elle est douce comme celle de feu le cher Tino Rossi.

Elle dit :

— J’en ai rien à foutre de deux merdes comme vous. Taillez-vous !

C’est le genre d’accueil, tu vois, qui intimide toujours, qu’on le veuille ou non.

Moi, stoïque, je mets baïonnette au canon pour repartir à la charge.

— J’oubliais de vous préciser, cher monsieur Bolanski, que notre important journal nous a débloqué des crédits pour dédommager les personnes qui accepteront de nous consacrer un peu de temps.

— Combien ? demande spontanément la compagne de l’ancien convict.

Je crois apercevoir une ouverture bleue dans ce ciel de plomb.

— Je pense, chère madame Rodriguez-Bueno, qu’avec un homme de la trempe de votre mari on pourrait traiter sur la base de mille dollars.

T’as vu ce que j’en fais, ma pomme, des piastres du contribuable ?

Le Robin des bois arrache son reliquat de cigare et, d’une pichenette magistralement ajustée, le propulse dans un cendrier de terre cuite sur le fond duquel un artiste surréaliste a peint une femme nue ayant un œil à la place du sexe [7] De là l’expression « Se mettre le doigt dans l’œil ». .

— Mec ! m’interpelle cet homme de bien, tu peux te bourrer tes mille dollars dans le cul ! Maintenant, si vous ne disparaissez pas illico, je vous fais craquer un genou à chacun !

Il rabat son plaid et nous montre un étui à revolver fixé à l’accoudoir gauche de son fauteuil d’infirme.

D’un geste expert, il dégaine l’arme pour nous braquer.

— Allons, monsieur Bolanski, fais-je, tout ça c’est des mots. Si vous agissiez de la sorte, vous ne pourriez alléguer la légitime défense : nous ne sommes pas armés. Votre seul argument : « M’ont menacé de me donner mille dollars ! »

— Ne vous occupez pas de ça : je suis le chouchou des flics.

— C’est rare pour un ancien condamné de droit commun.

— Peut-être qu’ils ont leurs têtes ! raille Robin (son Crusoé).

De la pointe du canon, il nous réenjoint de partir. Comme c’est le genre de mauvais coucheur qu’on sait capable de tout et principalement du pire, on décide de renoncer. Seulement voilà que le gros Béru se pointe rapidos. S’il est lent à comprendre des sciences tortueuses, telles que la gynécologie dans l’espace ou la culture du Coton-Tige en Haute-Volta, par contre, il assimile en un éclair ce genre de situation. Au lieu de s’arrêter pour dire « bonjour-comment-ça-va », il fonce jusqu’à l’infirme et, sans vergogne, balance un coup de saton dans son fauteuil, lequel se met à reculer en accomplissant un demi-tour. Le siège roulant percute la desserte de laquelle choit un superbe éléphant de plâtre à défenses dorées. Brwaouf ! En miettes ! Dame Bella se met à bieurler à la destruction des chefs-d’œuvre (qui n’avaient pas l’air en péril). Sur sa lancée, le Mammouth a recueilli le feu du ci-devant bandit.

— Regarde c’que j’ viens de trouver ! fait-il en l’empochant.

L’infirme se met à vociférer. Il crie « Au secours », ce qui est inusité de la part d’un mec qui a buté et détroussé nombre de ses contemporains. Toujours imperméable à la compassion, le Mastard le fait taire d’une manchette normande sur la glotte. Et puis, comme la Bella continue de pleurer la désintégration de son pote Jumbo, il la calme à son tour d’une formidable baffe. Et poum ! voilà la situation complètement assainie.

— On continue les opérations ou on s’en va ? me demande l’imperturbable Mathias.

A question de subordonné réponse de chef :

— On continue !

Il déboutonne alors sa veste et ramène sur son ventre une trousse de skieur qu’il portait à sa ceinture, sur le côté.

— Embarque la femme ! ordonne-t-il au Gros.

Sa Majesté va mettre son bras tutélaire sur l’épaule grassouille de Bella.

— Pardonne ma vivacerie, ma jolie ; allons jusque dans ta chambrette refaire ton maquillage dont le rimmel est saccagé. T’sais qu’tu dois z’êt’ bioutifoule, à poil ?

Ils sortent.

Mathias use d’une minuscule seringue pour injecter dans les pernicieuses veines du truand retraité sa petite toxine maison (celle qui incite au bavardage dans un premier temps et à l’amnésie dans un second).

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