« Redoutant pour la sienne, la Masturbeaux marche à mort dans la combine, allant même jusqu’à accrocher un écriteau sur la porte de la loge de la pauvre Mme Macahuète qui était si gentille, avec ses chats et ses varices.
« Là, il lui a fallu du cran pour agir sans être retapissée par les gros méchants qui guettaient, à la sortie de la maison. »
Tiens, je m’aperçois que, depuis un bon moment, je reparle en français. C’est terrible la langue maternelle : elle t’habite pour toujours.
— Vous m’entendez, Elsa ? C’est Hans qui te parle. Hans ! Hans ! Ton grand amour.
Un chuchotis indistinct, mais qui contient le mot « amour » en allemand, je te parie ma burne gauche, celle qui est plus basse que l’autre parce que plus lourde.
— Vous avez quitté les lieux par les toits, en abandonnant volontairement le fusil. Sacrifice utile, car il allait désorienter et la Police française et vos poursuivants du Moyen-Orient, concentrer les recherches sur la piste Pétsek.
« Vous aviez rendez-vous le lendemain avec Séminal Tabriz au Relais-château du Val Fleuri pour lui livrer l’arme. Comme il devait vous remettre pas mal de blé, vous lui avez téléphoné pour l’informer qu’un empêchement momentané différerait sa remise mais que vous alliez lui donner le suractiveur, pièce maîtresse de l’engin.
« Tabriz a été le prendre mais a “oublié” de vous laisser le blé. Chef du réseau secret des Arbis en Europe, il était au courant de votre trahison. Je gage qu’un commando avait été dépêché au Val Fleuri , seulement il n’a pu que repartir en découvrant que la police cernait l’endroit. »
Ça pue vilain dans cette case ! Il faut une sacrée santé pour pouvoir exister dans un tel gourbi dénue-mentiel.
— Vous êtes une femme extraordinaire, Elsa. Vous avez réussi après l’échauffourée de l’hostellerie à récupérer vos putains de documents chez les Masturbeaux, à les tuer et à prendre vos avions ! Manque de pot, le second s’est crashé. Un coup de vos ex-amis arabes, je suppose ? Ils ont des « ramifications » un peu partout, et il est plus aisé de piéger un coucou des lignes intérieures brésiliennes qu’un jet intercontinental…
« Mais Satan veille sur vous, puisque vous n’êtes pas morte. À ma connaissance, il n’y a qu’un cas de survie comparable. Ça s’est passé au cours de la dernière guerre. Un aviateur anglais ou ricain, je ne me souviens plus très bien, qui a sauté sans parachute de son avion embrasé au-dessus des Alpes bavaroises et que la neige a sauvé. Maintenant, il ne nous reste plus qu’à me dire où sont les documents ? »
Fermé !
Je redis en teuton, mutisme !
Du temps passe. J’élève mon âme pour demander l’aide de « ceux d’en haut » : papa, grand-mère, Marie ». Une telle odyssée !
Et résultat ballepeau.
Je cherche une ruse pour niquer son subconscient. Une fois encore j’emploie l’allemand, prends une voix enrouée par l’amour, prétends être Hans, tout ça… Reviens à la charge, encore, encore, encore, comme on s’obstine à faire la respiration artificielle à quelqu’un qui a déjanté. Je bisotte un coin de son cou imblessé. Caresse sa chatte. Amour ! Hans ! Je t’aime ! Où est THE document ?
La réponse vient enfin, sèche et sûrement vraie :
— Perdu !
J’en chialerais.
Seulement le Requin survient, grand, hideux, mécontent.
— Dites, flic, ça commence à bien faire ! Je n’ai pas envie de passer la nuit près des décombres du zinc. Si vous ne rappliquez pas dare-dare, moi je file !
— O.K., je viens.
Il examine Elsa d’un œil ennuyé.
— Pas brillante, hein ? Vous savez ce que ce vieux dégueulasse d’Indien vient de me raconter ? Qu’il la baise ! Une bonne femme à l’agonie ! Faut avoir une queue d’acier, non ? Il paraît qu’au début il n’y parvenait pas : il a cru qu’elle était « barrée ». En réalité, il s’est aperçu qu’elle avait une capsule métallique dans la chatte !
Cette fois, je chancelle. Faut pouvoir assumer des émotions de cette ampleur !
Et ce bougre de vilain d’ajouter :
— La capsule, ça doit être ce putain d’étui à cigare que le Condor-de-mes-deux a suspendu au plafond, vous ne croyez pas ?
— Si, je crois !
Le ministre est assis à son burlingue, les mains croisées. Il a l’air d’un gros bulldog qui fait semblant d’être méchant.
Il me dit, avec un accent qui balance des bouffées d’ail :
— Môssieur le directeur, je vous félicite. Son Excellence l’ambassadeur d’Israël va arriver dans vingt minutes pour joindre ses compliments aux miens ; il paraît qu’on parle de donner votre nom à une rue de Tel-Aviv !
Il ricane :
— La gloire, non ?
Je sens du persiflage à travers l’ail.
— Les honneurs ne sont que des hochets, répliqué-je.
Le ministre reprend, de sa voix lourde et martelée qui fait penser à un égoutier en train de se déplacer, bottes aux pieds, dans les profondeurs rateuses de Paris :
— Dites-moi, mon cher, qu’est-ce qui vous a valu votre promotion comme directeur ?
Non, mais il m’attaque, gnafron !
Je lui souris :
— L’homme étant imbu de lui-même, je m’imaginais que je la devais à mes seuls mérites, monsieur le ministre. Mais si elle vous semble injustifiée, je tiens ma démission à votre proposition.
Il hoche son groin pour « Guignol’s de Canal + ».
— Ne prenez pas la mouche, mon cher ; vous le savez, j’ai mon franc-parler.
— Qui donc l’ignorerait, monsieur le ministre ?
Il branle sa forte tête et une expression ricaneuse éclaire d’une fausse joie son lourd visage de bûcheron de la politique.
— Le président de la République aurait des faiblesses pour vous, crois-je savoir ?
— Tous les monarques ont de l’indulgence pour les bouffons.
— Parce que vous en êtes un ?
— Disons que ma désinvolture peut le faire croire.
— Môssieur San-Antonio, savez-vous que vous n’êtes pas à votre place, actuellement ?
— Je me le dis parfois, conviens-je.
— Et savez-vous pourquoi ? Parce que vos mérites dont vous venez de parler sont trop grands. Vous êtes un homme d’action, mon cher, et vous le prouvez abondamment ; un héros moderne, sans cesse en train de guerroyer, et dont le cul n’est pas à sa place dans un fauteuil pivotant. Bayard n’aurait pas pu être Richelieu, ni Richelieu Bayard !
— Conclusion, je démissionne ?
— Conclusion, je vous décharge de vos actuelles fonctions pour vous en confier d’autres qui conviendront bien mieux à votre tempérament.
— Intéressant. Et de quoi s’agit-il, monsieur le ministre ?
— De fonder un corps de police d’élite.
— Parallèle ? Comme l’était le S.A.C. ? réagis-je. Une section spéciale placée sous votre contrôle et qui fonctionnerait avec des fonds secrets ? Une légion romaine prête à toutes les actions occultes ? Non, merci, monsieur le ministre !
— Ce que vous êtes soupe au lait, monsieur San-Antonio ! Et comme vous avez une piètre opinion de moi. Il n’y a rien de secret dans mon projet, rien de « parallèle » comme vous le dites et je vous fous mon billet qu’il aura l’approbation de votre cher président.
— Mon président est également le vôtre, monsieur le ministre.
— Mais oui, mais oui, mais bien sûr. Ce que je veux fonder c’est une vaste brigade que vous dirigeriez. Elle ne s’occuperait que des « cas » particuliers, du genre de celui que vous venez de régler. Elle échapperait à la pesanteur administrative, jouirait de prérogatives particulières. L’époque est terriblement dangereuse, monsieur San-Antonio, elle a besoin d’une force de frappe capable d’intervenir vite sans se perdre dans les « boutiqueries » habituelles. Vous êtes l’homme d’une telle réalisation.
Читать дальше