Elle est en train de me raconter Azzola, le bras droit de Marmelard et la queue de remplacement de sa veuve. Mais, charognerie vivante, Zozo, c’est le diminutif d’Azzola, évidemment ! Tu sais qu’on vient de faire un pas de sept lieues vers la victoire finale ! En moins de temps qu’il n’en faut à l’équipe de France de foot pour se faire éliminer de la Coupe du Monde, j’ai gagné le canard ! Pipe, pipe, pipe, suce-moi ! Pipe, pipe, pipe, suce-moi !
— Vous êtes heureux ? remarque-t-elle.
— Très chère amie ! C’est Dieu qui vous a placée sur ma route.
— Dieu n’existe pas, répond-elle.
— On parie ? fais-je. Vous êtes bien rétribuée pour amener la « marchandise » ici ?
— Heureusement. Vous vous rendez compte du danger que cela représente ? Rappelez-vous le Tupolev de l’an dernier qui a explosé en vol : survivants, zéro !
Je ressens des picotements dans le sacrum.
— Mathias, blubaltié-je, gaffe-toi en bricolant cette gambette, madame prétend que l’année dernière, un Tupolev qui transportait une denrée identique a explosé.
Illico, le Doré sur tronche tressaille.
— Misère ! Je sais !
Il abandonne la fausse jambe sur la table où elle repose, en un mouvement d’effroi.
— Que sais-tu, mon vieux Géranium vivipare ?
— De quoi il retourne. Avant l’écroulement du régime communiste, des savants russes avaient mis au point le Vulgagrossium 18 dont on peut dire qu’il est l’explosif le plus puissant du moment. Cent grammes suffisent pour anéantir un gratte-ciel, et avec un kilo tu te paies un quartier complet. Facile à loger, comme le plastic, il passe inaperçu. Il a fait son apparition voici une quinzaine de mois dans le monde occidental et au Moyen-Orient, Te dire si tous les services de sécurité sont sur les nerfs ! On nous dit, fréquemment, qu’une voiture piégée a détruit des bâtiments, anéanti un cortège de voitures protégeant une personnalité. Bref, de plus en plus, le Vulgagrossium 18 met la société en péril. On connaissait son origine, mais jusqu’alors, il était impossible de lever une piste solide, tant ceux qui approvisionnent les groupes terroristes prennent de précautions.
Mathias regarde la hideuse jambe creuse. Un déchet humain, voire sa simple représentation, engendre un insurmontable malaise.
— Formidable ! Formidable ! fait-il. Je vais prévenir la brigade des artificiers. Quand je pense que j’attaquais gaillardement cette jambe !
Il s’approche du biniouphone.
— Pas tout de suite ! le sifflet-lui-coupé-je-t-il.
— Tu sais que c’est le genre de chose qu’il est préférable de placer dans un lieu de totale sécurité, m’avertit l’Incendié, si ce que contient ce faux membre explosait, la ville de Saint-Cloud serait détruite à quarante pour cent !
— Si personne ne s’en approche, ça ne craint rien, je pense ? Elle arrive bien de Bangkok, cette pattoune de merde et n’a pas voyagé dans de la ouate.
Il a un geste qui décline, à contrecœur, de graves responsabilités.
— Cette personne va se tenir peinarde combien de temps encore ? demandé-je à mon savant en lui désignant la Polak.
Il se tourne vers Camille, Lydie, Agnès ou Geneviève (mais je te jure qu’il me reviendra, son putain de préblase à l’assistante-nièce-maîtresse).
— Combien, déjà, darling ? lui demande le Brasero.
— Une demi-heure, mon Chou-chou-chéri, se risque à répondre Nathalie, Berthe, Muriel ou Stéphanie (je finirai par sortir le bon, tu verras).
Dis donc, elles « s’installent », leurs relations aux amants du labo. Ça tourne passionnel, leurs coups de tringle.
La fille ajoute :
— Succède ensuite une période de sommeil profond.
— C’est cela, Minounette ! exulte le savant personnage.
— Vous pouvez néanmoins la surveiller…, petite ? fais-je à la mocheté-tant-aimée-dont-le-prénom-m’est-énigme.
— Naturellement.
Je lui donne une caresse sur la joue, dont l’Embrasé prend ombrage, car la jalousie est sans cesse aux aguets. Les gonzesses les plus tartignoles provoquent souvent de folles passions. J’en ai connu qu’avaient des frites impossibles, des culs larges comme des poupes de paquebot, des jambes à la limite de l’éléphantiasis, des yeux qui se disaient merde, des bouches mal denturées et qui m’ont fait reluire à en appeler ma maman ! La vie est moins salope qu’on ne le croit. Elle offre des compensations aux déshérités du physique.
Je balance quatre coups de fil à la suite. Puis descends rejoindre m’man et Claudette qui pépient gentiment au salon. La gosse semble plaire à Félicie. Apprenant qu’elle vient d’enterrer son père, mort accidentellement, ma brave femme de mère déborde de compassion.
Dans le dos de ma « protégée », elle me fait signe que « c’est une jeune fille très bien ». Qu’elle a « de la tenue », du « savoir-vivre » tout bien comme il faut. Arrière-pensée inscrite en caractères d’affiche dans le regard de Féloche : « c’est une femme comme cela qu’il te faudrait ! »
Et moi, bon fils, de lui retourner : « Tu as raison je vais y penser. »
Je « réponds ça comme ça », tu penses bien.
LA NUIT VA FINIR (suite encore)
Dans les films d’action ricains, t’as toujours des séquences où l’on assiste à un accumoncelage de voitures de police aux gyrophares en folie qui s’agglutinent, se mettent en essaim si inextricablement qu’on se demande comme elles vont décheviller pour repartir. Ils visent l’effet, les cinéastres. L’image choc ! La vraisemblance, ils s’en briquent l’oigne.
Or, voilà que dans ma rue paisible, peuplée de gens moyennement cossus, a lieu le big western des tires poulardières. Une, puis deux, puis trois et enfin quatre guindes avec ou sans feux (mais avec loi) viennent escalader les brins de trottoir, autour de chez nous. Le rodéo réveille les endormis. Visages aux fenêtres. Beaucoup de peuple sait qui habite notre pavillon de meulière, dont le jardinet ne sort de l’hiver que pour plonger dans l’automne, semble-t-il. La sève circule davantage dans mes testicules que dans les plantes de notre « domaine », et les rosiers grimpants qui escaladent la tonnelle offrent plus de ronces que de fleurs.
Bientôt, la sage maison de ma Félicie tant aimée est envahie. Une foule disparate. Des gens de la Grande Cabane : Béru, son chiare, Pinaud, M. Blanc, l’inspecteur Homère Danflaque. Et puis des personnes connues seulement de moi (ou presque) la veuve Marmelard (Christine de son prénom), Mado Ravachol et sa fille Marie-Catherine, les maîtresses de Marmelard ; enfin le sieur Azzola, le bras droit de Marmelard. Neuf personnes en tout. L’invasion, te répété-je !
Ma sainte maman ne sait plus où donner de la cafetière. Elle a appelé Maria 4 à la rescousse, laquelle a arraché la chemise de noye de ses orifices pour la remplacer par une roupane printanière, très indiquée en ce mois de novembre finissant. Elle « s’aide » de son mieux, la brune Portugaise, préparant des litres de nouveau caoua, descendant à la cave pour y quérir du vin (rouge pour Béru, blanc pour l’aristocratique Pinaud), apportant les verres « du beau service » que mes parents reçurent en cadeau de mariage et auquel ne manque qu’un verre à liqueur (il fut brisé par mes soins alors que, bambin, je l’utilisais comme moule à petits gâteaux).
Les personnes qu’on est allé quérir chez elles à une heure tardive ont l’air de gens évacués d’un train déraillé. Elles regardent autour d’elles avec ahurisserie, se demandant bien où elles se trouvent et ce qu’on leur veut. Elles auraient été conduites à la Tour Pointue, leur effarement aurait été moins grand.
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