— Je me disais aussi, marmotté-je (ou marmonné-je, au choix).
Alors, ce que j’espérais de mes réflexes subconscients, s’opère. Voilà que je me ramasse et plonge sur le Jaunassou. Boule en direct contre la sienne. Un bruit sourd, aurait dit Beethoven. Il tombe en arrière. Je pieds-jointe sur son estom’.
Vzzzzlffff ! N’ensute, comme il est à terre, les jambes en « i » grec (ou en y) renversé, je lui talonne l’entre-deux à trois reprises. J’aimerais être chaussé de bottes, voire de souliers de ski, mais à l’impôt-cible nul n’est tenu. Il émet une râlerie et sa belle couleur bronze tourne au vert oseille. Et puis se tait.
Mécolle, indécis, vaguement stupéfait par cet éclat, je demeure à côté de mon zigoto, à peine essoufflé par cette petite prouesse. La réalité froide et dure me reprend. Je m’apostrophe en termes peu amènes. « Pauvre figure de fifre ! me dis-je sans indulgence, te voilà dans de beaux draps ! Comment vas-tu pouvoir t’extraire d’une situation aussi débile ? »
Angoisse !
Faut en appeler à mon petit lutin perso. Y a longtemps que je ne lui ai pas cassé les couilles, il peut bien faire un peu de travail de nuit histoire de me salvater !
Je le convoque de toute urgence pour une réunion au sommet.
« Comprends-tu, lui chuchoté-je, quand il va récupérer, il n’aura pas d’autres ressources que d’affranchir le prince à mon propos. J’aurai alors droit au pardingue en ciment et la plongée gracieuse dans le détroit. »
Il en convient. Que même il en rajoute, comme quoi s’agit pas de se baquer dans une pareille cuve de gadoue et d’appeler au secours ! Que, merde ! les miracles, c’est la partie exclusivement réservée au boss. Lui, un coup de main, temps à autre, bon, il dit pas, mais qu’à ce point c’est too much . Quand on se fout dans la mouscaille délibérément, c’est trop fastoche ensuite d’appeler les scouts de France !
Il déblate, dévide. Je le trouve ronchon, cette noye, l’artiste. S’il veut plus secourir les pauvres pécheurs dans mon genre, faut qu’il remette ses ailes au vestiaire et change d’occupe ! Un sauveteur qui rechigne, on n’en a rien à cirer.
Ulcéré, je lui dis de se casser, que je ferai sans lui, bordel !
Et c’est à cet instant que les circonstances viennent prendre le relais. Voilage-t-il pas que messire Ti-Pol, retour des quetsches, est en train de repter jusqu’à moi, mine de rien.
Ces Asiates sont cap’ de se déplacer aussi silencieusement qu’un snake . Je m’avise de la chose à l’instant où il lève le bras pour, tu sais quoi ? Me virguler un dard dans le mollet. Un dard ! A moi !
L’esquive que j’exécute me sauve la vie. Car, sur sa lancée, sa main planteuse continue de trajecter et finit sa course contre sa cuisse à lui. Si bien que le dard… Mais t’as déjà tout pigé, nonobstant ton peu d’intelligence, Hermance. Eh bien oui, Françaises, Français, ce connard s’autopique. C’est pas jouissif ? L’arroseur arrosé ! Qu’en constatant le fait, il lance un « Ohhhhh ! » d’une détresse humaine infinie, puis soubresaute, ouvre si grand sa gueule que je vois son pancréas comme tu vois le gros cul de la princesse Margaret quand elle va regarder des bites de cheval à Ascot, ombragée d’une capeline grande comme la tente sous laquelle François I erreçut Henry VIII au camp du Drap d’or.
Le médecin… (j’allais dire « marron ») glabouille quelques syllabes incertaines dont je me demande si elles étaient destinées à construire des mots, et puis meurt sans crier gare ni coup férir. Poum ! D’un trait !
J’exhale un très beau soupir de cinéma dans le style de ceux que proférait (car ils équivalaient à des paroles) M. Pierre Blanchard avant de faire ses aveux à la duchesse de Moncustord.
« Partiellement sauvé ! » m’exclamé-je dans mon for intérieur. Et de m’ajouter, après un instant consacré à des actions de grâce personnelles dont je m’abstiendrai de révéler le nom du bénéficiaire :
« Que vas-tu faire du cadavre, maintenant ? »
Question plus épineuse qu’un oursin, tu vas m’accorder le plaisir d’en conviendre !
Je m’interprète la méditation de Thaïs (musique de Massenet sur un livret d’après Anatole France).
Mille idées saugrenues m’assaillent. Je conserve la plus dingue, pousse le corps sous mon lit à palanquin [3] Béru dixit.
et ouvre les rideaux pour aller respirer sur la terrasse.
5
T’AS DES FUITES, ÉDITH ?
Tel que ça décarre, je suis bon pour prendre un stand au prochain Salon de l’Enterrement.
Je me rappelle plus de qui est la pièce « Comment s’en débarrasser ? » En tout cas, son titre résume aux petits oignons ma situation présente.
Il est inenvisageable que je coltine ce macchabe par les couloirs à la recherche d’une sépulture descente [4] Cette erreur orthographique parce que je rêve d’une bonne vieille cave, voire chaufferie, dont la chaudière pourrait servir de four crémateur.
. Le palais est truffé de caméras qui rendent compte des moindres déplacements à l’intérieur (comme à l’extérieur) du domaine.
Dans mon patio règne une nuit enchanteresse. La lune montre son cul énorme, tout là-haut ; la piscaille murmure, because l’épurateur de flotte ; le jet de la vasque chuchote des bucoleries et le doux rossignol prépare son récital pour sa belle, les piafs étant aussi glandus que les hommes.
Je ne perplexite pas cent ans. D’un bond, me juche sur le rebord de la vasque murale, ce qui me permet de filer un coup de périscope par-dessus le mur. De l’autre côté, l’est une courette pavée. Rétablissement du grand artiste de la Poule parisienne. Je saute. Chocotte pas : deux mètres, y a pas de quoi se la peindre en rose et se l’encadrer !
Deux portes s’ouvrent sur cet espace neutre : l’une accède à la crèche, l’autre donne sur l’extérieur. This is fermé au gros bon vieux verrou de nos ancêtres. Certes, il grince quand on l’actionne. Plus malin que quinze sapajous, je l’enduis de ma salive, kif Béru fait avec son zob pour fourrer une pécore trop étroite de l’entrée des artistes.
Délourde.
J’attends, le cœur un tantisoit battant. Mais un grand silence m’environne, comme on dit dans les beaux livres écrits par des gens de métier.
Cette ouverture livre accès à un vaste potager parfaitement tenu, qui ferait bander le brave père Nonœil de la 2, çui qui te raconte comment tailler les rosiers, planter les boutures de persil et semer les trèfles à quatre feuilles.
Courbé, je me prends à circuler à travers les allées bien rectilignes, admirant au passage les chandeliers végétaux des arbres en espalier, les avocatiers, les orangers, les citronniers et autres cognassiers centripèdes.
Mes pas me conduisent là que le cher Seigneur soucieux de ma destinée a voulu : à la fosse à compost où s’élabore le terreau fertiliseur. Le rêve ! D’autant qu’une forte bêche est à pied d’œuvre, n’attendant que ma venue pour provoquer des ampoules dans mes mains aristocratiques. Tu parles d’une aubaine, Germaine.
Tu verrais le cher Sana joli, la manière qu’il opère un bath retour à la terre ! Creuser est d’autant plus fantoche que j’ai affaire à un terreau léger. Je dois valoir le déplacement, en animal fouisseur : un vrai fox à poil dur !
Me faut pas vingt broquilles pour obtenir une fosse dans la fosse. Ne me reste qu’à exécuter quelques nouveaux rétablissements afin d’aller chercher le locataire de ce petit trou pas cher.
N’empêche qu’il est passablement fourbu, l’apollon, après cette séance d’inhumation express. Je totalise un début de sciatique dans la guibolle gauche, une légère entorse (que je me suis faite en sautant le mur), plus un bleu à la cuisse qui ressemble à la carte de l’Italie sans la Sicile.
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